Livre.gif (217 octets) Littérature Japonaise Livre.gif (217 octets)



-
dictées

- listes
- liens recommandés


Papillon.gif (252 octets)

-> retour Japon <-

retour
page d'accueil

 


ÔOKA Shohei
(Tokyo, 06/03/1909 - 25/12/1988)

 

ooka shohei

 

"Shōhei Ōoka était romancier, critique littéraire et traducteur de littérature française. Ōoka appartient à ce groupe d'écrivains d'après-guerre pour lesquels la Seconde Guerre mondiale occupe une importance considérable dans leurs œuvres. Tout au long de sa vie, il publia des nouvelles et des critiques dans presque tous les magazines littéraires du Japon.

Son père était agent de change. Élevé dans l'amour de la littérature dès son plus jeune âge, il apprend le français au lycée, puis est diplômé de littérature de l'université de Kyōto.
Il devient journaliste mais, au bout d'un an, il se consacre à la traduction en japonais des œuvres de Stendhal (notamment La Chartreuse de Parme) et d'autres auteurs européens. Pour gagner sa vie, il trouve un emploi de traducteur dans une entreprise franco-japonaise.

En 1944, il est incorporé dans l'armée et après seulement trois mois d'instruction, envoyé sur la ligne de front dans l'île de Mindoro dans les Philippines. En janvier 1945, il est capturé par l'armée américaine et envoyé dans un camp de prisonniers sur l'île de Leyte. Avoir survécu, quand tant d'autres étaient morts, lui fut un traumatisme. Il regagne le Japon à la fin de 1945.

Ce n'est qu'après la guerre que Ōoka commence sa carrière d'écrivain. Il publie un récit autobiographique sur son expérience de prisonnier de guerre intitulé Furyo ki (Journal d'un prisonnier de guerre).
Il publie ensuite Musashino fujin, (La Dame de Musashino, 1950), un roman psychologique, dans la lignée de Stendhal.
Mais son roman le plus connu est Nobi (Les Feux, 1951), qui est tenu pour l'un des romans les plus importants de la période d'après-guerre. Inspiré assez librement de sa propre expérience, Les Feux explore la signification de l'existence humaine à travers la lutte pour la survie d'hommes qui, poussés par la faim, en arrivent à commettre des actes de cannibalisme. Le roman fut adapté au cinéma par Kon Ichikawa en 1959.

En 1958, loin de ses premières préoccupations, Ōoka publie Kaei (L'Ombre des fleurs), dans lequel il dépeint la lutte puis la résignation d'une hôtesse de boîte de nuit dans le Ginza décadent de la fin des années 50.

À la fin des années 60, Ōoka revint à son sujet de prédilection : la guerre dans le Pacifique et la défaite des Japonais aux Philippines, pour l'un de ses derniers ouvrages, un roman historique, Reite senki, relatant la bataille de Leyte, pour lequel il entreprit pendant trois ans des recherches très complètes. Il envisage la guerre du point de vue d'un épit de réserves morales, est obligé d'obéir." (adapté de Wikipedia)


les feux    

- Les Feux (Nobi, 1957, roman traduit par Rose-Marie Makino-Fayolle en 1995). Le Livre de Poche-biblio. 221 pages. Postface de Maya Morioka Todeschini.

En exergue de l'ouvrage se trouve une citation de l'Ancien Testament : "Même marchant dans la vallée de l'ombre de la mort", Psaume 23 de David.

Puis le roman commence ainsi :
"Je reçus une gifle. Le lieutenant me dit, très vite, à peu près ceci :
- Imbécile ! On te dit de revenir, et toi tu reviens, comme ça, sans rien dire. Il fallait insister, dire que tu ne savais pas où aller. Alors ils t'auraient accepté à l'hôpital. Ici, nous n'avons pas les moyens de nourrir un tuberculeux comme toi.
" (page 7).
Nous sommes à Leyte, une île des Philippines, en 1944. La Seconde Guerre Mondiale tire vers la fin. Les Américains arrivent en force, les Japonais sont en déroute, ils se font décimer.
Le narrateur est renvoyé en direction de l'hôpital, mais là-bas ne sont acceptés que les soldats qui ont de la nourriture avec eux, nourriture qu'on leur prend, bien sûr.
"- Moi, soldat Tamura de première classe, je vais me rendre immédiatement à l'hôpital, et si je n'y suis pas admis, je mettrai immédiatement fin à mes jours." (page 9).
On lui donne une poignée de pommes de terre. Il a un fusil et une grenade.
Il faut trouver de quoi se nourrir. "Un tiers de notre compagnie, qui par le nombre réel de ses hommes tenait plus du peloton, se relayait pour aller ramasser des bananes et des patates dans les champs environnants ayant appartenu à la population. Ou plutôt pour se nourrir." (page 12). Les soldats se battent "souvent pour la possession d'un champ dans la montagne." (page 12)
"Moi qui étais incapable de porter un chargement, car je crachais le sang, je ne pouvais pas participer à cette quête de nourriture. C'était pour cette raison qu'on m'avait ordonné de crever." (page 12).

Tamura se rend donc vers l'hôpital, par un chemin forestier. Il pense que c'est la dernière fois qu'il parcourt ce chemin, que la mort est au bout, ce qui le fait s'interroger sur ce qu'est la vie, ce qu'est la mort. Tamura est un intellectuel (Une femme a une réaction "qui ressemblait [...] à celle de Lisa décrite par Dostoïevski" - page 105-, des "pigeons ramiers chantaient les deux premières mesures du thème d'une symphonie de Beethoven", page 110) :
"Finalement, cette sensation qu'on appelait la vie n'était-elle pas dans le pressentiment de « pouvoir refaire à l'infini » ce que l'on faisait alors ?" (page 19).
Il contemple le paysage tropical, repense aux beautés qu'il a pu voir, grâce à la guerre, si l'on peut dire. Les "levers et couchers de soleil aux couleurs éclatantes, les volcans teintés de violet, les récifs de corail ourlés d'écume, l'ombre des frondaisons au bord de l'eau, tout avait rempli mon coeur d'une joie presque euphorique. Il me semblait que cette jouissance toujours accrue de la nature était le signe certain que ma mort approchait." (page 19).
En effet, un soldat voit la nature d'une façon différente. "Les aspects variés de la nature où il est envoyé pour se battre n'ont aucune signification à ses yeux si ce n'est celle qui découle d'un point de vue strictement stratégique. C'est cette absence de signification qui le soutient et qui est la source de son courage.
Au moment où la cohérence de cette absence de signification est ébranlée par la lâcheté, à moins que ce ne soit par la réflexion, le pressentiment de la mort, qui a encore moins de signification pour l'homme vivant, en profite pour s'installer.
" (page 20).

"Je ne disposais que de la liberté absurde de vivre comme je le voulais le temps qui me séparait de ma mort. Grâce à la grenade que j'avais sur moi, la mort faisait encore partie de mon libre choix, mais je ne pouvais qu'en différer le moment." (pages 51-52).

On pourrait croire qu'il n'y a qu'à se pencher ou tendre le bras pour trouver de quoi manger... Eh bien non. "J'eus une pensée ironique envers les gens du Nord qui imaginent les richesses naturelles des pays où l'été est éternel." (page 59).

Le livre est un chemin de croix. Tamura et d'autres soldats en déroute cherchent à rallier un point donné de l'île. Certains ne parviennent plus à marcher. Ils crèvent de faim sur le chemin. C'est plus qu'un cauchemar : un enfer.
"- Allons-nous finir comme ça nous aussi ? murmura quelqu'un en passant.
- Ça te regarde ?
L'un des cadavres venait de relever sa tête dégoulinante.
" (page 126).
A la faim s'ajoutent les pluies tropicales, ainsi que les sangsues, mais ces dernières se mangent, surtout quand elles sont bien gorgées de sang. Certains en viennent à envisager l'extrême : le cannibalisme. Gros, très gros cas de conscience...

Y aurait-il une échappatoire ? Est-il possible de se rendre à l'armée américaine ? Mais ne risque-t-on pas de se faire exécuter sans autre forme de procès, soit par les Américains, soit par ses supérieurs, ou même par ses subordonnés ? Sans compter la population hostile...

Un excellent roman, terrible, qui sent le vécu. Le narrateur est un homme ordinaire pris dans la guerre. Ayant la mort à l'horizon, et cet horizon se rapprochant, il réfléchit à ce qu'est la vie, s'interroge sur Dieu (les références religieuses sont très nombreuses, et déjà annoncées par la citation de David en exergue du livre). Tamura est amené à faire ce qui doit être fait, ce qu'il est contraint de faire. A-t-il le choix ? Y a-t-il une destinée, un chemin tracé par une volonté propre, ou bien tout ne serait-il que le fruit du hasard ?

"On ne trouve ici aucune complaisance, mais au contraire un ton ironique et analytique ; il donne profondeur et rigueur à ce roman qui, sous la plume d'un auteur moins talentueux, aurait pu sombrer dans le mélodrame, ou se contenter d'énumérer les horreurs de la guerre" (Maya Morioka Todeschini, postface, page 218)

On peut tenter de trouver d'autres relations avec les Psaumes de David : les chiens du Psaume 22 ("Des chiens me cernent") ; "ton bâton et ta canne, voilà qui me rassure" semblent remplacés par le fusil et l'épée, etc.


regards d'encre

Pour compléter, voici quelques extraits du très intéressant ouvrage Regards d'encre, Ecrivains japonais 1966-1986, de Jean Pérol, aux Editions La Différence.
"- Dans votre roman, [...] un des aspects qui surprend et intrigue le plus est ce manque total de fraternité, de simple humanité, entre les soldats japonais eux-mêmes [...]. Plus personne ne croit à rien, chacun devient le danger et la proie de l'autre.
- Je comprends cette réaction. Je tiens quand même tout de suite à préciser que ce manque de fraternité n'a pas été un fait général, permanent. Il a été lié à une situation très particulière d'une défaite qui était elle-même exceptionnelle, puisqu'elle était la première expérience de la défaite que le Japon ait eu à vivre. Mais ce qui est relaté dans ce roman est assez proche de ce que j'ai connu et vécu non pas dans l'île de Leyte, où je situe l'action, mais dans une autre île, celle de Mindoro. Et ce roman a bien été écrit pour rendre compte de cet effondrement total, cet enfer que fut cette forme de défaite." (page 83)

Ooka Shohei ("dont le prénom, Shohei, veut dire en chinois « la paix » et qui lui fut donné par un père antimilitariste", page 79) dit qu'il n'a pas, lui, mangé de l'homme ; à Mindoro, la situation "pourtant très dure, fut cependant moins dramatique que dans l'île de Leyte" (page 83). Il dit aussi ne pas être chrétien, "bien que je sois sorti d'une école de mission protestante.[...] Les Japonais, bien que non chrétiens, ont quand même été beaucoup influencés par le christianisme, et d'une façon toujours ambiguë. On peut se demander pourquoi. C'est peut-être parce qu'il permet le recours à une existence qui dépasse l'individu, à une autorité morale qui le dépasse et le domine, alors que la conception même de Dieu n'existait pas au Japon depuis Edo et les Tokugawa. Ce qui m'intéressait c'est que Tamura soit obligé d'affronter ce drame tout seul, perdu dans la jungle, coupé de tout et de tous, en individu, avec sa seule conscience." (page 85).

Ooka Shohei continue sur le cannibalisme. "L'homme a mangé de l'homme hier, et encore aujourd'hui. Des anciens récits de voyages maritimes au dernier récit de naufrage aérien, la chaîne est ininterrompue. J'ai même peur que le cannibalisme soit socialisé, ritualisé. Par exemple à l''époque des Tokugawa, lors des grandes famines dans le Tohou, les cas de cannibalisme dus à la faim n'ont pas été punis. Lors de la guerre de Boshin, à l'époque Meiji, soit à la fin du XIX° siècle, on a vu un cas de cannibalisme fratricide étrange : au cours de cette guerre civile de 1868, un frère, par haine de la guerre, a dévoré son frère qui s'était fait soldat." (page 86).
Il dit aussi qu'il a appliqué la méthode stendhalienne dans le sens où "la guerre dans son incohérence n'est vue, interprétée, que par le regard d'un seul homme." (page 87).

feux dans la plaine - Ichikawa Kon
Un extrait du film de Ichikawa Kon (1959) :

 

 

- Retour à la page Littérature japonaise -

Toute question, remarque, suggestion est la bienvenue.MAILBOX.GIF (1062 octets)