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OGAWA Kunio

(Shizuoka, 21/12/1927 - Shizuoka, 08/04/2008)

Ogawa Kunio

Kunio Ogawa se convertit au catholicisme en 1947, et part pour la France en 1953.
"Les pérégrinations solitaires qu'il effectue à moto durant les deux années suivantes sur les rivages de la Méditerranée lui donneront l'intuition d'une "perception primitive" qu'il traduira dans plusieurs nouvelles de Aporon no shima (L'Île d'Apollon), son premier recueil publié en 1957. S'y affirme d'emblée une grande maîtrise de l'écriture, jaillissant en traits nets et volontiers elliptiques pour transmuer l'anecdote en parabole.", écrit Patrick de Vos, page 230 du Dictionnaire de littérature japonaise (sous la direction de Jean-Jacques Origas, éditions Puf).
Et plus loin : la "conscience se cherche sans cesse entre les replis mêlés du rêve et du réel.[...] Ogawa reste profondément attaché à sa province de Shizuoka, à ses rivages, à ses hommes, rudes ou fraternels, tels ceux qu'il décrit dans les trois contes, de tonalité dramatique et presque surnaturelle, de Kokoromi no kishi, 1969-1972 (Rivage d'un défi)"
Ces "trois contes", c'est le "roman" Le Rivage d'une tentation.

En 1956, Ogawa est reparti au Japon.
En 1957, il a donc publié L'île d'Apollon à compte d'auteur. Le romancier Shimao Toshio en dira du bien huit ans plus tard, lançant ainsi la carrière de Kunio Ogawa, qui remporte notamment le prix Kawabata en 1986 pour Kanashimi no minato, et le Prix Yomiuri en 1988 pour Hashisshu gyangu.

"Dans les semaines qui ont précédé sa mort, le 8 avril, à Shizuoka, l'écrivain japonais Kunio Ogawa lisait, dit-on, la Bible en français, pour ne pas oublier une langue qu'il aimait." (René de Ceccatty, Le Monde, avril 2008).


- Le Rivage d'une tentation (kokoromi no kishi, 1969-1972). 311 pages. Roman traduit en 2008 par Ryoji Nakamura et René de Ceccatty.

Le roman commence ainsi :
"Masuzaburô avait acheté trois chevaux de quatre ans dans un haras du département de Tochigi. Il en avait revendu deux dans la ville de Numazu et à Eijiri, pour n'en ramener qu'un chez lui. Ce jour-là, la bête était restée attachée à la porte principale de la maison, jusqu'au coucher du soleil. Jukkichi passa près d'une demi-journée à la contempler, assis sur une pierre de soutènement, sous l'auvent. C'était un cheval bai élancé, avec des jambes trop épaisses et des sabots étonnamment lourds. Lorsque Jukkichi, ayant ramassé des fruits de muguet du Japon, les jeta sur le poitrail de l'animal, ce dernier se cabra, tremblant de tous ses muscles. On aurait dit qu'ils avaient réagi avant même qu'il ne soit touché. En un instant, des rides se dessinèrent parfaitement sur sa peau et ce spectacle ravit l'enfant. Il ne se lassait jamais de le contempler." (page 7). (à noter que les lecteurs de Erri de Luca savent que trois chevaux, ça fait une vie).

On fait ainsi la connaissance de Masuzaburô et de son fils Jukkichi, qui va accompagner son père, maquignon, et pour la première fois de sa vie, il va voir la mer (à quelques heures à peine de marche).
"Le coeur battant, Jukkichi s'approcha de la mer. La première chose qu'il vit fut un large rocher légèrement incliné. Les vagues autour de lui s'élevaient en embruns avant de le fouetter avec fracas. Et les embruns transformés en brouillard flottaient sans cesse devant ses yeux. Ce n'était plus la mer qu'il voyait de loin. Le paysage ne s'étendait plus avec sérénité, mais se dressait devant lui comme pour le défier. Jukkichi se sentit animé d'une nouvelle force. Il eut l'impression de voir un bateau ballotté dans une vallée de houle bleue et vertigineuse." (pages 13-14).

Quelques pages plus loin, on aborde visiblement une autre partie, puisqu'il y a une page blanche.
"Jukkichi entoura un laurier-rose avec les rênes. Le cheval tordit le cou et pencha la tête à l'horizontale pour mordre les feuilles et les fleurs. Le rose pâle se reflétait sur l'ivoire de ses grandes dents. Jukkichi essuya du revers de son bras la sueur de son front.
« Il fait incroyablement clair », murmura-t-il." (page 23).
C'est typique du livre : on ne sait pas où l'on est, ni quand.
Il apparaît bientôt que Jukkichi est venu acheter l'épave d'un bateau de quarante tonnes, pour revendre ce qui peut l'être (métal...). Sinon, pour gagner sa vie, il est maquignon, cocher, et se passionne autant pour la mer que pour les chevaux.

On apprend au passage (page 30), qu'il a fait la guerre en Mandchourie. On apprendra encore des choses - peu, en fait - sur sa vie, comme ça, en passant.
Jukkichi reste mystérieux pour le lecteur.
"Juste avant d'arriver à des récifs escarpés, il aperçut des murènes : elles se superposaient de manière confuse, mais il parvint à en distinguer cinq. Comme si elles surgissaient hors du sable, elles pointaient leur tête et leur poitrine. Ou du moins la partie de leur corps qui s'enflait et se désenflait régulièrement lui apparaissait comme telle. Ce spectacle le riva au bord d'une poche d'eau et son souffle prit le rythme du leur. Il resta ainsi un long moment. Il s'inquiétait de constater qu'il pouvait être fasciné par un spectacle à ce point dépourvu de sens. Il se releva avec le sentiment de s'arracher à cette vue.
Ce n'est pas pour moi, ça. C'est comme le rêve d'un autre, murmura-t-il.
Il retourna vers le port.
Je n'ai pas envie de faire ce genre de rêve.
" (page 47).

Donc, si le lecteur ne sait pas qui il est, Jukkichi se connaît-il vraiment lui-même ?
Il parle de rêve, et de rêve d'un autre.
Ce thème apparaîtra plusieurs fois, jusqu'à contaminer le réel. Déjà, la réalité n'est pas précise, car l'auteur ne fait rien pour faciliter le "travail" du lecteur.
Mais bientôt, cette imprécision devient fluctuation, jusqu'à ce que, dans la deuxième partie, cela aille encore plus loin, au grand étonnement du lecteur prudent (le lecteur imprudent, c'est celui qui a lu la quatrième de couverture, qui résume trop bien la moitié du livre).
Bref, la deuxième partie est perturbante, le lecteur se demande ce que cela veut dire... mais est-ce que l'écrivain le savait, lui ? C'est très curieux, mais très bien rendu.
La troisième partie (la plus faible) change encore de registre, en explorant les souvenirs, plus que les autres parties. Il s'agit d'un vacillement différent... Il m'a quand même semblé que c'était la partie la moins réussie, un peu trop longue.

La mer est quasiment omniprésente.
"La mer était pleine. Et, en harmonie avec cette plénitude, des mouettes parcouraient le ciel. De temps à autre, elles volaient au ras de l'eau. Quand elles traversaient l'ombre des montagnes, elles étaient d'un gris pâle qui, en pleine lumière, virait au blanc et l'éclat tremblant était éblouissant. Jukkichi entendait le cri des mouettes qui recouvrait la stridulation étouffante des cigales. Ses oreilles auraient pu être le jouet d'une illusion aiguë, déconcertante." (page 129).
La mer, donc, mais aussi les végétaux, les oiseaux, les poissons, les rochers...

Ce roman est vraiment bien écrit, il immerge lentement (parfois très lentement) dans la mer et la nature, et le monde perd ses repères, spatiaux et temporels, et le sens même du roman (mais y en a-t-il un ?), qui tire d'une certaine façon vers le fantastique, échappe un peu au lecteur, parfois perplexe.

Roman curieux, mais finalement pas mal... peut-être même bien... en tout cas, pas banal.
Il fait partie de ces livres qui ne disent pas tout, qui laissent des zones d'ombres, de mystères qui sont à la limite de la compréhension. A ce propos, les ombres sont très présentes, énormes, démesurées avec le soleil couchant, ou qui poursuivent les êtres... Les ombres, la lumière et l'obscurité...


 

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