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AKUTAGAWA Ryûnosuke
(Tokyo, 01/03/1892 - 24/07/1927)

 

Un des plus grands écrivains japonais. Il est l'auteur de deux cents récits brefs, de poèmes, articles critiques...

Peu après sa naissance, sa mère devint folle. Akutagawa fut alors élevé et adopté (officiellement en 1904) par son oncle maternel.
Il s'intéresse très tôt aux oeuvres de la littérature classique chinoise, mais aussi à l'anglais. Il lit toutes sortes d'auteurs, classiques et modernes, y compris des occidentaux.
Il est diplômé de littérature anglaise à l'université de Tôkyô.
Akutagawa, après avoir enseigné l'Anglais au Collège Naval (jusqu'en 1919), se consacre à la littérature.
"Jusqu'en 1920, il écrit surtout des récits « historiques » . Il va chercher ses sujets dans le passé, non pour le reconstruire minutieusement à la manière de Mori Ôgai, mais pour mettre en scène, dans un décor d'époque recréé par son imagination, des personnages qui sont manipulés par un narrateur ironique. Une construction rigoureuse les place dans un porte-à-faux qui se résout d'une façon plus ou moins déroutante ou inquiétante, souvent humoristique et paradoxale. [...]" (Histoire de la littérature japonaise, Jean Guillamaud, collection Ellipses, page 92).

C'est Le Nez (Hana, 1915), remarqué par Soseki, qui le fait connaître. De cette période qui va jusqu'en 1920, citons également Rashomon (1917), Figures Infernales (Jigoku-hen, 1917), Le Martyr (Hôkyônin no shi, 1918).
Les qualités d'Akutagawa : "une construction extrêmement rigoureuse, l'art du suspense, le génie du détail grotesque ou horrible, un peu à la manière de Gogol mais de façon moins systématique, l'économie du langage - tout est calculé pour obtenir un effet déterminé maximal. Parlant de l'oeuvre d'Edgar A.Poe, Akutagawa souligne certaines dispositions qui peuvent aussi bien s'appliquer à ses propres récits de la première période : l'alliance d'une intelligence analytique et d'un tempérament poétique, l'alchimie entre une sensibilité aiguë et un puissant intellectualisme, qui se manifestent par un cheminement logique très strict au service d'une matière romanesque. Il est d'ailleurs significatif que Gustave Moreau et Odilon Redon soient à cette époque de sa vie deux de ses peintres préférés." (E.De Chavanes, Dictionnaire de littérature japonaise, sous la direction de Jean-Jacques Origas, Quadrige, PUF, pages 4-5).

1921 : Akutagawa interrompt sa carrière et passe quatre mois en Chine, en tant que reporter pour un journal. Ce séjour le marquera physiquement (maladie).

Dans les années 1920, il recourt de moins en moins au passé. En 1923, c'est le Grand Tremblement de terre (voir le livre de Yoshimura Akira, par exemple). "Akutagawa, comme les autres écrivains, s'était trouvé confronté à une réalité effrayante : que pouvait l'art, que pouvait l'homme face à un tel déchaînement de la nature, face à ces morts ?" (La Vie d'un idiot et autres nouvelles, page 103). Il écrit de nombreux essais, mais beaucoup moins de récits, surtout à partir de 1925.

Il commence à introduire plus d'éléments personnels dans ses oeuvres, peut-être poussé par "l'inquiétude qui l'habite quant à l'évolution de ses maladies [...] Ses dernières oeuvres prennent appui sur la réalité présente [...]." : Kappa (1927), Villa Genkaku (1927) ; "Haguruma, 1927 (Engrenages) est un extrait du journal où il consigne avec précision les progrès de la désintégration psychique à laquelle il décidera d'échapper en se donnant la mort." (Histoire de la littérature japonaise, Jean Guillamaud, collection Ellipses, page 92).

Souffrant d'hallucinations, il tenta de se suicider avec la femme d'un ami en 1927. Ce fut un échec. Finalement, il se suicida par absoption de barbituriques, laissant deux mots signifiant "vague inquiétude".
Son suicide eut un grand retentissement.

Un prix littéraire, très prestigieux, qui porte son nom est remis deux fois par an à un jeune écrivain. Il fut créé en 1935, et reste une référence.


- Rashômon et autres contes (Sakuhin-Shu, contes traduits par Arimasa Mori en 1965). Connaissance de l'Orient. Gallimard/Unesco. 292 pages.
Le recueil comporte quinze contes. Ces histoires sont généralement situées dans le passé.

Le premier conte, Figures Infernales (Jigoku-hen, 1917), met tout de suite le lecteur dans l'ambiance.
Il s'agit d'une histoire de paravent qui représente une scène de l'Enfer.
"Enfin, il n'y avait pas un damné à se contorsionner dans cette géhenne qui eût rien de commun avec ceux des habituelles Figures infernales. La raison en est qu'en ces multitudes de damnés, Yoshihidé avait représenté des hommes de toutes conditions depuis les courtisans de la Cour dans leurs impeccables robes de cérémonie, séduisantes dames d'honneur dans leurs robes à cinq plis, récitants avec leurs chapelets au cou, jeunes guerriers à hautes chaussures en bois, fillettes minces dans leur longue robe, devins portant la bandelette sacrée à la main..., il n'est pas possible de les énumérer tous.
Tous ces personnages, dans les tourbillons de flammes et de fumées, en proie aux tortures infligées par les geôliers infernaux à tête de boeuf et de cheval, fuyaient en tous sens, telles
[sic] des feuilles mortes dispersées par une bourrasque. Ces femmes plus recroquevillées que des araignées, dont les cheveux s'enroulaient autour des dents d'une fourche, figuraient-elles des sorcières ? Cet homme, la tête en bas comme une chauve-souris au repos, la poitrine perforée par une lance, n'était-il pas quelque jeune gouverneur de province ?" (pages 42-43). Pour parvenir à peindre ce paravent, le peintre est prêt à tout...
Un conte remarquable, très cruel.

La deuxième, Le nez (Hana, 1915), est d'un style très différent, c'est l'histoire de l'Aumônier Zenchi qui est affublé d'un grand nez.
"D'une longueur de cinq à six pouces, ce nez pendait du haut de la lèvre supérieure au bas du menton. Il était de la même grosseur à l'extrémité qu'à la racine. On eût dit une longue saucisse suspendue au milieu du visage." (page 68).
Ah, si seulement il pouvait avoir un nez normal, plus petit...

Puis viennent les deux contes (très courts) les plus connus, grâce à Kurosawa : Rashômon, une sorte de vignette sur la survie, et Dans le Fourré, composé de dépositions de tous les protagonistes d'un assassinat, y compris le mort : que s'est-il réellement passé ?

On pourrait citer d'autres contes, comme Grau d'Ignames (août 1916) ; et encore Les Vieux jours du vénérable Susanoo ou Le fil d'araignée (Kumo no ito, 1917, très court et excellent), qui mettent en scène des divinités ou héros "mythologiques" ; d'autres encore (peu nombreux) n'ont rien de fantastique (Villa Genkaku, L'Illumination Créatrice).

Les Kappa (
Kappa, 1927), l'une des plus longues nouvelles, est fascinante : elle nous montre une réalité parallèle, le monde des Kappa - fameux animal imaginaire japonais dont le visage ressemble à celui d'un tigre ("Sur sa tête, il a un petit creux contenant une petite quantité d'eau qui le maintient en forme", nous apprend une note).

Ces contes sont très divers (époques, styles narratifs, ...) mais en même temps, on semble percevoir une inspiration commune, une sorte de cruauté morbide.


Bref, un recueil de contes vraiment remarquable, et l'on peut bien le dire de façon globale : un chef-d'oeuvre.


- La Magicienne (Hina, Kaika no satsujin, Kaika no otto, Yôba, Aki, nouvelles traduites du japonais par Elisabeth Suetsugu en 1999). Editions Philippe Picquier. 175 pages.
Le recueil comprend cinq nouvelles.
"Le présent recueil propose des textes qui sont tous antérieurs au 1er septembre 1923, date du grand tremblement de terre qui ravagea Tôkyô et sa région, cristallisant en quelque sorte la rupture avec le passé, en bouleversant à la fois l'ordonnance de l'espace, et les consciences. [...]
Parmi les cinq textes proposés ici, trois font partie du cycle kaika(ki)mono (littéralement, « histoires du temps de la modernisation »), cette occidentalisation brutale qui, en se superposant à l'ancienne structure sociale et familiale, imposait la recherche hâtive d'un nouvel équilibre.
" (Avant-propos d'Elisabeth Suetsugu, page 7-8).

Généralement, ces nouvelles sont le récit de quelqu'un.
Par exemple, la première nouvelle, Les Poupées (Hina ; 22 pages), commence (après un poème de Buson : Boîte entrouverte / Deux visages délicats / Inoubliable apparition) par cette phrase : "Voici l'histoire qu'une vieille femme m'a contée."
Il y a la volonté de rapporter les dires de quelqu'un, ce qui implique qu'il va sans doute manquer des explications, que tout ne sera pas forcément explicite, sans que ce soit de la "faute" de l'écrivain.
La première nouvelle est assez classique : "... Promesse fut donc faite de céder les poupées vers le mois de novembre à un Américain de Yokohama" (page 13).
Une famille doit se séparer de ses très belles poupées ("considérées comme servant à purifier la maison des vicissitudes de l'année", nous explique une note) : Impératrice, Empereur, dames de palais, musiciens... La différence de comportement des membres de la famille : attachement aux valeurs ancestrales, ou au contraire adoption immédiate des nouveautés (éclairage) est très évident. Pas mal. (à noter que cette nouvelle se trouve également, dans une traduction différente, dans le recueil Neuf nouvelles japonaises).

Un crime moderne (17 pages) est un peu dans la même veine. Le docteur Kitabake Giichirô, qui s'est suicidé, a laissé un testament.
"Madame, Monsieur,
Je suis coupable d'avoir commis un crime par le passé. Ce n'est pas tout, je suis un individu dangereux, méprisable, capable de répéter le même geste.
" (page 39). On est ici dans les valeurs, modernes/traditionnelles. Pas mal non plus, un peu plus tordu que Les Poupées.

Un mari moderne (30 pages) : un homme veut faire un mariage d'amour. Il rejette les mariages arrangés. Bien sûr, il y a les illusions, les belles idées, ce que l'on voudrait... et ce que l'on a.

On arrive à La Magicienne, la plus longue nouvelle (63 pages), supposément le morceau de résistance du livre. C'est l'histoire d'une opposition entre deux amis d'un côté et une sorcière de l'autre, qui veut garder pour une certaine raison une jolie jeune femme près d'elle. Bien sûr, un des deux amis est amoureux de cette jolie fille.
La tradition apparaît au sein de la modernité de la grande ville par l'existence de cette magicienne, une sorte de sorcière plutôt. Pour faire jeter un sort sur quelqu'un, prévoir l'augmentation de la bourse... on fait appel à elle.
C'est une nouvelle très curieuse : elle est bourrée de contradictions internes, d'illogismes, d'approximations psychologiques.
Par exemple, la sorcière a besoin d'argent d'un courtier qui vient la consulter... à propos du cours des actions (page 118) ! C'est parfaitement absurde : si elle a des informations sur l'évolution des cours, elle peut en profiter directement ! Qu'a-t-elle à faire de ce courtier !
Nos héros savent que la sorcière a beaucoup de pouvoirs, mais ils discutent de leur projet pour la contrer, par téléphone : ils entendent des parasites bien étranges, mais cela n'éveille pas immédiatement leur soupçons... A un autre moment, un de nos héros (à qui il arrive bien des choses !) est "couvert de boue, le visage noirci par les gaz d'échappement". Quand il parvient enfin chez son ami, ce dernier "ne fut pas long à remarquer les égratignures de ses mains et de ses jambes [...]" (pages 134-135). La phrase sonne très bizarrement.
Une nouvelle vraiment bancale, mais pourrait-on dire exprès bancale. Perturbant ou agaçant, Akutagawa ne nous a pas habitués à de telles approximations, tout est pensé, polissé, peaufiné. Il l'a donc fait exprès. Quel est alors le sens de cette nouvelle ? Est-ce une parodie ? Est-ce pour montrer le monde qui se déglingue tout à fait, à tel point que le bon sens et la logique même en sont parfois absents ?

On arrive finalement à la dernière nouvelle, Automne (21 pages), probablement (pour moi) la meilleure du recueil.
"Depuis toujours, Nobuko passait pour être dotée d'un grand talent et cette réputation la suivait partout, sans qu'elle l'eût cherché." (page 155). Elle semble être douée pour la littérature. Elle fait un mariage sans amour pour que sa petite soeur puisse se marier avec celui qu'elle(s) aiment... Beaucoup de non-dits, c'est quasiment kawabatien par moments.

Globalement, un recueil de nouvelles nettement moins marquant que Rashômon et autres contes, mais intéressant quand même, peut-être surtout par ce qu'il apporte dans la connaissance de l'oeuvre d'Akutagawa, sa diversité.


Une vague inquiétude. Traduit par Silvain Chupin en 2004. Editions du Rocher, 2005. Préface de René de Ceccatty. 84 pages.
Ce petit recueil comporte trois nouvelles.

1/ Le masque (Hyottoko, décembre 1914). 19 pages.
"Les gens s'entassaient en grand nombre contre les parapets du pont d'Azuma. Un agent de police venait quelquefois leur dire un mot, mais l'attroupement se reconstituait aussitôt après." (page 15). C'est la fête des cerisiers.
Des bateaux passent, des péniches se succèdent, et notamment une sur laquelle on voit deux joueurs de shamisen, une fanfare burlesque qui se met à jouer.
"Sur le pont, les gens poussèrent de nouveau des cris de joie. Au milieu, on percevait les pleurs d'un enfant comprimé par la foule. On entendit aussi une femme crier d'une voix stridente « Regardez ! Il danse ! » Dans le bateau, un petit homme portant un masque hyottoko [Masque grotesque d'homme à la bouche grimaçante avec un oeil plus petit que l'autre] exécutait une danse grotesque sous les banderoles.[...] On voyait bien que, l'alcool aidant, son corps ne lui obéissait plus, car il lui arrivait de perdre l'équilibre et de n'agiter bras et jambes que pour éviter de passer par-dessus bord." (page 18).
Le lecteur va en apprendre un peu plus sur cet homme... Une nouvelle très courte (le texte n'est pas bien dense, et les pages ne sont pas grandes) vraiment pas mauvaise du tout (surtout la fin), mais un peu mineure dans l'oeuvre d'Akutagawa.

2/ Un doute (Giwaku, juin 1919). 35 pages.
"Voici plus de dix ans, au printemps d'une certaine année, j'eus l'occasion de séjourner environ une semaine à Ôgaki-machi, dans la préfecture de Gifu, où l'on m'avait invité à donner des conférences de morale pratique." (page 35).
Au bout de 10 pages, un homme, qui était venu le voir, lui raconte son histoire, et c'est ce qui constitue le gros de la nouvelle. Il a fait quelque chose qui le turlupine depuis des années, il voudrait avoir l'opinion d'un spécialiste de la morale...
Pas mal, meilleure que la première nouvelle.

3/ Le wagonnet (Torokko, février 1922). 14 pages.
"Ryôhei avait huit ans lorsque commencèrent les travaux de pose de la voie ferrée d'intérêt local reliant Odawara et Atami. Chaque jour, il allait les contempler à la sortie du village. En fait de travaux, il s'agissait simplement de transporter de la terre dans des wagonnets, mais Ryôhei trouvait de l'intérêt à ce spectacle.
Deux ouvriers prenaient place, debout, sur un wagonnet chargé de terre. Comme il dévalait la colline, on n'avait besoin de personne pour le faire avancer. Le châssis saisi de tremblements, les sarraus des ouvriers dont les pans battaient au vent, les rails étroits qui ployaient sous la charge... quand Rôhei contemplait cette scène, l'envie le prenait de se faire ouvrier
." (page 71).
Ryôhei va vivre une petite aventure, se faire une peur qui le marquera, comme une initiation...
Vraiment pas mal du tout, également. Finalement, c'est elle, la meilleure nouvelle du recueil.

"J'ai pensé à la nouvelle d'Akutagawa Ryûnosuke intitulée Le wagonnet. A la fin, une phrase déplore l'ennui de la vie. Au lycée, le professeur nous avait dit : « En fait, tout ce qu'Akutagawa voulait dire tient dans cette dernière phrase. » Nous, les élèves, nous étions indignés : « Si on avait su, on se serait contentés de lire la dernière phrase. »" (Isaka Kôtarô, Pierrot-la-Gravité, page 24).
Voici les trois dernières phrases de la nouvelle : "Parfois, sans raucune raison particulière, cette aventure lui revient en mémoire. Sans aucune raison particulière ? Accablé qu'il est à présent par les soucis quotidiens, il le revoit encore tel qu'il était ce soir-là - mince filet de mémoire qui brille par intermittence -, ce chemin vallonné avec ses fourrés sombres..." (page 84).

Trois nouvelles qui ne comptent pas parmi les chefs-d'oeuvre d'Akutagawa, mais qui sont tout de même de très bonne facture. C'est toujours très bien écrit et très efficace.

La Vie d'un Idiot et autres nouvelles. Traduit par Edwige de Chavanes en 1987. Préface de Jeannine Kohn-Etiemble. Collection de l'Orient - collection Unesco d'oeuvres représentatives. 189 pages.
Ce recueil contient neuf nouvelles, des débuts de l'auteur (le premier texte est écrit lorsqu'il avait 20 ans) jusqu'à la toute fin (publications posthumes).

1/ L'eau du fleuve (Ôkawa no mizu, janvier 1912). 6 pages.
"Dès les premiers textes d'Akutagawa, ce destin est perceptible : dans L'eau du Fleuve (écrit peu de temps avant ce Gruau d'ignames [contenu dans le recueil Rashomon] qui lui valut la gloire), on discerne déjà ce qui va l'engloutir sous le déferlement de vagues intérieures" (préface de Jeannine Kohn-Etiemble, page 9). Au passage, on voit bien le risque de lire les nouvelles d'Akutagawa à la lumière de sa fin, connue.
Les notices introductives à chaque nouvelle sont vraiment intéressantes, elles ressemblent aux petits textes (qui, pour une fois, seraient réussis) accompagnant les tableaux, lors d'expositions. "Le lyrisme, l'exaltation juvénile disparaissent des oeuvres postérieuresd ont l'écriture - le choix du matériau et la façon de le traiter - se fonde néanmoins sur une même approche, un identique processus d'appréhension de la réalité." (page 21). Akutagawa a vingt ans, il est encore étudiant.
"Pourquoi ai-je tant d'affection pour cette rivière ? Pourquoi trouvé-je à cette eau tiède, plutôt trouble, un charme infini ? [...]
Le voile argenté de la brume, le ruban d'huile verte de l'eau, le soupir incertain d'un coup de sifflet, le triangle brun de la voile d'un charbonnier - combien cette vue de la rivière où tout éveillait en moi une irrésistible mélancolie, ne fit-elle pas frémir, comme le feuillage des saules, qui poussent sur ses rives, mon coeur d'adolescent !
" (pages 23-24).
Pas d'histoire dans cette petite nouvelle poétique, différente de ce que l'on avait pu lire de l'auteur jusqu'à présent, qui parle de Venise, du temps passé, des acacias, du Fleuve...

2/ Un Jour, Ôishi Kuranosuke (Aru hi no Ôishi Kuranosuke, 25 août 1917). 12 pages.
Les héros de cette histoire sont quelques-uns des fameux 47 rônin, qui ont finalement réussi à venger leur maître. En attendant le jugement, ils parlent, contemplent le jardin, le soleil, des visiteurs arrivent... Un des personnages se rend compte, avec tristesse, que ses actes et son comportement sont finalement mal interprétés et vont en venir, à l'avenir, à échapper à leur vraie signification, plus complexe qu'ils n'en ont l'air. "Et combien d'instants d'une douceur printanière n'avait-il pas aussi goûtés au sein de cette vie dissolue, totalement oublieux de leur mission vengeresse !" (page 44).
Il s'agit d'une nouvelle "historique", écrite la même année que Figures Infernales, pour situer.

3/ Lande Morte (Kareno-shô, septembre 1918). 11 pages.
"Sans doute inspiré par la souffrance que lui causa, en 1916, la mort de son maître entre tous préféré Natsumé Sôseki [...] (préface, page 14).
On assiste aux dernier instants de la vie de Bashô, entouré de ses disciples. Comme pour la nouvelle précédente, on suit les pensées profondes, les motivations de ces disciples, et ce n'est pas toujours ce que l'on pourrait croire. Il y a une sorte de logique perverse. Très bon.

4/ Les Mandarines (Mikan, avril 1919). 5 pages.
"[...] ce très bref récit revêt une importance particulière : après cinq années de création littéraire essentiellement jalonnées de récits « historiques », Akutagawa revient à une narration plus personnelle. [...] « La simplicité est précieuse. Mais en art, la simplicité est le produit d'une extrême complexité. Elle est l'extrait qui est passé et repassé au pressoir »." (page 63).
C'est amusant, parce que dans Anthologie de nouvelles japonaises, tome I (chez Piquier), on peut lire à peu près la même chose concernant la nouvelle La Foi de Wei Chang...
Bref, Les Mandarines comptent une anecdote arrivée dans un train, à l'issue de laquelle : "Je parvins alors enfin à oublier un peu de mon ennui, mon indicible lassitude, et aussi l'absurdité, la vulgarité, la monotonie de la vie humaine." (page 69).

5/ Le Bal (Butôkai, décembre 1919). 7 pages.
C'est donc un bal, avec une fin un brin nostalgique (de façon quand même facile) pour donner un peu de poids à la nouvelle, qui sinon est (mais il faut vraiment le savoir, et les notes sont là pour cela) une parodie-réponse d'un texte de Pierre Loti, Un bal à Yedo : tout ce qui était décrit comme petit et de mauvais goût est grand et d'un goût exquis !

6/ Extraits du Carnet de notes de Yasukichi (Yasukichi no techô kara, avril 1923). 13 pages.
"Le personnage de Yasukichi apparaît tout entier drapé dans une froide intelligence qui parfois a couleur de mépris : celle d'une intelligence qui se sent supérieure." (page 85).
Le texte est constitué de fragments... Il peut laisser un petit peu perplexe.
"Je crois bien que parmi les poèmes de Toki Aika - excusez si je me trompe - il s'en trouve un qui dit : « Venu si loin, je dois encore me casser les dents sur ce bifteck de merde. Femme, femme, que tu me manques ! » Chaque fois qu'il venait ici, il pensait à ce poème. Certes, la femme qu'il aurait dû regretter, il ne l'avait pas encore trouvée." (page 87).
On remarque une note amusante (d'Edwige de Chavanes), page 92, à l'occasion de la phrase : "Quoique, à en croire son exposé, les écrivains américains de ces dernières années seraient représentés par Robert Louis Stevenson et O. Henry !". Une note : "O.Henry (1862-1910) : auteur américain de récits brefs qui n'offrent qu'un intérêt littéraire limité."

7/ Bord de Mer (Umi no totori, avril 1925) 10 pages.
"Dans ce récit, « rien ne se passe », mais avec un art admirable de la « touche lente », l'auteur suscite une atmosphère d'une intensité saisissante." (page 104). C'est exactement ça. Il y a un rêve, au début du texte, qui met dans l'ambiance.
Quelqu'un appelle le narrateur. "Je restai un instant à contempler l'étang où se mirait la lune. Les algues qui glissaient à sa surface laissaient supposer qu'il était relié à la mer. Au bout d'un certain temps je remarquai juste devant moi des vaguelettes qui plissaient l'eau d'un reflet argenté. Tandis qu'elles se rapprochaient, je devinais peu à peu la forme d'un carassin ; je voyais ses nageoires remuer avec nonchalance dans la transparence de l'eau.
- Ah voilà ! C'est lui qui m'appelait !
Je me sentis rassuré.
" (pages 106-107).

8/ Engrenage (Haguruma, 1927 - publication posthume). 33 pages.
"La hantise de la folie - celle qui avait emporté sa mère, celle dans laquelle sombre l'écrivain Uno Kôji à la fin du mois de mai, celle de tous les écrivains consumés par la même angoisse - lui dicte les pages d'Engrenage." (page 117).
"Aucun bruit, forcément, ne filtrait de ma chambre. Pourtant, l'idée d'ouvrir la porte et d'y entrer me donnait étrangement froid dans le dos. J'hésitai un instant puis franchis résolument le seuil. Evitant de regarder le miroir, je m'installai sur la chaise devant la table [...] Mais le temps passait et le stylo que j'avais pourtant rempli d'encre restait inerte. Quand il se décida enfin à courir sur le papier, il se mit à aligner à l'infini la même suite de mots : All right All right All right All right..." (pages 124-125). On est presque dans Shining...
Souris qui font leur apparition, comportement incohérent... et "rouages à demi transparents qui tournaient tournaient inlassablement" (page 122).
"Vivre dans ces conditions m'est devenu une souffrance intolérable. Ah ! Si quelqu'un pouvait avoir le geste de m'étrangler tout doucement pendant mon sommeil..." (page 151).
Avant, on peut lire : "Tous étaient frappés par le malheur, sans exception ; même les plus grands de l'époque élisabéthaine.. - même Ben Johnson, le plus illustre de son temps, avait fini par sombrer dans une névrose qui lui faisait voir sur son gros orteil les armées de Rome et de Carthage en train d'engager le combat. Je ne pouvais m'empêcher de jubiler d'une joie sadique devant le spectacle de leur malheur." (pages 140-141).

9/ Le Vie d'un idiot (aru ahô no isshô, juin 1927 - publication, posthume). 23 pages.
Ecrit un mois avant son suicide."Les images qui dans cette oeuvre servent à traduire les instants les plus marquants de sa vie font songer, par leur rapidité et leur intensité, aux formes poétiques propres au Japon, notamment le haïku."
Un extrait :
"16 - Oreiller
Il lisait un livre d'Anatole France, la tête appuyée sur l'oreiller du scepticisme qui dégageait un parfum de feuilles de rose ; sans s'apercevoir qu'un centaure s'était glissé à son insu dans cet oreiller.

17 - Papillon
Un papillon voltigeait dans le vent où planait une odeur d'herbes aquatiques. Il sentit les ailes du papillon effleurer ses lèvres sèches une infime seconde. Mais le velours des ailes qui les avaient un jour caressées en passant brillait encore sur ses lèvres tant d'années plus tard.

18 - Lune
Il la rencontra par hasard dans l'escalier d'un hôtel. Même ainsi en pleine journée, son visage semblait baigner dans le clair de lune. Tandis qu'il la suivait du regard (ils ne se connaissaient pas même un peu), il ressentit une tristesse jusqu'alors inconnue...
" (pages 164-165)

Contrairement aux recueils précédents, celui-ci donne à lire l'évolution de l'oeuvre d'Akutagawa : d'abord les textes classiques, à base historique, extrêmement bien écrits, construits, avec des histoires frappantes, puis un glissement vers des textes qui semblent plus personnels et moins immédiatement marquants par leur sujet ou leur construction, et finalement des textes fragmentés, presque hallucinés.


J'ai eu largement plus de plaisir littéraire à lire le recueil Rashômon (j'ai un gros faible pour ses nouvelles "historiques"), mais La vie d'un idiot, même si certaines nouvelles ne sont pas agréables à lire (car vers la fin, on n'est vraiment plus dans la volonté de faire de l'art, mais dans l'expression de quelque chose qui vient profondément, de manière brute, de l'auteur), est vraiment très intéressant, et fondamental pour tenter de comprendre un peu Akutagawa.


jambes de cheval
Couverture : Cheval sous un saule, d'Utagawa Kunisada (1786-1864)

- Jambes de cheval. Dix-sept textes traduits par Catherine Ancelot. Postface de Nimomiya Masayuki. Editions Les Belles Lettres. 221 pages.

Une note de la postface explique l'origine de ce recueil : "Le projet initial était prévu pour la « Bibliothèque de la Pléiade ». Le volume devait comprendre, en plus de celles qui sont déjà publiées chez Gallimard, d'autres oeuvres qui devaient être traduites par Edwige de Chavanes et Catherine Ancelot. Le présent livre est composé uniquement de la majorité des textes dont la traduction a été confiée à cette dernière. Nous souhaitons vivement que l'autre volet, confié à Edwige de Chavanes, soit rendu public sous une forme ou une autre." (pages 205-206).
Effectivement !
Mais on n'aura donc pas Akutagawa en Pléiade... Quel dommage... Il n'y a toujours qu'un seul écrivain japonais dans cette belle collection.

"Catherine Ancelot a conçu avec bonheur une construction convaincante en regroupant en cinq parties ces dix-sept récits, fort variés, pour ne pas dire disparates. Rédigés entre 1916 et 1925, ils couvrent la quasi-totalité de la carrière de l'écrivain, sauf les deux dernières années pendant lesquelles ce dernier a peu produit." (page 181).
Les textes sont donc regroupés thématiquement et non pas chronologiquement.

I/ Histoires qui sont maintenant du passé.
"C'est un fait bien connu que notre auteur s'est inspiré largement des Histoires qui sont maintenant du passé (Konjaku monogatari shû) pour rédiger plusieurs de ses oeuvres les plus remarquables." (page 182)

1. Volupté
: c'est l'histoire de Heichu, un Don Juan nippon (apparemment, il s'agit d'un personnage historique connu, que l'on trouve notamment dans La Mère du général Shigemoto, de Tanizaki). Il tombe les filles comme un rien. Mais, lorsqu'il faut conquérir une certaine Jijû, tout ne se passe pas aussi facilement qu'à l'accoutumée.
"En principe, les choses suivent pourtant un cours invariable : mes lettres reçoivent toujours une réponse, et quand il y a réponse, il y a rencontre. S'il y a rencontre, on se pâme pour ma personne. Et quand on se pâme pour ma personne... cela m'exaspère en un rien de temps. Or, dans le cas de Jijû, j'ai dû écrire quelque vingt lettres en l'espace d'un mois sans obtenir la moindre réponse. J'ai beau m'y entendre en matière de correspondance amoureuse, le répertoire n'est pas infini, me voilà bientôt à court." (page 16).
C'est vif, amusant... et vers la fin assez... particulier (on se croirait presque chez Tanizaki, pour le coup).

2. Avec La Dame de Rokunomiya, on a une histoire assez classique, mais un peu trop classique.

3. Dans La Fortune, un potier raconte, à un jeune guerrier, l'histoire étonnante d'une femme qui fait un voeu auprès de la déesse Kannon de Kiyomizu, dans un temple . "Mettez-moi à l'abri du besoin pour le restant de mes jours, lui a-t-elle demandé. Elle venait de perdre sa mère, son seul recours au monde, et menait une existence si précaire que son voeu n'était pas extravagant." (page 41). Pas mauvais, sans être marquant. C'est une petite chose, mais plutôt bien ficelée.


II/ L'Âge des Kirishitan et des barbares du Sud.
Kirishitan désigne les catholiques. Les textes vont donc tourner autour de la religion catholique.

4. Le Sourire des dieux.
"Par un soir de printemps, padre Organtino se promenait dans le jardin du temple des Barbares du Sud, en traînant derrière lui les pans de son long habito" (page 51). Ce jésuite italien, venu faire oeuvre d'évangélisation, va conaître quelques problèmes : hallucinations (ou pas ?), rencontre avec un esprit du pays... Les certitudes du jésuite vont-elles résister ? Assez amusant, la thèse de l'esprit est que les différentes croyances ou doctrines étrangères, en arrivant au Japon, subissent une transformation pour s'adapter, de sorte que les dieux japonais restent toujours derrière.
A cette occasion, le lecteur moyen (moi) apprend l'existence d'un certain "Yurikawa, héros légendaire qui apparaît dans des contes ainsi que dans des pièces de kabuki, proviendrait d'une japonisation du personnage d'Ulysse." (note page 195). Un Ulysse Japonais, fichtre !

5. Le Tabac et le diable. Dieu arrive au Japon avec les fidèles kirishitan (les premiers catholiques). Logiquement, le Diable arrive en même temps. Dans cette nouvelle, le Diable débarque au Japon incognito. Il va faire un pari avec un marchand... qui gagnera ? Comment notre pauvre marchand pourra-t-il l'emporter face à si forte partie ?
Très sympathique (comme souvent ce genre d'histoires).

6. La Vierge en noir.
"« Et ça, qu'en dites-vous ? »
En prononçant ces mots, Tashiro posa sur la table une statuette de Maria Kannon.
Les Maria Kannon, ces représentations de la déesse Kannon que les disciples du Seigneur avaient coutume de vénérer à la place de la Vierge Marie du temps où la religion des kirishitan avait été bannie du pays, sont d'ordinaire en porcelaine blanche. [...]
Mais, tandis que je regardais, j'eus le sentiment qu'une expression équivoque flottait sur la physionomie d'ivoire. Non, le mot d'équivoque ne suffit pas à traduire ce que je ressentis. Car il me sembla en fait que toute la figure était empreinte d'une mimique moqueuse où perçait une certaine méchanceté.
" (page 71).
Le collectionneur va raconter l'histoire maléfique liée à cette statue.
La chute n'est pas une surprise, mais la toute fin est quand même bien...


III/ L'art de raconter des histoires.
Effectivement, les textes regroupés ici sont très intéressants !

7. Jambes de cheval. Au début, un certain homme décède. Il arrive donc dans une grande pièce, devant les autorités compétentes. Là, stupéfaction :
" « Are you Mr Henry Barret, aren't you ?" (page 80).
Eh bien non. C'est Oshino Hanzaburô, le mort. il y a eu erreur ! Comment corriger ce problème ?
Ah, la bonne histoire que voilà ! Excellente !

8. Magie : c'est l'histoire d'un magicien exceptionnellement bon, Matiram Misra, qui , après une démonstation bluffante, se propose d'enseigner son art au narrateur.
Encore une bonne histoire.

9. L'enfant abandonné. Court mais joli texte psychologique dans un style plus intériorisé. Bonne fin.


IV/ Fables et parodies

10. Histoire de la tête qui se décrocha :
"Jetant son sabre, He Xiao-er s'agrippa éperdument à l'encolure de son cheval. Pas de doute, on lui avait coupé le cou. Peut-être ne l'avait-il compris qu'après s'être accroché au cheval." (page 111). C'est le début...
Nouvelle très bien écrite, et à la bonne conclusion : "nous ne pouvons pas nous fier à nous-mêmes. En vérité, seuls ceux qui le savent sont un tant soit peu dignes de confiance." (page 120).

11. Momotarô. "Momotâro, le garçon né de la pêche est l'un des contes les plus connus de la tradition populaire japonaise", nous dit une note. On a ici une parodie très parodique, avec allusions aux dérives nationalistes du moment. Euh... pas passionnant...

12. Le Combat entre le singe et le crabe. Il s'agit de la suite inventée par Akutagawa d'un conte populaire. Très court texte. Une petite chose.

13. Le Général Kim. Nous sommes à la fin du XVI° siècle, en Corée. Akutagawa raconte une histoire farfelue, qu'il dit être fausse. "Mais rien ne dit que les Coréens soient les seuls à maquiller l'histoire". (page 136). Effectivement... c'est peut-être un peu amusant, mais également assez anecdotique dans son oeuvre.


V/ Yasukichi, l'alter ego.
Ces textes sont réalistes et mettent en scène un écrivain qui ressemble beaucoup à Akutagawa.

14. Le Billet de dix yens. Yasukichi est écrivain. Il enseigne, publie quelques nouvelles, mais il tire le diable par la queue. Ah, s'il avait un peu d'argent pour aller à Tokyo ce dimanche, dîner, acheter de la gouache et des toiles... Une histoire sans vraie chute, mais qu'on sent assez "réelle".

15. Ecriture. Yasukichi doit écrire l'éloge funèbre d'un capitaine de corvette qu'il ne connaissait quasiment pas. Réussira-t-il ? Une très bonne réflexion sur l'écriture.

16. Mensura Zoïli. On apprend l'existence d'un curieux pays : Zoïlia. Les savants y ont inventé un valeuromètre, prodige des temps modernes : il permet de mesurer rapidement et de façon fiable la valeur des oeuvres (littéraires, artistiques). Une petite chose, mais amusante.

17. Ababababa. Une bonne nouvelle réaliste.


En conclusion : c'est un recueil hétéroclite, le niveau global est évidemment moins élevé que les précédents recueils parus précédemment, il y a beaucoup de petites choses (notamment dans la partie Fables et parodies), mais aussi quelques très bonnes nouvelles, dans des genres très différents.
Et puis, quel plaisir de pouvoir lire un "nouveau" livre d'Akutagawa, et de savoir qu'il reste encore quelques textes à publier chez nous !

 

 

D'autres nouvelles sont disponibles de-ci, de-là, dans différents recueils :

Dans L'Iris fou :
Le Tableau d'une Montagne à la saison d'automne. 15 pages
" « A propos de Ta Ch'ih, avez-vous jamais vu son tableau d'une Montagne à la saison d'automne ?... »
Un soir, en visite chez son ami, Yün Nan-t'ien, Wang Shih-Kou avait, au cours de leur entretien, posé la question.
[...]
Chose étrange, dit Wang Shih-Kou, je ne pourrais pas dire moi-même avec certitude si je l'ai vu ou non. En fait...
- Vous dites que vous ne savez pas si vous l'avez vu ? »
" (page 57).
Et Wang Shih-Kou raconte l'histoire étrange de ce tableau, chef-d'oeuvre parmi les chefs-d'oeuvre.
Très bonne nouvelle, qui traite en fait un peu du témoignage, de l'impression que peut produire une oeuvre, et de la mémoire (thème Akutagawaien, si l'on repense à sa nouvelle Dans le Fourré).



Dans Le Secret de la petite chambre :
La Fille au Chapeau rouge (Akaï bôshi no onna). Ce texte est traditionnellement attribué à Akutagawa. 90 pages.
L'histoire commence "Le jeudi soir, sous les arbres du Tiergarten".
"Il y a quelques jours que j'étais arrivé ici, à Berlin, en provenance directe de Paris. Indifférent au dénuement et aux privations auxquels l'Allemagne de l'après-guerre était alors en proie, j'occupais mes journées à visiter les monuments historiques et les musées, en jouant de l'obligeance d'amis à qui la ville était familière." (page 45).
Un jour, quittant ses amis, il va se promener tout seul.
"J'avais l'humeur à décliner même la société de mes aimables guides que mon idée inquiétait, et à rester seul." (page 45).
Il regarde les femmes, certaines le regarde. Mais comment communiquer avec elles ? En effet, il ne connaît pas un traître mot d'allemand (page 48, ce qui est démenti à la page 53, lorsqu'il dit avoir pris la précaution d'acquérir les rudiments de cette langue... curieuse contradiction).
"Et c'est d'un regard de convoitise que je balayais la foule depuis quelques minutes.
C'est alors précisément que je distinguai une passante, à petite distance de l'endroit où j'étais. Une femme coiffée d'un chapeau rouge et en robe bleu foncé, la taille si menue qu'on eût pu la prendre pour une Japonaise. A peine l'eus-je aperçue que je me mis à marcher dans son sillage ainsi que par l'effet de quelque aimantation
." (page 49).

On apprend que, dans une Allemagne en crise, les Japonais (notamment) avec leurs yens sont les rois du monde (le jour du début de la nouvelle, un yen équivalait à quelque chose comme 15 millions de marks... reste bien sûr à savoir ce qu'on peut acheter avec).
"[...] il s'avère qu'en effet, l'immense majorité de nos compatriotes qui étudient ici - qu'ils touchent une bourse de l'Etat ou séjournent à leurs frais - ne sont pas en manque de femme. Par les temps qui courent, les jeunes filles bien elles-mêmes, plutôt que de recevoir un salaire de misère dans quelque magasin ou usine, préfèrent apparamment se mettre avec un Japonais enrichi par la guerre." (pages 80-81).
Comme le dit un de ses amis, un peu ivre à ce moment-là : "Eh bien, te rends-tu compte, c'est à la guerre qu'on doit tout cela !" (page 80).

Bien sûr, il y a les inévitables et très descriptives scènes de coucherie (pas toujours couché, d'ailleurs), mais cette nouvelle a un vrai intérêt, et est finalement marquante, grâce aux problèmes qui se posent au narrateur non germanophone (comment sauver les apparences au restaurant lorsqu'il y invite sa conquête, avec qui il ne se comprend pas ?), au fait que le narrateur veut respecter les convenances vis-à-vis de ses compatriotes Japonais qui vivent à Berlin (et ils sont nombreux !), et donc de manière générale grâce au contexte, à tout ce que l'on voit de sordide dans le Berlin de ces années d'après première-guerre, avec toutes ces jeunes filles qui cherchent à lier connaissance avec des Japonais forcément riches... Dure et triste époque.

 

 

Adaptations de son oeuvre :
- Rashomon (1911), court-métrage.
- Kumo no ito (1946), réalisté par Ôfuji Noburô
- Rashômon (1950), réalisé par Kurosawa Akira. Avec Toshirô Mifune :

- Bijo to touzoku (1952), réalisé par Kimura Keigo
- Rashomon (1960). Série télé.
- Play of the Week -Rashomon. Série télé.
- Rashomon (1961). Téléfilm de Rudolph Cartier.
- L'Outrage (The Outrage, 1964), réalisé par Martin Ritt. Avec Paul Newman, Claire Bloom, Edward G. Robinson :

- Jigokuhen (1969), réalisé par Toyoda Shirô.
- Yoba (1976), réalisé par Imai Tadashi.
- Fame - The Incident (saison 5, épisode 24 ; 1986). Une histoire est reconstituée d'après les souvenirs des différents protagonistes, voilà ce qu'Akutagawa vient faire ici...
- Iron Maze (1991), réalisé par Yoshida Hiroaki. Avec Bridget Fonda.
- Nan Jing de ji du (1995), réalisé par Tony Au.
- Yabu no naka (1996), réalisé par SatoHisayasu.
- Misty (1996), réalisé par Saegusa Kenki. Avec Kaneshiro Takeshi.
- Aoi Bungaku Series (2009). Série d'animation, d'après Akutagawa, Dasai Osamu, Natsume Soseki et Sakaguchi Ango.
- Tajomaru (2009), réalisé par Nakano Hiroyuki
- Bungo: Nihon bungaku shinema (2010). Le deuxième épisode est adapté d'Akutagawa (les autres sont des adaptations de Dazai Osamu, Kajii Motojiro, Tanizaki, Mori Ogai) et réalisé par Yoshida Keisuke.
- Torocco (2010), réalisé par Kawaguchi Hirofumi
- Ayashiki bungô kaidan (2010), série télé. Le troisième épisode, Hana, est adapté d'Akutagawa et réalisé par Sang-il Lee. Les autres épisodes sont des adaptations de Dazai Osamu, Kawabata Yasunari,...
- Kumo no ito (2011), réalisé par Akihara Masatoshi. Il doit s'agir de l'adaptation de la nouvelle Le Fil d'araignée.
- In a Grove (2011), court-métrage (40 minutes) réalisé par Mike Bazanele.

akutagawa

 

Son fils aîné, Akutagawa Hiroshi (1920-1981), était acteur. On a pu le voir dans Dodes'kaden (il y interprète Hei, un homme silencieux), de Kurosawa Akira (1970).
akutagawa hiroshi    dodeskaden

Son deuxième fils, Takashi (1922-1945) est mort au front en Birmanie. Il étudiait le français à l'Ecole des langues étrangères de Tôkyô.

Son troisième fils, Hiroshi (1925-1985) était chef d'orchestre et compositeur renommé (plusieurs nominations et une récompense aux Nippon Akademī-shō - les César japonais)

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