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Recueils de nouvelles

 

- L'Iris fou ("nouvelles traduites du japonais par I.I. Morris en collaboration avec M Rosenblum et M Beerblock", 1957, 1997). Stock. Bibliothèque cosmopolite. 151 pages.
L'histoire de "collaboration", cela veut apparement dire que la traduction française a transité par l'anglais.


1/ Ibuse Masuji (1898-1993) : L'Iris fou. 28 pages.
"L'iris fou est la première esquisse de Pluie noire. [...] Tout au long du récit, Ibusé évoque le contraste entre la grande tragédie de la guerre et les détails terre à terre [sic] de la vie courante." (page 7). Pluie Noire est le roman de Ibuse Masuji qui parle des conséquences de la Bombe.
L'iris fou commence ainsi :
"Peu après le bombardement d'Hiroshima, je me trouvais chez un de mes amis, dans les faubourgs de Fukuyama, et je regardais un iris qui avait fleuri hors de saison. Il poussait seul de son espèce dans ce coin-là, et ses pétales étaient pourpres.
Ceci se passait à la mi-août, quelques jours après la proclamation du rescrit impérial annonçant la capitulation.
" (page 9).
On n'assiste donc pas directement au bombardement. On peut toutefois lire quelques récits indirects :
"Il y eut une sorte de sifflement et la terre trembla un peu « L'arme secrète ! » pensa-t-il." (page 17)
Et puis les rescapés sont atteints d'une étrange maladie :
"« C'est très curieux, me raconta le docteur Tawa, ils ne réussissent pas à situer le siège de ces douleurs. Il savent tout juste dire qu'ils souffrent horriblement." (page 21).
Après Hiroshima, les bombardements, classiques ceux-là, continuaient.
"Qui servirait de cible, la prochaine fois ? C'était le sujet de conversation favori au village." (page 20).
Très bonne nouvelle.

2/ Nakajima Atsushi (1909-1942) : Le Maître. 15 pages.
"Il y avait autrefois dans la ville de Hantan, capitale de l'ancien Etat chinois de Chao, un homme nommé Chi Ch'ang qui voulait conquérir la première place parmi les meilleurs archers du monde." (page 39).
Excellente nouvelle, ici dans la traduction disponible en ligne sur http://happy.joueb.com/news/99-nakajima-atsushi-le-maitre . On pourra en lire la critique sur la page consacrée à Nakajima Atsushi.

3/ Akutagawa Ryunosuke (1892-1927) : Le Tableau d'une Montagne à la saison d'automne. 15 pages
" « A propos de Ta Ch'ih, avez-vous jamais vu son tableau d'une Montagne à la saison d'automne ?... »
Un soir, en visite chez son ami, Yün Nan-t'ien, Wang Shih-Kou avait, au cours de leur entretien, posé la question.
[...]
Chose étrange, dit Wang Shih-Kou, je ne pourrais pas dire moi-même avec certitude si je l'ai vu ou non. En fait...
- Vous dites que vous ne savez pas si vous l'avez vu ? »
" (page 57).
Et Wang Shih-Kou raconte l'histoire étrange de ce tableau, chef-d'oeuvre parmi les chefs-d'oeuvre.
Très bonne nouvelle, qui traite en fait un peu du témoignage, de l'impression que peut produire une oeuvre, et de la mémoire (thème Akutagawaien, si l'on repense à sa nouvelle Dans le Fourré).

4/ Niwa Fumio (1904-2005) : Odieuse veillesse. 48 pages (c'est de loin la plus longue nouvelle du recueil).
"Odieuse vieillesse est une attaque directe contre l'un des aspects de la vie familiale au Japon : la vénération traditionnelle des Japonais pour les vieilles gens (et la longévité en général), que l'auteur considère à la fois comme anachronique et nuisible. Elle a soulevé un intérêt persistant depuis sa publication en 1948 et l'expression « odieuse vieillesse » est entrée dans le vocabulaire courant." (page 73).
"Très malade, victime lui-même de « cette odieuse vieillesse », il a cessé d'écrire depuis de nombreuses années." (page 73) Très malade, peut-être, n'empêche qu'il a vécu 101 ans !
Odieuse vieillesse, c'est l'histoire de la vieille Umé. Elle a quatre-vingt-six ans, perd la tête, elle devient méchante, elle chaparde, dit du mal des gens, a toujours faim, dit qu'on l'affame, ne se souvient plus qu'elle vient de manger... alzheimer, peut-être bien.
"Grand-maman est un fléau qui s'abat sur la famille, songeait Senko, et frappe maintenant la troisième génération. Umé avait survécu à son mari, puis à sa fille. Et Senko et Sachiko étaient donc obligées à leur tour de s'occuper de quelqu'un qui aurait dû mourir depuis longtemps !" (page 80). Hop, y'en a marre, on la refile à la famille de la soeur cadette, qui habite à la campagne.
"« La longévité est considérée comme quelque chose de merveilleux en Extrême-Orient. On estime que vivre très vieux est un haut fait, quand bien même on n'a aucun plaisir à rester sur terre et n'est que peine et gêne pour son entourage. Tiens, regarde le chien d'à côté. Ses maîtres se vantent à qui veut l'entendre d'avoir un chien de quinze ans. Et pourtant la pauvre bête est aveugle et boiteuse, et elle aurait dû mourir depuis des années. Au Japon, nous ne savons même pas laisser mourir les bêtes lorsque leur temps est venu. [...]
Grand-maman a été une fort belle femme autrefois, à en juger d'après ses photos, mais nous nous rappellerons uniquement une vieille sorcière hideuse et vindicative. Les gens devraient bien s'éteindre comme une musique, en laissant derrière eux une belle mélodie... »
" (pages 110-111)
Une excellente nouvelle, très sombre.

5/ Shiga Naoya (1883-1971) : L'artiste. 9 pages.
"L'artiste est un des textes le plus souvent repris dans les programmes scolaires." (page 123). Bonne petite nouvelle sur un jeune garçon qui collectionne les coloquintes.
"Séibé ne pensait qu'à sa collection. Un jour, comme il se promenait au bord de la plage, il sursauta : il venait d'apercevoir la longue tête chauve d'un vieillard. Celui-ci sortait en courant d'une des cabines de bain. « Quelle magnifique coloquinte ! » songea aussitôt Séibé. Le vieil homme disparut en hochant son crâne rose. Alors seulement Séibé comprit son erreur, et il éclata de rire. Il rit tout le long du chemin qui le menait chez lui." (page 126).

6/ Shiga Naoya (1883-1971) : Le crime de Han. 17 pages.
Cette nouvelle commence ainsi : "Au cours d'une représentation de lancement de couteaux, un jeune jongleur chinois, nommé Han, trancha la carotide de sa femme. La victime mourut sur-le-champ. Han fut aussitôt arrêté." (page 135).
Le juge d'instruction enquête, on lira l'interrogatoire du directeur du théâtre et de Han.
Très bien.


Même si la traduction fait quand même parfois un peu vieillot, il s'agit d'un recueil de nouvelles vraiment excellent.
Malheureusement, ce recueil était "offert gracieusement" pour le Salon du Livre 1997 (consacré au Japon), et il n'est plus disponible, à part dans les bibliothèques...


- Neuf nouvelles japonaises (traduites par Serge Elisséev et "édité pour la première fois en 1924 par G. Van OEst, Editeur"). Réédité en 1984 par Le Calligraphe. 256 pages.
Ce qui est très sympathique, et assez émouvant, c'est que Serge Elisséev parle au présent des grands auteurs présentés, car ils étaient vivants lors de l'élaboration de ce recueil, certains même n'avaient pas encore donné la pleine mesure de leur talent, d'autres n'avaient plus longtemps à vivre (Akutagawa).
1/ Shiga Naoya (1883-1971) : Le Crime du jongleur (septembre 1913). 19 pages. Il s'agit d'une nouvelle également connue sous le nom Le crime de Han (voir la 5ème nouvelle du recueil L'Iris Fou, on pourra d'ailleurs comparer la traduction du petit extrait). "Il s'était produit pendant la représentation un événement inattendu. Le jongleur chinois Fan avait, avec un couteau, tranché la carotide à sa jeune femme : elle était morte sur place. Fan avait été arrêté immédiatement." (page 7).
Le juge d'instruction enquête, on lira l'interrogatoire du directeur du théâtre et de Han.
Très bien.

2/ Tanizaki Junichirô (1886-1965) : Le Tatouage (1910). 15 pages. "Le Tatouage est le premier texte important de Tanizaki, celui qui marque ses débuts sur la scène littéraire des dernières années de Meiji, et qui va lui permettre assez rapidement d'attirer l'attention des cénacles littéraires et des milieux artistiques en général, attention qui entraînera bientôt les commandes des éditeurs, et aiguisera le regard des censeurs !" (Jean-Jacques Tschudin, La Pléiade, page 1595). Tanizaki s'oppose au naturalisme, "qui trop souvent se contente d'étaler avec complaisance de petites tranches de vie intime, pour mettre d'emblée en oeuvre d'autres options stylistiques et explorer un territoire qu'il ne se lassera plus jamais de parcourir." (page 1597).

Traduction de Serge Elisséev, 1924
Traduction de Marc Mécréant, 1966. Lé Pléiade, 1997.
"Il y avait un jeune tatoueur plein de talent, qu'on appelait Seikichi. Il était fort à la mode et s'était fait la réputation d'être aussi habile que Charibun d'Asakusa, Yappei de la rue de Matsushima et Konkonjirô ; les peaux de plusieurs dizaines d'hommes qui avaient servi de fond aux pinceau de l'artiste avaient fondé sa gloire. [...]
Seikichi s'était fait connaître antérieurement comme peintre d'ukiyo-e ; il appartenait à l'école de Toyokuni et de Kunisada. En tombant au rang de tatoueur, il n'en conserva pas moins une véritable âme d'artiste et une grande sensibilité. Les personnes dont la peau ou la constitution ne lui plaisait point ne pouvaient rien obtenir de lui, et les clients qu'il agréait devaient être prêts à accepter sans discussion le dessin qu'il choisissait et le prix qu'il fixait, et aussi à endurer pendant un ou deux mois la douleur de ses aiguilles.
Dans l'âme de ce jeune tatoueur se cachaient des passions et des plaisirs qui restèrent ignorés des autres hommes. Lorsque la piqûre de ses aiguilles faisait gonfler la chair et la remplissait de sang, ses patients, incapables de supporter la douleur, poussaient des gémissements de souffrance. Plus ils gémissaient et plus l'artiste éprouvait un étrange sentiment de plaisir. Il aimait surtout à exécuter le tatouage au cinabre et le tatouage aux dessins estompés, qui étaient les plus douloureux.
" (pages 32-33).

"Depuis des années son plus vif désir était d'avoir chez lui une belle fille à la peau brillante, qu'il rêvait de tatouer, en y mettant toute son âme. Mais le physique et le caractère de cette femme devaient remplir plusieurs conditions ; un beau visage, une jolie peau ne suffisaient pas à le satisfaire." (page 34).

"Un jeune tatoueur du nom de Seikichi était orfèvre en la matière. Célébré comme étant au moins aussi habile que Charibun d'Asakusa, que Yappei et Konkonjirô de la rue de Matsushima, que d'autres encore, c'est par dizaines que les clients déployaient le satin vierge de leur épiderme sous la pointe de ses pinceaux. [...]

D'abord fanatique de l'école de Toyokuni et de Kunisada, il avait vécu de sa production d'estampes. Déchu au rang de tatoueur, il avait néanmons conservé de l'artiste d'autrefois la conscience scrupuleuse et l'aiguë sensibilité. Faute d'une ossature et d'une peau capables de le séduire, vous perdiez votre temps à vouloir acheter son concors ; et si par hasard il consentait, il fallait lui donner carte blanche pour le choix de la composition comme pour le prix ; et subir de plus un mois, deux mois durant, l'insupportable supplice de ses aiguilles...
Un voeu dès longtemps caressé et des jouissances inconnues d'autrui étaient enfouis au plus profond du coeur du jeune maître. Quand la pointe de ses aiguilles pénétrait les tissus, la plupart des hommes gémissaient de douleur, incapables d'endurer plus longtemps le martyre des chairs tuméfiées, cramoisies, gorgées de sang ; et plus déchirantes étaient les plaintes, plus vive était l'indicible jouissance qu'étrangement il éprouvait.
" (page 4)

"Son voeu secret depuis des années était de trouver une femme d'une incomparable beauté, d'un éclat éblouissant, en qui il pût instiller toute son âme. Pour la nature profonde comme pour la physionomie, elle devait répondre à diverses exigences. Un joli minois, une jolie peau sans plus ne pouvaient le satisfaire." (page 5).

Bien sûr, il va finir par trouver la jeune fille qui convient...
Excellente nouvelle, un classique.

3/ Nagai Kafû (1879-1959) : Le Renard. 26 pages. Le narrateur se souvient du "vieux, très vieux jardin de la maison paternelle où je suis né, dans la rue Kanatomi du quartier Koishikawa. C'était il y a déjà trente ans." (page 52). Il y a un vaste jardin, et un jardinier, Yasukichi, qui s'en occupe.
"Un soir, au début de l'hiver, alors que j'avais tout juste quatre ans, je regardais Yasukichi qui venait de finir d'envelopper de paille les sapins, les palmiers et les bananiers pour les protéger du gel, et qui démolissait une des parois de la margelle du puits toute couverte de champignons blancs desséchés. Ce puits est resté pour moi l'un de mes plus effrayants souvenirs. Toutes sortes d'insectes, des fourmis, des mille-pattes, des vers, des petits serpents, des perce-oreilles, qui dormaient dans leurs demeures hivernales, commencèrent à sortir lentement à travers les planches pourries du puits ; beaucoup de ces bestioles qui s'avançaient en rampant mouraient aussitôt qu'elles étaient exposées au vent froid de l'hiver, en montrant la pâle blancheur de leur ventre." (page 53). Il se passe des événements dans le vaste monde japonais. "C'était peu de temps après la guerre civile entre le Sud et l'Ouest. Il n'était question que de rebelles d'assassins, de brigands et de massacres." (page 56).
Et un renard est aperçu dans le jardin...
Pourquoi les hommes en veulent-ils au renard ? C'est une assez jolie nouvelle sur l'enfance, ses peurs, et l'évaluation des notions du bien et du mal.

4/ Akutagawa Ryûnosuke (1892-1927) : Les Poupées. 23 pages. On trouve également cette nouvelle dans le recueil La Magicienne.
En préambule, nous pouvons lire un poème de Buson :
"Hako wo deru / Kao wasurenu ya / Hina ni tsui"
"Puis-je oublier la fugre des deux poupées qui sortent de la boîte. " (page 78)
(Texte d'Elisabeth Suetsugu : "Boîte entrouverte / Deux visages délicats / Inoubliable apparition").
Puis la nouvelle débute par "Ceci est une histoire racontée par une femme âgée". (page 79 ; à comparer avec la traduction du recueil La Magicienne, le texte établi par Elisabeth Suetsugu disant : "Voici l'histoire qu'une vieille femme m'a contée"... ce qui introduit tout de suite un personnage qui rapporte l'histoire).


La nouvelle est assez classique : "L'engagement de vendre les poupées à un Américain demeurant à Yokohama fut pris au mois de novembre." (page 79). Une famille doit se séparer de ses très belles poupées ("En japonais hina désign les poupées qu'on met sur des étagères le jour de la fête des poupées, le 3 mars. Les poupées avec lesquelles jouent les fillettes s'apppellent ningyô)", nous explique une note) : Impératrice, Empereur, dames de palais, musiciens... La différence de comportement des membres de la famille : attachement aux valeurs ancestrales, ou au contraire adoption immédiate des nouveautés (éclairage) est très évident. Pas mal.

5/ Okada Yachio : Les Trois jours. 18 pages.
"Depuis ce matin Mme Kanako a de graves soucis. Elle songe à sa soeur cadette, qui est venue de la maison natale passer quelques jours chez elle et qui fut hier soir, par malchance, témoin de la conduite peu louable de son mari. Depuis son réveil elle se demande : « Quelles paroles injustes mon mari va-t-il trouver encore pour m'ennuyer ? Que pensera ma soeur en entendant cela ? Mieux vaudrait qu'elle rentrât chez elle avant que mon mari ne s'éveille, ou puisse-t-elle avoir la bonne idée d'aller se promener quelque part ! [...] »" (page 105). (eh oui, Mme Kanako pense en usant de l'imparfait du subjonctif, la vraie classe).
"C'était trois jours auparavant, au retour de la représentation donnée au théâtre Yûrakuza par la troupe Bandman, que l'humeur de son mari avait changé brusquement et était devenue désagréable, à la grande inquiétude de Kanako. Lui qui avait toujours eu des habitudes régulières, rentrait très tard depuis cette nuit-là, et son haleine sentait l'alcool. Et le matin, dès qu'il ouvrait les yeux, il réclamait d'une grosse voix inconnue à Kanako depuis septe ans qu'ils étaient mariés, de l'eau pour se laver le visage." (page 106).
Mme Kanako n'ose pas demander à son mari ce qui se passe. Yumiko, sa soeur, qui n'est pas mariée, ne comprend pas.
"- [...] N'est-il pas naturel de demander l'explication d'une chose qu'on ne comprend pas ?
- Mais mon mari n'est pas un étranger, et il serait déplacé de lui demander avec insistance des explications pareilles.
- Ca, par exemple ! Moi il me semble au contraire que si c'était un étranger, il serait difficile de lui poser des questions, mais du moment qu'il s'agit de son mari, dès que quelque chose dans sa conduite vous paraît étranger, il faut lui en demander les raisons.
- Mais, Yumiko, on a beau se dire tout cela, dans un ménage on ne peut agir à la légère. Sinon, on n'arriverait qu'à une chose : c'est à mettre la discorde dans le ménage
." (page 115).
Bonne nouvelle, notamment la fin.

6/ Kubota Mantarô (1889-1963) : L'Eté qui commence. 15 pages.
Une femme, Mlle Osaki, va se marier. Le mari sait-elle qu'elle avait entretenu une liaison avec un acteur ?
Ils se marient, mais le passé de chacun d'eux va resurgir.
Petite nouvelle pas désagréable.

7/ Hasegawa Nyozekan (1875-1969) : Le Cornac. 49 pages.
"Les nouvelles de Hasegawa Nyozekan présentent quelques difficultés de traduction parce que les personnages parlent toujours un langage individuel, spécial à leur caractère, ce qui donne au dialogue une richesse remarquable. Ainsi le langage du cornac est très expressif, parsemé de mots d'argots. En même temps la syntaxe de son style est très compliquée et il est difficile d'en rendre toute la saveur dans une langue étrangère." (page 145).
" « Allons, allons ! achetez des éléphants ! Des éléphants pour les garçons ! pour les fillettes ! un beau cadeau à rapporter à la maison ! »
L'homme qui criait ainsi, sans prendre garde à ceux qui l'entouraient, avait une figure rouge, sans âge, et ressemblait curieusement aux éléphants qu'il vendrait.
" (page 147). Ces éléphants, ce sont bien sûr des jouets. Le marchand est un veuf qui a une fille de dix-sept, dix-huit ans, qui travaille à l'usine. Il aime boire du saké, ressasser de vieilles histoires... De nombreuses années auparavant, il a été le cornac d'un éléphant. Et il va recevoir une nouvelle proposition...
Bonne nouvelle, avec un "héros" pas très sympathique.

8/ Kukichi Kan (1888-1948) : Le double suicide de Shimabara. 30 pages.
Un écrivain veut écrire un roman feuilleton sur les double-suicides. Il se rend chez un ami à lui, qui lui raconte une affaire sur laquelle il avait travaillé du temps où il était procureur.
Bonne nouvelle, dans laquelle on voit l'humanité et la compassion finir par transparaître dans l'application froide de la justice.

9/ Satomi Ton (1888-1983) : Le bruit des vagues de la rivière. 26 pages.
"Brusquement, il ouvrit les yeux. A en juger par le bruit que faisait les vagues, la rivière devait être singulièrement proche." (page 231). Lui, c'est M.Seta. Il se réveille dans un hôtel. A côté de lui, une Mlle Katsuyo dort toujours.
"Peu à peu, ses yeux s'ouvrirent tout à fait. Son coeur avait le calme de l'automne ; mais il avait aussi la tristesse de cette saison où les feuilles tombent, où les champs fauchés semblent manquer de quelque chose." (page 233).
Il repense à sa femme. "Au début, il avait loué une chambre dans une des dépendances du temps de Katase, et il y avait installé sa femme avec sa mère à lui, une octogénaire d'humeur difficile. Elles attendaient là, toutes deux, comme des objets en consigne, tandis que lui-même, les yeux pleins de force et de sang, se démenait pour « faire » de l'argent." (pages 233-234).
Seta est un type pas bien gai, sans illusions, qui préfère faire boire les autres plutôt que de boire lui-même, et la nouvelle conte son histoire, pas bien gaie et sans illusions. Pas mal du tout.

Globalement, un très bon recueil de nouvelles, qui illustrent la diversité de la littérature des années 20, contemporaine du traducteur-présentateur, Serge Elisséev.

jeunesse

- Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines, Tome 1 - Jeunesse (Sengo tanpen shôsetsu saihakken 1 : Seishun no hikari to kage. 2001). Editions du Rocher. 281 pages. Nouvelles traduites du japonais en 2007 par Jean-Jacques Tschudin et Pascale Simon.
Avant-propos : "Plus d'un demi-siècle est déjà passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et parmi "tous les changements et les transformations qui ont affecté la société, c'est probablement la perte de la solidité (mais peut-être était-elle illusoire ?) qu'avaient eu jusqu'alors les relations humaines au sein de la famille, ou entre amis et connaissances, ainsi que le sentiment de solitude de devoir vivre « sa vie » isolé [...] qui ont marqué les esprits" (page 8).

1/ On commence par Dazai Osamu (19/06/1909-13/06/1948) : Bizan (Bizan, mars 1948 ; traduit par Pascale Simon ; 15 pages).
Bizan, c'est le nom de la serveuse d'un bar-restaurant. Elle est très naïve, à la limite de la bêtise, mais aussi très dévouée, limite collante. Le narrateur et ses amis, habitués de cet établissement, ne se privent pas de la charrier. Méchante et cruelle jeunesse ! Elle leur tape vraiment sur le système. Elle, de son côté, éprouve de l'admiration pour le narrateur (un écrivain, bien sûr) et ses amis.
"[...] l'idée que mon nom ou mes oeuvres pussent être touchées par des gens comme Bizan m'était proprement insupportable. [...] Les écrivains, qui travaillent à la sueur de leur front, allant jusqu'à sacrifier femme et enfants, ne se rendent-ils pas compte qu'ils sont peut-être au service de ce genre de lecteurs ? Cette pensée soulevait en moi un sentiment de dépit et d'amertume si fort que je n'arrivais même pas à en pleurer." (page 22).
En plus d'avoir du mal à comprendre, Bizan a un comportement étrange, fait des étourderies, elle dévale les escaliers lourdement, en faisant beaucoup de bruit, dérange les gens...

Très bonne nouvelle.

2/ Ishihara Shintarô (né le 30/09/1932) : Une parfaite partie de plaisir (Kanzenna yûgi, octobre 1957 ; traduit par Pascale Simon ; 34 pages).
"La buée recommençait à couvrir le pare-brise.
-Revoilà la pluie.
- Je mets les essuie-glaces ?
- Oui.
" (page 27)
Deux hommes sont dans une voiture. On est dans un coin de campagne, il se fait tard.
"[...]
Après le bois de pins, ils franchirent un pont qui débouchait sur un arrêt de bus ; une femme était là, debout devant l'abri." (page 28).
La femme attend le bus.
"- Montez, on va vous déposer à la gare.
Avec un air effrayé, la femme regarda longuement ses lèvres, mais soudain elle rit à nouveau et acquiesça avec lenteur.
- Attends, Takei, monte à l'arrière.
- Pourquoi ?
- Parce que. Tu piges rien, toi. C'est un cadeau qui nous est fait, ça.
" (page 30).
Les deux jeunes hommes sont totalement dénués de moralité. Ils sont du genre à prendre leur plaisir en se fichant complètement des autres. Et la femme de l'histoire est faible, psychologiquement parlant.
Le texte est un peu comme le Funny Games de Michael Haneke : froid et glauque à la fois, avec un style clinique.

Une très bonne nouvelle, mais horrible en même temps. La jeunesse dans ce qu'elle a de pire.

3/ Ôé Kenzaburô (né le 31/01/1935) : Le Centre de recherche sur la jeunesse en déroute (Kôtai seinen kenkyûjo, mars 1960 ; traduit par Jean-Jacques Tschudin ; 23 pages).
Cette nouvelle se "déroule dans le contexte de l'échec politique des luttes menées après-guerre contre le renouvellement du Traité de sécurité nippo-américain en 1960" (postface, page 268).
"Des abîmes de ténèbres pleins de silence s'ouvrent en divers endroits du monde réel ; aux approches de ces abîmes dispersés çà et là, le monde réel s'incline en entonnoir et les êtres sensibles, au contraire, dévalent de ces pentes pour s'en aller plonger dans l'obscur silence des abîmes et faire ainsi l'expérience d'une géhenne implantée dans le monde réel.
Pour ma part, il m'est arrivé une fois de me tenir en observateur, comme un gardien des enfers, au bord de l'un de ces sombres abîmes. Les créatures sensibles glissant dans l'entonnoir de celui dont j'avais la charge étaient des jeunes gens qui avaient vécu personnellement un échec politique ou idéologique, des jeunes gens atteints dans leur âme.
" (page 61).
Le narrateur, vingt ans, a un petit boulot d'étudiant dans un minuscule centre de recherches, le Gorson Interview Office, dirigé par Mister Gorson, un jeune Américain, chercheur socio-psychologue de trente ans. Tous les mois, Mister Gorson envoie à un centre de recherches, aux Etats-Unis celui-ci, les données recueillies au Japon : il s'agit des interviews d'étudiants déprimés, d'anciens activistes ayant perdu leurs illusions.
"Tant que j'étais au bureau, je ressentais une extrême mélancolie, comparable à celle des étudiants qui nous rendaient visite." (page 65).
Bien sûr, il ne peut pas y avoir indéfiniment des jeunes en déroute venant, contre rémunération, raconter leurs vies. Pour ne pas perdre son emploi, il faut parfois être... - comment dire ? - pro-actif...

On est chez Ôé : le jeunesse, les mouvements politiques, les idéologies (ou ce qu'il en reste)... C'est une bonne nouvelle.

4/ Ogawa Kunio (né le 21/12/1927) : Les Champs pétrolifères de Sagara (Sagara yuden, juillet 1965 ; traduit par Jean-Jacques Tschudin ; 20 pages).
Une jeune institutrice, Kanbayashi Yumiko, fait classe à des sixième. Le cours est consacré au pétrole.
"Lorsque, pendant la classe de science, elle avait demandé à Hiroshi où l'on trouvait du pétrole au Japon, il avait été capable de répondre que c'était dans les départements de Niigata et d'Akita ainsi que sur la côte orientale de l'île de Karafuto. Puis il avait ajouté :
- On en trouve aussi à Omaezaki.
[...] Avec l'impression furtive de ne pas être cru, Hiroshi avait alors eu envie d'insister résolument. [...] Mais aucun mot n'arrivait à sortir, comme si ses lèvres étaient grippées par la rouille.
- A Omaezaki... ? Ah bon ! je n'étais pas au courant, mais je vais vérifier, avait-elle répondu
." (page 88).
"La question de savoir s'il y avait réellement des champs pétrolifères à Omaezaki en venait à le préoccuper. Qu'il y en eût, il était certain de l'avoir entendu dire quelque part. Mais il ne se rappelait plus qui avait raconté cela, ni quand ni où ça s'était passé." (page 89).
Cela va vraiment le perturber, il va en rêver... La suite baigne dans un onirisme symboliquo-étrange que l'auteur semble apprécier.

Un texte très lisible.

5/ Maruyama Kenji (né le 23/12/1943) : L'arrêt de bus (Basu-tei, mars 1977 ; traduit par Jean-Jacques Tschudin ; 23 pages).
Une fille issue de la campagne est allée en ville gagner sa vie. Elle est visiblement devenue entraîneuse, ou quelque métier équivalent.
Elle revient pour quelques jours dans sa campagne natale. Elle se sent en décalage total : elle peut raconter n'importe quoi, semble-t-il, on la croira.
La nouvelle se passe quasiment entièrement à l'arrêt de bus où la fille se trouve, en compagnie de sa mère, et où elle attend le bus qui la mènera à la gare où, enfin, elle pourra revenir à la Grande Ville. Enfin, elle pourra boire la bonne bière fraîche dont elle rêve... Est-ce que ses parents se demandent d'où elle sort son argent ?
La communication qui n'est finalement plus possible entre la fille et ses parents - et la petite bourgade en général - car ils sont restés ce qu'ils sont, tandis que la fille a changé au contact de la ville, et n'ont maintenant plus rien en commun, est très bien rendue : la mère paraît un peu intimidée, et en même temps, elle a les mêmes gestes qu'autrefois (elle sort une serviette de toilette pour essuyer la sueur de sa fille). Elle fait un peu honte à sa fille, qui en même temps ne peut pas la rejeter complètement.

Pas mauvais texte.

6/ Nakazawa Kei (née le 06/10/1959): Franchissant le bras de mer (irie e koete, avril 1983 ; traduit par Jean-Jacques Tschudin ; 39 pages).
Sonoé est une jeune fille en lycée. "Elle était partie de chez elle en prétendant que le camp organisé par le comité responsable de la bibliothèque, prévu pour deux nuits et trois jours, s'étendait sur trois nuits et quatre jours [...]". (pages 129-130).
Elle y va en avance. Ainsi, elle pourra passer une journée avec Nirono Minoru, un charmant jeune homme. Mais va-t-il vraiment venir ? Aurait-elle mal compris ? Ou pas ? Ou si ? Ou bien non ? Ou bien peut-être que... va-t-il rompre sa promesse ? Ou pas ? Ou peut-être ?
Pourra-t-elle faire cette chose-là ?
"Lorsqu'on approche son nez du tronc, chaque arbre, qu'il s'agisse d'un orme ou d'un gingko, dégage une odeur qui lui est propre. Bien que cette odeur soit totalement différente de celle laissée dans la salle de classe par les garçons après qu'ils ont changé de tenue, Sonoe pensait que l'odeur dégagée par les arbres était semblable à celle cachée au fond du corps de l'autre sexe." (page 138).

C'est vraiment très long - la plus longue nouvelle du recueil). Il décrit peut-être en profondeur la psychologie adolescente, mais ce que cela peut être ennuyeux !

7/ Tanaka Yasuo (né le 12/04/01/956) : Comme avant (Mukashi mitai, février 1987 ; traduit par Jean-Jacques Tschudin ; 20 pages).
"Ça alors ! Et dire qu'on est dimanche matin, quel événement !
Lorsque j'étais descendue à la salle à manger, maman était assise dans son rocking-chair, en train de lire le journal.
" (page 169).
La narratrice est une jeune femme, "secrétaire particulière du vice-président d'une Consulting Company" (page 170). Son fiancé, Yûichirô, est un journaliste actuellement en déplacement à Manille pour couvrir la situation politique tendue. C'est le portrait d'une jeune fille assez d'une famille assez aisée, bourgeoise, un peu occupée d'elle-même.
Elle aime son fiancé, c'est du moins ce qu'elle pense (ou croit, ou voudrait penser : "Lorsque j'étais avec lui, même sans connaître des moments éblouissants, je pouvais toujours garder un état d'esprit tranquille et détendu", page 185), mais va manger avec son ancien amant, homme à femmes, avec qui, finalement, elle a vécu des moments plus intéressants ("A cette époque, chaque jour était un plaisir", page 184). Elle va se ranger et, pour cela, semble se persuader qu'elle aime son Yûchirô.

Une nouvelle un peu triste, pas complètement marquante, mais pas mauvaise non plus.

8/ Miyamoto Teru (né le 06/03/1947 -) : Un chemin écrasé de chaleur (astui michi, été 1987 ; traduit par Jean-Jacques Tschudin ; 23 pages).
Deux amis, le narrateur et Ôsugi, vont manger. Ils discutent du passé.
"- Tu te souviens de Satsuki, non ? [...]
Devant son index ainsi tendu, je me suis mis à rire doucement et, bien que j'aie parfaitement compris, je lui ai demandé :
- Satsuki ?
- Oui, la Satsuki du marchand de vélos ! Tu vas pas me dire que c'est tellement flou et lointain que tu t'en souviens pas !
" (page 191).
Ah, comment ne s'en souviendrait-il pas de cette fille, une "sang-mêlé nippo-américaine" !

Malgré un petit côté artificiel (pourquoi Ôsugi ne lui a-t-il jamais parlé de tout ce qu'il va lui apprendre ? "Il m'avait souvent parlé de ce restaurant des bas quartiers", page 191, ce qui veut dire qu'il se sont vus ou parlé à de nombreuses reprises) qui permet au lecteur de découvrir tout ensemble le passé lointain et le passé très proche, l'un dans l'autre, c'est quand même une bonne nouvelle qui "fait revivre avec éclat les sonorités exubérantes du parler d'Ôsaka" (postface, page 270).

9/ Kita Morio (né le 01/05/1927) : Kamikôchi (Kamikôchi, mai 1988 ; traduit par Jean-Jacques Tschudin ; 30 pages).
C'est visiblement un texte autobiographique. Le père du narrateur est un écrivain connu de tanka. Dans la vie quotidienne, il est désagréable, colérique. Son fils n'a jamais rien lu de lui. Son père a quitté sa mère, sans qu'il sache pourquoi.
"Ces poèmes de sa première période provoquèrent en moi une émotion qui me submergea." (page 219). Il se met à écrire lui-même des petits poèmes.
On est pendant la guerre. Le narrateur est étudiant, il va assister à la cérémonie d'entrée à l'"Ecole supérieure", puis se présenter à Tôkyô, convoqué par l'armée. Auparavant, il se rend à Kamikôchi, vallée connue pour ses beaux paysages (voir ici).
C'est un peu long. Il marche, collectionne les insectes, et en oublie sa volonté enfantine de se sacrifier héroïquement pour le peuple japonais.

C'est un texte qui brasse de nombreux thèmes de thèmes qui ont du potentiel (la guerre lointaine avec ses bombardements / la nature présente, les sentiments enfantins vus à distance par le narrateur adulte, la dualité d'un père écrivain colérique mais auteur de très beaux tanka...), mais finalement se focalise trop sur tout ce que le narrateur fait, où il va, s'il a mal aux pieds, quel sentier il suit, où il arrive, ah, le pont a été emporté paraît-il, il faut suivre la rive gauche de la rivière (pas la droite, hein, la gauche).

10/ Kanai Mieko (née le 03/11/1947) : Couleurs d'eau (Mizu no iro, automne 1992 ; traduit par Jean-Jacques Tschudin ; 20 pages).
Voilà une nouvelle dont il est difficile de parler. Le style est extrêmement prépondérant, les phrases très longues (presque deux pages pour la première), très travaillées.
Une femme s'est suicidée, elle s'est noyée.
"[...] sur le pont en dos d'âne ainsi que tout le long du parapet - des piliers de granit rectangulaires dressés comme des pierres tombales entre lesquels on a fixé des barres de fer - qui entoure les douves, il y a beaucoup de monde qui se penche en avant, vers un espace en demi-cercle où s'est formé un attroupement, là, de l'autre côté du parapet, le sol est plein d'eau et couvert par endroits d'algues boueuses, brunes ou d'un vert sombre presque noir, mais comme on ne voit rien, nous nous accroupissons et nous pouvons apercevoir, entre les jambes du groupe de adultes, la suicidée étendue sur le sol mouillé : son sous-kimono en tissu rouge orné d'arabesques blanches de fleurs et d'herbes automnales, noué à la taille d'un cordon rose, est complètement détrempé, et ses longs cheveux restent, comme des algues dégoulinant d'eau, collé sur son cou et sur son visage blanchâtre, un visage légèrement tourné de profil qui semble dur comme de l'asphalte sec, alors que ses bras et ses jambes reposent bien alignés le long du corps." (page 255).
C'est indéniablement bien écrit. On aimerait lire d'autres textes de cet auteur. Les textes volontairement - et ostensiblement - très travaillés ne sont finalement pas très courants dans ce qui est traduit chez nous

En conclusion, un recueil globalement pas inintéressant, mais vraiment inégal.
On constate que les textes les plus réussis sont généralement ceux écrits par des auteurs déjà bien connus chez nous (Dazai, Ôé, Miyamoto Teru) ou réputés (Ishihara Shinrarô). Et que Kanai Mieko semble être une auteure intéressante (d'ailleurs, il paraîtrait qu'un livre de Kanai Mieko, Le livre de mots, sortirait en français...)

 

le secret de la petite chambre
En couverture : estampe d'Utamaro, détail.

- Le Secret de la petite chambre. Deux récits érotiques traduits du japonais en 1994 par Elisabeth Suetsugu et Jacques Lalloz. Picquier Poche. 134 pages. Introduction de Hiroshi Suetsugu.
Ce livre contient deux nouvelles érotiques : Le Secret de la petite chambre (attribuée à Nagai Kafu) et La Fille au Chapeau rouge (Akutagawa ?).
"Les deux textes qu'on va lire contrastent à plusieurs égards." (introduction, page 7). Le lieu, mais aussi notamment le style. Là, en français, ça n'est pas évident. "[...] si Le Secret de la petite chambre est écrit en une langue extrêmement raffinée et composé avec une grande habileté, sa haute tenue s'accompagnant d'un style délibérément archaïque, dans La Fille au chapeau rouge, c'est l'observation qui prend le pas sur le style : fioriture et outrance sont écartées au profit d'une description qui se veut sans fard et qui se soumet aux exigences temporelles qu'impose sa forme de journal." (page 7).

1/ Le Secret de la petite chambre (de la plume fantaisie de Kinpu Sanjin) (Yojôhan fusuma no shitabari) a été publié pour la première fois en 1940. Il est attribué à Nagai Kafû. 23 pages.
Le narrateur, Kinpu Sanjin, trouve par hasard un texte écrit par un "audacieux pinceau" et qui commence par :
"« ... La soif de plaisir que tout un chacun porte en soi est inextinguible et ne trouve de fin qu'avec la mort. [...] Je n'ai fait qu'aller d'une femme à l'autre, les belles se sont succédé sans que jamais lassitude me gagne, et me voici, ayant gravi la moitié de l'échelle de la vie, que dis-je, une année déjà, deux même se sont écoulées depuis que j'ai dépassé la cinquantaine. [...] Et je reste confondu devant mon impuissance à renoncer à la volupté." (page 21).
A vingt ans, lorsqu'il voyait "s'amuser des vieillards de quarante ou cinquante ans, me venaient involontairement aux lèvres les mots : « Vieux dégoûtants ! Sagouins !», car si la passion et la jeunesse peuvent excuser bien des fautes, que dire de ceux qui, parvenus à l'âge de faire la part des choses, se servent des femmes comme de jouets dont ils s'amusent sans éprouver de honte, malgré la répugnance qu'ils leur inspirent, grâce à la puissance que leur confère l'argent ?" (page 22).

"Je me souviens du temps où O-Sode, ma femme, s'appelait encore Sodeko, car elle était alors geisha. Agée de vingt-trois ou vingt-quatre ans, elle était en plein épanouissement, et j'avais remarqué qu'elle était bien en chair, tout en étant petite et menue. Sans lui laisser seulement le temps de se défendre, j'avais réussi à l'amener à passer la nuit avec moi." (page 25).
Suivent douze pages très explicites.

Ce récit est le portrait, ou plutôt la confession, d'un homme qui ne peut se contenter, comme il le dit, des trois repas assurés chez lui, et qui se paye le luxe de consommer ailleurs. "Si l'on admet cet état de fait, elle [sa femme] n'aura nul besoin d'éprouver de la jalousie à l'égard des autres femmes." (page 38).
C'est un petit texte pas inintéressant, mais la scène de coucherie - malgré la sorte de combat tactico-psychologique entre le narrateur aguerri et Sodeko - est quand même un peu longue...

2/ La Fille au Chapeau rouge (Akaï bôshi no onna). Ce texte est traditionnellement attribué à Akutagawa. 90 pages.
L'histoire commence "Le jeudi soir, sous les arbres du Tiergarten".
"Il y a quelques jours que j'étais arrivé ici, à Berlin, en provenance directe de Paris. Indifférent au dénuement et aux privations auxquels l'Allemagne de l'après-guerre était alors en proie, j'occupais mes journées à visiter les monuments historiques et les musées, en jouant de l'obligeance d'amis à qui la ville était familière." (page 45).
Un jour, quittant ses amis, il va se promener tout seul.
"J'avais l'humeur à décliner même la société de mes aimables guides que mon idée inquiétait, et à rester seul." (page 45).
Il regarde les femmes, et certaines lui rendent bien son regard... Mais comment communiquer avec elles ?
En effet, il ne connaît pas un traître mot d'allemand (page 48, ce qui est démenti à la page 53, lorsqu'il dit avoir pris la précaution d'acquérir les rudiments de cette langue... curieuse contradiction).
Il tente de parler français, mais il sent que cela peut être mal perçu... d'ailleurs, à un moment, dans un hôtel, il voit une affiche rédigée en français "« Les Français et les Italiens ne sont pas autorisés à fréquenter ces lieux. »" (page 110)
"Et c'est d'un regard de convoitise que je balayais la foule depuis quelques minutes.
C'est alors précisément que je distinguai une passante, à petite distance de l'endroit où j'étais. Une femme coiffée d'un chapeau rouge et en robe bleu foncé, la taille si menue qu'on eût pu la prendre pour une Japonaise. A peine l'eus-je aperçue que je me mis à marcher dans son sillage ainsi que par l'effet de quelque aimantation
." (page 49).

On apprend que, dans l'Allemagne en crise de l'époque, les Japonais (notamment) avec leurs yens sont les rois du monde : le jour du début de la nouvelle, un petit yen équivalait à quelque chose comme 15 millions de marks... reste bien sûr à savoir ce qu'on peut acheter avec.
"[...] il s'avère qu'en effet, l'immense majorité de nos compatriotes qui étudient ici - qu'ils touchent une bourse de l'Etat ou séjournent à leurs frais - ne sont pas en manque de femme. Par les temps qui courent, les jeunes filles bien elles-mêmes, plutôt que de recevoir un salaire de misère dans quelque magasin ou usine, préfèrent apparemment se mettre avec un Japonais enrichi par la guerre." (pages 80-81).
Comme le dit un de ses amis, un peu ivre à ce moment-là : "Eh bien, te rends-tu compte, c'est à la guerre qu'on doit tout cela !" (page 80).

Bien sûr, il y a les inévitables et très descriptives scènes de coucherie (pas toujours couché, d'ailleurs), mais cette nouvelle a un vrai intérêt, et est finalement marquante, grâce aux problèmes qui se posent au narrateur non germanophone (comment sauver les apparences au restaurant lorsqu'il y invite sa conquête, avec qui il ne se comprend pas ?), au fait que le narrateur veut respecter les convenances vis-à-vis de ses compatriotes Japonais qui vivent à Berlin (et ils sont nombreux !), et donc de manière générale grâce au contexte, à tout ce que l'on voit de sordide dans le Berlin de ces années d'après première-guerre, avec toutes ces jeunes filles qui cherchent à lier connaissance avec des Japonais forcément riches... Dure et triste époque.

Le recueil aurait mérité de s'appeler La Fille au Chapeau rouge, mais c'est sûr que Le Secret de la petite chambre laisse moins de doute quant au contenu.

 

amours
Couverture : Lorenzo Mattotti

- Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines, tome 3 - Amours (Sengo tanpen shôsetsu saihakken 3 : Samazama naren.ai. 2001). Editions du Rocher. 308 pages. Nouvelles traduites du japonais en 2008 par Jean-Jacques Tschudin.

"De tous les volumes de cette anthologie, le présent recueil est celui où la proportion des auteurs féminins est la plus importante, mais, en se plaçant dans le cadre de la littérature de l'après-guerre, on peut légitimement penser que cela reflète une situation dans laquelle le thème de l'amour en est venu à constituer inéluctablement une sorte de champ de bataille pour les romancières. Cette situation [...] découle fondamentalement du fait que, dans la société japonaise d'après-guerre, l'amour lui-même ne peut éviter d'avoir une dimension de mini-combat politique et d'être le théâtre de manoeuvres entre des hommes encore pris dans une vision traditionnelle de la femme et des femmes qui se sont, elles, rapidement réveillées." (Shimizu Yoshinori, postface, page 288).

Les douze nouvelles, présentées chronologiquement (comme dans les trois autres volumes thématiques), permettent de percevoir en partie l'évolution des moeurs après la Seconde Guerre Mondiale. On peut quand même se demander si une nouvelle de 1953 devraient faire partie d'une anthologie de nouvelles contemporaines.

1/ Yamakawa Masao (25/02/1930-20/02/1965) : Feux d'artifice de midi (Hiru no hanabi, mars 1953; 17 pages).
Un jeune homme et une jeune fille vont assister à un match de base-ball.
"Lorsqu'elle avait rendez-vous avec lui, ce garçon de dix-neuf ans de quatre ans son cadet, elle s'habillait toujours jeune. Cet effort se retrouvait aussi dans son comportement. Mais peu à peu, ce manège avait fini par le laisser indifférent." (page 13). Elle lui annonce qu'elle va se marier.
"Pour lui, tout cela était inattendu. L'annonce du mariage de la jeune femme. Et aussi le sentiment de bonheur d'être à ses côtés qui s'était rapidement emparé de lui à l'instant où elle lui avait annoncé la nouvelle.
" (page 19).
Que restera-t-il de leur histoire ? Le jeune homme se remémore un feu d'artifice qu'ils avaient vu ensemble des mois auparavant : "Ou plutôt mon amour pour elle, toutes les choses que j'ai vues en elle, tout cela ne se résumera-t-il pas justement à ces feux d'artifice ?..." (page 23).
Bonne nouvelle mélancolique et délicate.

2/ Dan Kazuo (03/02/1912-02/01/1976) : Un chemin de lumière (Hikaru michi, mai 1956 ; 27 pages).
Une note précise que l'histoire s'inspire d'un épisode du Journal de Sarashina, un texte du XI° siècle (la même note donne une indication sur la fin de la nouvelle, ainsi que sur celle du texte du XI° siècle, ce qui est dommage). Un homme de vingt-trois ans travaille comme garde du Palais.
"Bien qu'il possédât une force musculaire hors du commun, il semblait avoir du mal à s'habituer à la vie de garnison, car son tempérament inné le disposait à trouver son plaisir dans les choses de la nature." (page 30). Une matinée de fin d'été, la troisième fille de l'empereur, qui venait de fêter ses seize ans, le remarque. "À travers les interstices du store, le soleil matinal traçait des rayures sur son front délicat, des rayures qui semblaient onduler, tremblantes." (page 32).
Elle ne connaît rien à la vie. Elle lui demande de l'enlever...
Très bonne nouvelle, qui combine beauté et violence, très bien écrite.

3/ Iwahashi Kunie (10/10/1934-11/06/2014) : Contre-jour (Gyaku-kôsen, juin 1956 ; 33 pages).
"Une étudiante se met à séduire délibérément le professeur d'une université féminine, alors qu'elle entretient déjà une relation intime avec son fils. Ce récit, qui dépeint hardiment les gestes et paroles ainsi que le comportement sexuel des étudiantes libérées de l'après-guerre, créa un choc au moment de sa parution." (Shimizu Yoshinori, postface, page 291).
Globalement pas mauvaise mais trop longue, cette nouvelle présente l'intérêt de plonger le lecteur dans un milieu dans lequel les moeurs ont évolué rapidement. Les étudiants de l'époque truffaient leurs phrases de mots occidentaux :
"« Lui, c'est un old rigoriste ! [...]» « Tu sais, il s'intéresse à you ! Tu devrais try pour voir ! » Ce qu'avait fait Shigeko qui formait désormais avec Fumio un couple d'amoureux, de liebe camarades, ouvertement reconnus comme tels par leurs amis." (page 64).
Le lecteur lit aussi, un peu stupéfait : "Un concerto pour piano de Debussy était venu remplacer le disque qui [...]" (page 65). Quelle est cette étrange réalité alternative dans laquelle Debussy a écrit un, voire plusieurs concertos ? Est-ce un problème dans le texte japonais, ou bien un accident de traduction ?

4/ Maruya Sai.ichi (27/08/1925-13/10/2012) : Le Cadeau (Okurimono, octobre 1967 ; 21 pages ). La nouvelle met en scène des soldats japonais qui viennent d'être démobilisés après la défaite. Dans quelques jours, ils devront remettre leur matériel aux Américains. "Ce fameux 15 août, j'étais stationné dans un petit village au bord du Pacifique, dans le département d'Aomori, tout près de celui d'Iwata. Je commandais un détachement de canon d'infanterie. [...]
Par-dessus le marché, le commandant n'arrêtait pas de picoler, et il m'attrapait tout le temps pour me demander mon avis : « Alors le Japon, à partir de maintenant, qu'est-ce que tu crois qu'il va devenir ? » Tu comprends, c'était un entrepreneur en travaux publics du Hokkaidô. Comme il avait jusqu'alors maltraité et exploité à mort les travailleurs coréens, il était terrifié à l'idée qu'ils prennent leurs revanche.
" (page 92). Dans ce contexte d'incertitude et de flou quant à l'avenir et aux relations hiérarchiques, les hommes regardent particulièrement une femme du village...
Bonne nouvelle.

5/ Oba Minako (11/11/1930-24/05/2007) : le Daim décapité ( Kubi no naai shika, printemps 1969 ; 20 pages).
La nouvelle commence ainsi : "Une baleine avait dû être tirée sur le rivage et la mer était toute rouge. Après le dépeçage de la viande, qui avait été répartie entre les villageois, la carcasse abandonnée, avec ses gros vaisseaux sanguins encore accrochés de chaque côté de la colonne vertébrale, continuait de saigner, agitée par les rouleaux qui arrivaient sur la plage." (page 113). C'est violent, ça commence de façon frappante. Ensuite, on a plein de symboles, un artiste raté mais homme dominateur, une femme qui "ne peut vivre qu'aux pieds de l'homme" (postface, page 293). On peut aimer, ou pas.


6/ Seto.uchi Harumi (15/05/1922) : Deux plus un (Futari to hitori, février 1972 ; 132 pages)
"Comme ces moments de lassitude et de crise qui font cycliquement irruption dans toute longue relation amoureuse, rythmant l'existence de la même façon que les dimanches et les jours de fête viennent apporter quelques sursauts colorés dans la vie quotidienne, les petites chamailleries de ce couple, qui parfois dégénéraient en de sérieuses querelles, se succédaient à intervalles aussi réguliers que les noeuds d'un bambou." (page 153).
Cette nouvelle "présente la félicité étrangement satisfaite de la période de lassitude de l'amour, ou plutôt du moment où l'on est embourbé dans les sédiments de la passion." (postface, page 293).
De Seto.uchi Harumi, je n'avais déjà pas aimé son roman La Fin de l'Eté ; j'ai trouvé cette nouvelle très ennuyeuse.

7/ Noro Kuninobu (20/09/1937-07/05/1980) : L'Amant (Koikito, mars 1974 ; 18 pages).
Un homme et une femme prennent ensemble un bateau-promenade. "Nous éprouvions sous nos pieds les vibrations bruyantes de la lourde machinerie. Il faisait nuit sur le port." (page 165). Qu'est-ce que la femme veut annoncer à l'homme qui l'aime, sachant qu'elle-même est amoureuse depuis des années d'un autre homme, marié ?
Une nouvelle très lisible.

8/ Takahashi Takako (02/03/1932-) : Une constitution maladive (Byôshin, juin 1978 ; 20 pages).
Au début, une femme et un homme se parlent au téléphone. L'homme annonce qu'il est malade. C'est un habitué des maladies. La femme veut en savoir plus, apprendre tous les détails pour tenter de connaître l'homme de l'intérieur : en effet, la maladie peut être une sorte de révélateur.
"Comme elle vient de recevoir un coup de fil annonçant une nouvelle maladie, elle est à nouveau gagnée par l'excitation. C'est une piste de plus. En effet, de la même manière que les mots employés par quelqu'un sortent de son être profond, la maladie, elle aussi, provient de l'intérieur de cette personne." (page 193).
Il y a une certaine originalité dans cette nouvelle pas mauvaise du tout.

9/ Ôoka Shôhei (06/03/1909-25/12/1988) : L'Enterrement d'Ophélie (Ofelia no maisô, février 1980 ; 21 pages)
"Ce texte est un fragment, publié en tant que nouvelle indépendante, de l'ensemble réuni plus tard sous le titre de Hamuletto nikki [Journal de Hamlet]. Il s'agit - est-il nécessaire de le préciser ? - d'une tentative de réécriture du Hamlet de Shakespeare sous la forme d'un journal intime rédigé à la première personne [...]" (postface, page 295).
"Un homme chantait tout en creusant une fosse. C'était le cimetière où l'on enterre les nobles de la cour d'Elseneur ainsi que les riches bourgeois. Jadis, il m'était souvent arrivé de remplacer mon père pour assister aux funérailles des gens de cour. D'ailleurs le visage du fossoyeur m'était familier. [...]
- Cette tombe, à qui est-elle ?
- Elle est à moi.
- Quoi ?
- Vous voyez bien ! Comme je suis dedans en train de creuser, c'est donc la mienne.
" (page 207).
" [...] ce récit construit un univers original qui utilise la diction des pièces historiques du théâtre classique japonais." (postface, page 296).
Ce n'est pas mauvais, mais quand même : de Ôoka Shohei, l'auteur des Feux, dont l'un des grands thèmes est la Seconde Guerre Mondiale, n'était-il pas possible de trouver une nouvelle plus personnelle ?

10/ Yamada Eimi (08/02/1959-) : Feux d'artifice (Hanabi, août 1989 ; 21 pages)
"Bien que ce soient les vacances d'été, ma grande soeur n'était pas rentrée à la maison, causant ainsi beaucoup de soucis à nos parents. Apparemment, cela faisait déjà un bon moment qu'elle avait quitté la société où elle était employée pour travailler le soir dans une boîte de nuit. Elle avait annoncé la nouvelle sans la moindre gêne, ce qui avait complètement affolé la famille." (page 225).
La narratrice est une fille de dix-neuf ans, pétrie de rêves romantiques, mais qui n'a pas vécu grand-chose. Elle va être envoyée par ses parents pour se rendre compte de la situation de sa soeur... Tout en réprouvant la vie que mène sa soeur, la narratrice va voir ses certitudes quelque peu ébranlées...
Bonne nouvelle, avec un fond de pessimisme.

11/ Uno Chiyo (28/11/1987-10/06/1996) : Une histoire de galets (Aru koishi no hanashi, août 1992 ; 9 pages).
Un homme et une femme se connaissent depuis longtemps. Ils s'apprécient mais ne sont jamais allés plus loin. Un événement va peut-être changer cette situation...
Une jolie nouvelle.

12/ Takagi Nobuko (09/04/1946-) : Lévitation (Fuyô, mars 1993 ; 27 pages).
Un homme, professeur d'université marié, et une femme, mariée elle aussi, ont une attirance réciproque. Mais ils hésitent, semblant apprécier de se rencontrer sans qu'il se passe rien d'autre.
Un jour, l'homme a fait le dessin d'"une plante de la famille des morènes aquatiques qu'on appelle awaremo." (page 274). Il va expliquer les particularités de cette plante, particularités en résonance avec la situation qu'ils vivent...
Original, pas mauvaise du tout.

"A relire les douze nouvelles de cette anthologie, on se retrouve avec le sentiment que, plus l'après-guerre s'éloigne, et plus, généralement parlant, les relations amoureuses deviennent difficiles du côté masculin." (Shimizu Yoshiniori, postface, page 298)

Un recueil inégal, mais intéressant.



amours

- Je mange bien, ne t'en fais pas - quatre récits de coeur et de cuisine (Cheese to shio to mame to. 2013). Philippe Picquier. 177 pages. Récits traduits du japonais en 2021 par Déborah Pierret-Watanabe.

"La collection Le Banquet réunit des oeuvres japonaises inédites où la nourriture occupe une place centrale, celle du plat de résistance." (Ryôko Sekiguchi page 5).

Tout d'abord quelques pages sont consacrées au "Fenouil, parfum du terroir", par Armand Arnal, chef du restaurant La Chassagnette à Arles. Ce texte finit par : "La cuisine, pour moi, c'est l'écoute. Il y a une logique des vivants et si on possède cette qualité d'écoute, le reste suit cette logique et l'énergie coule tout naturellement, le goût et le parfum avec. Je fais en sorte que les légumes acceptent de venir vers moi, qu'ils se laissent cuisiner." (page 9)

Puis viennent quatre récits, écrits par quatre auteures différentes. Pourquoi n'y a-t-il que des photos d'elles, photos jugées apparemment plus importantes qu'une présentation ne serait-ce que de quelques lignes, une petite biographie et/ou bibliographie ? Par exemple, concernant Mori Eto, elle est (merci Wikipedia) notamment l'auteure du roman Colorful, dont l'adaptation en animé a eu du succès (prix à Annecy...), alors pourquoi ne pas l'écrire ?... De plus, c'est me semble-t-il son premier texte traduit en français. Pourquoi ne rien en dire et obliger le lecteur à aller voir sur le Net ?
Mais, surtout, pourquoi quatre auteures japonaises ont-elles décidé d'écrire des textes situés en Europe dans lesquels la gastronomie locale joue un grand rôle ? Ces textes ont-ils été écrits pour ce recueil ou bien rassemblés après coup ? Pourquoi le choix de ces pays, de ces régions ? Des affinités ? Un tirage au sort ? Eh bien, on ne le saura pas. Il était apparemment plus important de consacrer plusieurs pages au "Fenouil, parfum du terroir". Il y a vraiment des choses qui m'échappent.
Mais arrêtons de râler et lisons les quatre récits du recueil.

1/ Kakuta Mitsuyo (1967-) : Le Jardin de Dieu (43 pages).
Nous sommes dans une petite ville du Pays Basque. Le père de la narratrice est restaurateur. Il va annoncer à toute la famille que sa femme, hospitalisée, n'en a plus pour longtemps. Cependant, il le fait en proposant de bons petits plats, ceux justement que sa femme aime, même si elle ne peut pas être présente. Cette façon de faire révolte la narratrice : ce type d'annonce, ça ne doit pas être une fête où l'on mange et où l'on boit ! Le lecteur comprend facilement la raison de ce choix, mais la Jeunesse, elle, se braque sans chercher à comprendre, c'est bien connu.
Dès lors, la narratrice va tout faire pour quitter cette petite ville arriérée et découvrir enfin d'autres horizons, la grande ville, tout ça. La façon dont elle finira par comprendre le choix de son père n'est pas mal amenée. Mais on se dit que, quand même, elle aurait pu comprendre plus tôt (ce qui est certes plus facile quand on n'est pas émotionnellement impliqué). Le texte est un peu long, mais cette longueur permet sans doute de mieux ressentir les tournants que peut prendre une vie non planifiée dès le début, quelqu'un qui se cherche.
Plus anecdotiquement (et pour le plaisir de râler), l'héroïne a beau avoir fait des études, elle a des problèmes avec les maths :
"La plupart du temps, j'occupe un poste dans un bureau à Barcelone. Mais deux fois par an environ, je pars pour des séjours de trois à six mois [...]" (page 43).
Ma calculatrice me dit qu'elle est donc absente entre 6 et 12 mois par an. Quand elle dit qu'elle est à Barcelone la plupart du temps, j'ai comme un doute sur ce que je lis.

2/ Inoue Areno (04/02/1961-) : Les Raisons (33 pages). Inoue Areno est l'auteure d'un grand nombre de romans, nouvelles, essais. En français, on ne trouve que L'Ode au chou sauté (j'ai craqué à la moitié, je ne parlerai donc pas de ce roman), qui a inauguré chez Picquier la collection Le Banquet. Cette fois, nous sommes dans une petite maison isolée du Piémont. Le récit commence ainsi :
"Pourquoi ? me demandaient-ils tous. [...]
Des raisons, je pourrais leur en donner à l'infini. Il était gentil. Viril. Bon cuisinier. Intelligent. Cultivé. Il avait bon goût. Des yeux magnifiques. De grandes mains. Le corps chaud. Il sentait bon.
Je pourrais leur dire que même s'il prenait de l'âge, il restait jeune dans sa tête. Que son corps aussi était suffisamment jeune. Que soixante ans, ce n'était pas vieux. Que même si c'était un vieil homme, il était formidable. Il était formidable justement parce que c'était un vieil homme.
Vraiment, il existait une myriade de raisons pour lesquelles j'aimais Carlo. Mais..."
(page 59). Carlo n'est pas en bonne santé, pour dire le moins... Par flashbacks, on va savoir comment est née la relation de la narratrice avec son professeur d'anglais. On est plus dans le passé que dans le présent, mais on sent que la narratrice va devoir laisser ce passé et aller de l'avant.
Un petit récit pas très marquant, mais pas mauvais non plus, qui tient souvent de la vignette.

3/ Mori Eto (02/04/1968-) : Blé noir  (41 pages). Mori Eto a reçu pas mal de prix importants (Noma, Naoki...) et est notamment l'auteure du roman Colorful (1998 ; porté à l'écran avec succès en 2010, comme écrit  plus haut, par Hara Keiichi, le réalisateur de Miss Hokusai), dont plus d'un million d'exemplaires ont été vendus, ce que proclame la couverture de la version anglo-saxonne - car le livre a été traduit en anglais.
Cette fois, nous sommes en Bretagne. Voici le début du texte :
"J'étais en train de monter une meringue dans les cuisines d'un restaurant parisien doublement étoilé quand j'ai appris que ma mère était mourante. [...] J'avais du mal à croire que nos retrouvailles allaient avoir lieu dans des conditions pareilles. (page 95).
Notre héros part immédiatement pour le Finistère. Les habitants de sa petite ville natale sont pleins de superstitions et très à cheval sur ce qui se fait ou non. Par exemple, les galettes, c'est très bien, alors que...
"- Les crêpes sucrées, c'est de la cochonnerie. C'est lamentable. Tu n'as pas honte, toi qui es breton, de servir un truc pareil à tes clients ?
- Encore cette histoire ? Tu n'en as pas marre ? Les temps changent, maman. Les crêpes sucrées sont douces au palais et plutôt appréciées à Paris.
" (page 98).
On comprend que notre héros ait voulu partir. Finalement, c'est un peu comme dans la première nouvelle : naissance dans un coin isolé, volonté de quitter ces esprits étroits, ces traditions dépassées et sclérosantes, de découvrir le monde et la liberté ; puis, le temps passe, et pour une raison ou une autre on est amené à revenir au point de départ ou pas loin, et on se rend compte que tout n'y était pas complètement noir. À un moment, il y a un peu du Festin de Babette dans cette nouvelle (manger, c'est aussi un plaisir, même pour les gens pincés pour qui avaler de la nourriture, c'est juste destiné à vivre), mais évidemment le Festin de Babette, c'est autre chose, c'est mémorable.
Le récit reste très lisible, quand même.
Pour la forme, on notera l'emploi pas très heureux d'un "littéralement". Il faudrait obliger à bien réfléchir avant chaque utilisation de ce mot, puisque neuf fois sur dix, ça fait dire des âneries (généralement le contraire de ce qu'on veut dire, quand ce "littéralement" est accolé à une métaphore, du genre littéralement noyé sous le travail). Ici, c'est (page 100): "... m'épuisaient littéralement". Etre épuisé, je sais ce que ça veut dire. Mais être épuisé littéralement... hmmm... je cherche encore...

4/ Ekuni Kaori (21/03/1964-) : Alentejo  (39 pages). Pour cette dernière nouvelle, nous sommes au Portugal.
Un couple gay a loué pour quelques jours de vacances un cottage dans un coin perdu, dans le but de faire du tourisme culinaire (dont on ne verra pas grand-chose, la nourriture n'est pas du tout le coeur du récit, qui finalement aurait très bien pu ne pas figurer dans ce livre). Il fait chaud. Il ne se passe pas grand-chose, à part une bizarrerie à un moment ou deux, sans doute super symbolique, et pas limpide ("Vraiment très intrigant.", page 155 ; effectivement), ça rajoute de la profondeur, du mystère (les coins isolés sont forcément mystérieux, les traditions et autres forces primitives sont plus présentes qu'en ville). On croise quelques personnes. Il continue à faire chaud. Et, à un moment, il est temps de partir.
Le moins bon récit du recueil, de loin.

Ah, pour finir, vous vous demandez qui est l'auteur de la couverture, d'où provient l'oeuvre ? Dommage pour vous, vous ne le saurez pas : "en couverture (c) D.R."


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