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Karel Čapek

(Malé Svatoňovice, Bohême, 09/01/1890 - Prague, 25/12/1938)

karel capek

 

"Il est l'un des plus importants écrivains tchécoslovaques du XXe siècle.
Le mot robot, qui apparaît pour la première fois dans sa pièce de théâtre de science-fiction R. U. R. (Rossum's Universal Robots) a été inventé par son frère Josef et signifie "travailleur dévoué, esclave".

Karel Čapek naît en Bohême et fait ses études secondaires à Hradec Králové, qu'il doit quitter pour Brno à la suite de la découverte du cercle anti-autrichien dont il faisait partie.
Il étudie à la faculté de philosophie de l'Université Charles et à l'Université Friedrich Wilhelm à Berlin puis à la faculté des lettres de l'université de Paris. Sa thèse, soutenue en 1915, porte sur Les méthodes esthétiques objectives en référence aux arts appliqués.

Il est réformé en raison de problèmes de dos (qu'il aura durant le reste de sa vie), et dispensé de participer aux combats lors de la Première Guerre mondiale qui néanmoins l'influença et l'inspira. En 1917, il est tuteur du fils du comte Lazansky puis journaliste pour plusieurs journaux.
De 1925 à 1933 il est président du PEN club tchécoslovaque.

Le 16 août 1935, il se marie avec l'actrice Olga Scheinpflugova (qui sera plus tard également écrivain), rencontrée à l'été 1920.

En 1938, l'annexion des Sudètes suite aux accords de Munich par les troupes nazies touche profondément le démocrate nationaliste qu'il est ; sa santé se détériore rapidement et il meurt de pneumonie le 25 décembre de la même année à Prague. Il est le troisième sur la liste de la Gestapo des personnes à arrêter et seule sa mort précoce le délivre du destin tragique qui l'attendait et affecta son frère Josef, mort en déportation à Bergen-Belsen en 1945.

Ayant publié un article Pourquoi je ne suis pas communiste en 1924, il est mis à l'index durant les années d'après-guerre par le régime communiste qui considère d'un mauvais œil cet auteur anti-totalitaire.
" (merci wikipedia).
Dure et triste époque.

Il laisse huit romans, huit pièces de théâtre, ainsi que des nouvelles, essais, critiques, récits de voyages, livres pour enfants...

la maladie blanche

- La Maladie Blanche (Bílá nemoc, 1937). Drame en trois actes et quatorze tableaux. traduit du tchèque et préfacé par Alain Van Crugten. 157 pages.
Déjà, et avant toute chose. Les Editions Minos/La Différence sont bien inspirées de rééditer Čapek (le texte ayant déjà été publié aux Editions de l'Aube, en 1997... si je ne me trompe pas, en un volume, avec R.U.R. et Le dossier Makropoulos).
Mais pourquoi mettre le résumé complet de la pièce en quatrième de couverture, crénom ?
Heureusement que je ne lis jamais les quatrièmes de couverture, sinon ça m'aurait bien gâché tout le plaisir de lecture. C'est vraiment se ficher du lecteur, c'est exaspérant.

Bon. La pièce : une mystérieuse maladie blanche est apparue et s'est répandue dans le monde entier.
"PREMIER LEPREUX.
C'est la peste, je vous dis, la peste. Dans notre rue, il y a déjà plusieurs personnes touchées dans chaque maison. L'autre jour, je dis au voisin : Vous aussi, vous avez une petite tache blanche sur le menton. Et lui, il ne sent rien. Mais maintenant il lui tombe déjà des morceaux de chair, comme à moi. C'est la peste.

DEUXIEME LEPREUX.
Pas la peste, la lèpre. On appelle ça la maladie blanche, mais on devrait dire : le châtiment... Une maladie comme ça ne peut pas venir d'elle-même. C'est Dieu qui nous punit.
" (page 15).

Maladie bien curieuse, appelée par les professionnels "maladie de Tcheng", et vraiment pas sympathique du tout.
Ecoutons un éminent médecin, le Professeur Sigelius, interviewé par un journaliste.

"SIGELIUS
[...] Comme vous le voyez, nous travaillons d'arrache-pied. En outre, il est formellement établi que la maladie de Tcheng ne touche que les sujets qui ont au-dessus de quarante-cinq ans ou cinquante ans. Apparemment, ils présentent un terrain favorable en raison des modifications organiques normales dues au vieillissement...

LE JOURNALISTE
C'est extrêmement intéressant.

SIGELIUS
Vous trouvez ? Quel âge avez-vous ?

LE JOURNALISTE
Trente ans.

SIGELIUS
Bien sûr. Si vous étiez plus âgé, ça ne vous paraîtrait pas tellement intéressant. En outre, nous savons avec certitude que dès le premier symptôme le pronostic est fatal ; la mort survient dans les trois à cinq mois, habituellement par septicémie...
" (pages 22-23).

Ça discute dans une famille.
Le père ne comprend pas :
"LE PERE
[...] Ce serait une drôle de justice, ça, si seulement les gens de cinquante ans l'attrapaient. Pourquoi je te demande ?...

LA FILLE, qui jusqu'à présent lisait un roman sur le sofa.
Pourquoi ? Mais papa ! Pour qu'on fasse enfin place aux jeunes, non ? Les jeunes ne savent plus où se mettre.
" (page 44).

Ah ! Elle peut avoir du bon, cette maladie ! Place aux jeunes : des postes vont se libérer !

Comme dans L'Aveuglement (de Saramago) et bien sûr dans d'autres livres ou films dans lesquels une épidémie se déclare, l'armée prend les choses en main. Et, ici, elle les prend d'autant mieux qu'elle est déjà au pouvoir.
"LE PERE
[...] C'est un grand homme. Et un grand soldat.

LA MERE
Pourquoi ? Il va y avoir la guerre ?

LE PERE
Mais bien sûr. Ça serait vraiment une bêtise de ne pas la faire quand on a un tel chef militaire. Chez nous, au trust Krüg, on travaille en trois-huit maintenant, rien que pour les munitions. Il ne faut raconter ça à personne, mais on a commencé chez nous à fabriquer un nouveau gaz. Il paraît que c'est un truc extraordinaire.
" (page 83).

Epidémie, dictature militaire, rumeur de guerre... Un remède à cette maladie blanche pourra-t-il être trouvé ? La paix pourra-t-elle paradoxalement venir de l'épidémie ?
Les bien portants qui ont des idées arrêtées sur la maladie seront-ils toujours aussi inflexibles une fois contaminés ?
Ajoutez à tout ceci suspens, magouilles, morts, suicides, chantages...

Vous saurez tout si vous lisez cette très bonne pièce (qu'il est difficile de lire en faisant abstraction de l'époque où elle a été écrite)... ou si vous lisez la quatrième de couverture.

Foltyn

- La vie et l'oeuvre du compositeur Foltyn (Život a dílo skladatele Foltýna, publié pour la première fois en 1939). Traduit du Tchèque par François Kérel. 171 pages. Bibliothèque cosmopolite Stock.

Comme la plupart des Čapek, il ne faut pas trop en dire, car la découverte de l'histoire est un élément non négligeable du plaisir que l'on a à lire ses livres.

Ce roman retrace la vie d'un compositeur - on pourrait dire un Artiste avec un grand "A", puisqu'il donne dans la grande poésie et la grande musique - reconstituée grâce à des interviews : un ami de jeunesse, actuellement juge, qui fut un de ses camarades de classe ; une ancienne camarade de lycée...
Un ancien voisin de pension :
"Je crains que mes souvenirs de Bedrich Foltýn ne soient injustes. Car il m'a été antipathique dès notre première rencontre. Je venais de rentrer de vacances pour commencer ma quatrième année d'études à la faculté des sciences quand ma logeuse m'annonça que j'allais avoir un nouveau camarade dans la pièce où se trouvait le piano." (page 47).
Il rencontre alors Foltýn : "C'était un jeune homme au long nez et à l'abondante chevelure, au menton rentré et faiblement dessiné, au cou de girafe, et avec une expression de suffisance peu commune dans ses yeux pâles." (page 48).
"[...] il pérorait sur l'art, il avait appris une douzaine de grands mots tels qu'intuition, subconscient, substance originelle et je ne sais quoi, et il en avait plein la bouche. C'est inouï comme on arrive facilement à fabriquer de grandes idées avec de grands mots. Certaines gens n'auraient plus rien à dire si on leur simplifiait le vocabulaire. Quand j'entends ou quand je lis toutes ces élucubrations sur la cristallisation spirituelle, la présubstantiation formelle, la synthèse créatrice ou je ne sais quoi, ça me rend malade. Je me dis toujours, messieurs, si on vous mettait le nez dans la chimie organique (et je ne parle même pas des mathématiques) vous auriez bien du mal à écrire ! C'est, à mon avis, le plus grand malheur de notre siècle ; d'une part, nos cerveaux travaillent sur des microns et des grandeurs infinitésimales avec une précision presque parfaite, mais, d'un autre côté, nous admettons que les mots les plus brumeux gouvernent notre cerveau, notre sensibilité, notre pensée." (pages 48-49).

On retrouve l'humour de Čapek, qui aime bien égratigner l'évolution de la société !

La femme de Foltýn a un autre regard rétrospectif : "Monsieur Foltýn me plaisait ; il était si courtois, si élégant et portait monocle ; sans perdre une minute, il s'est mis à me faire une cour terrible, même ma mère en était si envoûtée qu'elle l'a aussitôt invité à la maison." (page 58).
L'un des intérêts de ce livre est la multiplicité des points de vue. Ainsi, Mme Foltýnova reparaîtra en personnage secondaire, un peu falotte. Ces différents points de vue permettront au lecteur de cerner la personnalité - pas sympathique, on l'a compris - de Foltýn.

"Pourquoi est-ce que je l'aimais tant ? Comme si on savait jamais pourquoi ! C'était fou comme il m'impressionnait, parce que c'était un artiste et qu'il composait ; cela me plaisait qu'il soit si instruit, si mondain et si tendre, et surtout qu'il soit si faible et si doux !" (page 58).

On voit la double identité de Foltýn : il est faible, oui... mais dans le même temps, il joue à l'Artiste qui compose dans des affres immenses le grand oeuvre de sa vie, son opéra, Judith... ou bien Abélard et Héloïse, dont il est l'auteur du livret et de la musique, s'il vous plaît ! Une oeuvre grandiose, qui va impressionner le monde entier ! Si, si.

A travers d'autres interviews encore : professeur d'université, musiciens,... on comprendra tout.

La fin est un peu perturbante, quand on sait que ce roman est posthume et qu'il est théoriquement inachevé.

"Théoriquement", car on lit : "Ici se termine le texte de Karel Čapek".
Mais suit le Témoignage de la femme de l'auteur, qui commence ainsi : "Plusieurs témoins devaient encore compléter les détails et les dépositions devaient apporter quelques éclaircissements sur la fin du compositeur Folten." Et la suite est tellement bien écrite, semble tellement intégrée, qu'on a un doute passager... mais il semble que non, il est vraiment inachevé, c'est bien sa femme (qui a elle-même fait carrière comme écrivain, après celle d'actrice) qui a dû brosser la fin de l'histoire. L'effet est tout de même très étrange, car le livre était ancré dans le réel (à un moment, une note en bas de page précisait : "Texte établi d'après le sténogramme de la déposition de Mme Foltýnová").

Encore un bon livre de Čapek !


R.U.R.

En couverture : R.U.R, 1923.

- R.U.R. Rossum's Universal Robots (en fait, Rossumovi univerzální robotia). Drame collectif en un prologue de comédie et trois actes. Traduit du tchèque par Jan Rubeš en 1997 et préfacé par Brigitte Munier. Minos. La Différence. 219 pages.
Création mondiale à Prague en 1921. La pièce fut jouée à New York en 1922, et la première française eut lieu en 1924.

C'est la première apparition du mot robot, terme inventé par le frère de l'auteur, Josef (terme qui supplanta automaton, utilisé précédemment par Čapek dans sa pièce Opilec, 1917). Dans les langues slaves, Robot veut dire quelque chose comme travailleur (travailler, en russe, c'est работать).

Contrairement à l'idée qu'on pourrait s'en faire, ces robots sont des êtres biologiques, et pas mécaniques. Rossum, philosophe et jeune chercheur, s'isola dans une île : son but était de reproduire la matière organique par la synthèse chimique. Bref, créer de la vie, artificiellement. L'expérience réussit en 1932. Mais il voulait parvenir à créer un vrai homme, à l'identique. Cela l'occupa des années...
Son neveu, l'ingénieur Rossum, avait une idée différente : simplification, industrialisation. Et c'est ainsi que les robots, être humains incomplets, ont été créés à la chaîne pour servir l'Homme. On est plus proche d'une production en série de Golems que de R2D2.

Hélène Glory, la fille du président, vient en visite sur l'île où se trouve la fabrique de robots. Elle est aussi la représentante de la Ligue de l'Humanité, dont le but est d'améliorer la condition des robots.
Elle est reçue par Harry Domin, 38 ans, directeur général des entreprises R.U.R., grand et bien rasé. Il lui résume l'histoire de l'entreprise.

"DOMIN
Alors le jeune Rossum s'est dit : Un homme, ça ressent par exemple de la joie, ça joue du violon, ça a envie de se promener, bref il y a tant de choses qui sont, au fond, inutiles.

HELENE
Oh non !

DOMIN
Attendez un peu. Qui sont inutiles lorsqu'on doit, disons, tisser ou calculer. Un moteur diesel ne doit pas non plus avoir des franges ou des ornements, mademoiselle Glory. [...] Que pensez-vous, quel est le meilleur ouvrier possible ?

HELENE
Le meilleur ? Probablement celui qui... qui... est honnête... et dévoué.

DOMIN
Non. Celui qui coûte le moins cher. Celui qui exige le moins. Le jeune Rossum a mis au point l'ouvrier qui a le minimum d'exigences. Il l'a simplifié. Il l'a débarrassé de tout ce qui n'est pas absolument nécessaire pour qu'il travaille. Ainsi, à force de simplifier l'homme, il a créé le robot.
" (pages 30-31)

R.U.R. 1921
Représentation de 1921 (semble-t-il).
On voit nettement que les robots relèvent plus de l'androïde que de la machine avec parties métalliques apparentes.

Lorsqu'un robot est créé, il ne sait encore rien faire. Il faut le "charger."

"HELENE
Comment ça ?

DOMIN
C'est la même chose qu'à l'école pour les humains. Ils apprennent à parler, à écrire, à calculer. Comme ils ont une mémoire sans faille, vous pouvez leur lire vingt volumes d'une encyclopédie et ils vous répéteront tout dans le même ordre. Mais ils n'inventent jamais rien. Au fond, ils pourraient très bien être professeurs dans les universités.
" (page 43).

Ah, toujours son humour !
Hélène est un peu ennuyée : comment améliorer la condition des robots, alors qu'ils n'ont besoin de rien ? Ils n'ont pas de goût, pas de volonté ni de passion. Ni d'âme. Ils ne ressentent rien.

"HELENE
Ni amour ? Ni haine ?

HALLEMEIER
[Directeur de psychopédagogie des robots]
Cela va de soi. Les robots n'aiment rien, même pas eux-mêmes. Et la haine ? Peut-être, mais c'est rare ; de temps en temps...

HELENE
Comment ?

HALLEMEIER
Non, ce n'est rien. Il leur arrive d'avoir une crise. Une sorte de crise. On l'appelle le spasme robotique. Ils jettent ce qu'ils tiennent dans les mains, ils grincent des dents... il faut les mettre tout de suite à la casse. Probablement une panne d'organisme.
" (pages 56-57).

R.U.R. 1920
Représentation américaine des années 1920.

Le but final semble très louable, même si...

"ALQUIST [Architecte, directeur des bâtiments]
Et tous les ouvriers du monde seront au chômage.

DOMIN
C'est vrai, Alquist, ils n'auront plus de travail, mais d'ici dix ans, mademoiselle, les robots universels de Rossum produiront tant de blé, tant de tissus, tant de tout que nous dirons : les choses n'ont plus de prix, alors chacun n'a qu'à prendre ce qu'il lui faut. Il n'y aura plus de misère. Sans doute qu'ils n'auront plus de travail mais le travail n'existera plus ! Tout sera fait par des machines vivantes. L'homme pourra se consacrer à ce qu'il aime. Il ne vivra que pour se perfectionner. [...]
Il se peut qu'avant d'en arriver là, l'humanité vive des catastrophes. Ça, on ne peut pas l'empêcher. Mais plus tard, l'homme ne sera plus l'esclave de l'homme ni de la matière. Fini de crever pour un morceau de pain. Finis les ouvriers, finis les copistes, finis les mineurs, finis la corvée à la machine qui usait l'âme et que l'on maudissait !

ALQUIST
Mais Harry, ce que vous dites, ça ressemble trop au paradis ! Il y a quelque chose de beau dans la servitude et quelque chose de grand dans l'humilité. Je crois en la vertu du travail bien fait et de la fatigue.
" (pages 61-62)

On a eu un peu ça avec l'importation massive de produits chinois à bas prix. Un commissaire européen au commerce avait dit que c'était une chance, que ça allait faire augmenter le pouvoir d'achat des Européens. Qui n'auraient plus de travail, bien sûr, mais qu'importe !

Evidemment, tout ne va pas se passer comme prévu (là, je parle de la pièce, pas de politique européenne, même si, hem...).

R.U.R. 1920s
Représentation de 1922 ? ou bien de 1928-1929 ?

Le Dr Gall, directeur du Département de la recherche physiologique, fait à un moment une remarque assez pertinente (et un peu provoc) :
"Dr GALL
Domin a ses idées. Je regrette de vous le dire, mais ceux qui ont des idées ne devraient pas avoir de pouvoir.
" (page 110).

De toute façon, personne n'est coupable :
"BUSMAN
Vous croyez encore que c'est le patron qui dirige l'entreprise ? Non ! C'est l'offre et la demande qui commandent !
" (page 158).

Eh oui, rien n'a changé. Il y a des responsables, sans doute. Mais pas de coupables.


Une bonne pièce (personnellement, j'ai tout de même préféré la Maladie Blanche, qui brasse plus de thèmes).

R.U.R. 1938
Production de la BBC du 11février 1938 (il s'agit d'une adaptation de 35 minutes). Il ne reste que quelques images de cette diffusion en direct.
Les robots ont une apparence un peu plus mécanisée.

 

R.U.R. 1939    R.U.R. 1939
Affiches pour une représentation à New York, 1939. Ça sent la guerre...

 

Côté cinéma, Perte de sensation (Gibel sensatsy, 1935), réalisé par Alexander Andrievski est semble-t-il inspiré de la pièce de Čapek.

 

Les travailleurs se font remplacer par ce qui est clairement une machine non humaine, ici un R2D2 soviétique.

 

le dossier Makropoulos

- Le Dossier Makropoulos. (Věc Makropulos, 1922). Comédie en trois actes. Traduit du tchèque par Michel Chasteau. 95 pages. Editions de l'Aube (le volume comporte également R.U.R. et la Maladie Blanche, deux pièces qui ont été rééditées récemment).
Dans son avant-propos, Čapek parle d'une nouvelle - dont il n'avait pu lire qu'un résumé - de G.B.Shaw, Back to Mathusalem, qui traite de la longévité. "Autant que je puisse en juger, monsieur Shaw verrait, dans la possibilité de vivre plusieurs centaines d'années, l'idéal de la condition humaine, une sorte de paradis à venir. Le lecteur se rendra compte de lui-même que dans la comédie qu'il va lire, ce problème de la « longévité » est abordé en fin de compte de façon tout à fait différente, et représente en fin de compte une condition aussi peu idéale que souhaitable. Il est bien difficile de dire quelle est, de ces deux opinions, la plus valable. Dans un cas comme dans l'autre, il manque, hélas, à ces deux théories d'être fondées sur une expérience personnelle." (pages 109-110).

Nous sommes dans le bureau d'un avocat. Vitek, son aide, fait du classement.
Gregor, un client, attend le résultat de son affaire, qui est jugée au tribunal. C'est une affaire familiale à plus d'un titre : pour lui, Gregor, mais aussi pour l'avocat, car ce litige s'éternise depuis plus de quatre-vingt-dix ans ! Il se transmet de génération en génération dans la famille de l'avocat.
Juste au moment où l'affaire Makropoulos semble tirer à sa fin, où un jugement définitif va être rendu, un nouvel élément va tout chambouler. Cet élément, c'est Emilia Marty, la célèbre cantatrice, qui vient demander des informations sur ce procès Gregor. Or, elle a elle aussi des renseignements très précis, inédits, comme s'ils étaient de première main... que cherche-t-elle ?

C'est une bien étrange femme, Emilia Marty. Son chant est incroyable, et son physique, sa présence, font tourner les têtes :
"GREGOR - Oui, je perds la tête. Je n'ai jamais perdu la tête comme en ce moment. C'est effrayant, le pouvoir que vous avez de déchaîner, de pousser un être sensé hors de ses limites, comme un clairon qui sonne la charge. Avec-vous jamais vu couler le sang ? C'est un spectacle qui peut entraîner l'homme jusqu'à la démence ! Eh bien c'est cela, c'est cela que j'ai ressenti en vous voyant pour la première fois. Il y a quelque chose de terrible en vous, quelque chose de terriblement incompréhensible. Vous devez avoir beaucoup vécu, n'est-ce pas ? Ah ! Je ne comprends pas que personne ne vous ait encore assassinée !" (pages 134-135)

On a vite compris ce qu'il en est, d'autant plus que si on aime un petit peu l'opéra, on connaît l'Affaire Makropoulos (1926), de Janacek (la traduction "Le Dossier" au lieu de "L'Affaire" est une tentative de restitution d'un jeu de mots en tchèque, comme l'explique le traducteur dans une Note sur la traduction du livre).


"[...]Věc Makropulos risque de frapper l'auditeur par son écriture austère, soumise au dialogue extrêmement dense préservé par Janacek ; sa science de la « parole chantée » y éclate cependant à nouveau, permettant à ces échanges rapides, martelés, agressifs, prosaïques, elliptiques et expressionnistes, de susciter des personnages vivants et identifiables, grâce à la variété rythmique et thématique du discours vocal, ainsi qu'à la partie orchestrale qui opte cette fois pour un pointillisme acerbe. L'ouverture, pleine d'angoisse et d'agitation, juxtapose des épisodes contrastés, où la fébrilité des cuivres, des vents et des cordes graves s'oppose au chant des violons". (Piotr Kaminski, Mille et un Opéras).

Même si le lecteur a vite deviné ce qu'il en était, ou peut-être à cause de cela, la pièce est amusante : les autres protagonistes sont en effet un peu lents à comprendre, eux, créant un effet burlesque. C'est logique : nous sommes face à une pièce de théâtre, alors que les personnages, eux, sont supposés vivre dans la vie réelle, et ce genre de choses n'arrive généralement pas dans la vraie vie.

On trouve quelques réflexions pas inintéressantes sur le thème de la longévité (c'est Čapek lui-même qui parle du thème de sa pièce dans son avant-propos), sur la vision que l'on peut avoir de l'Histoire selon qu'on l'a vécue ou pas...
"VITEK(indigné) - Mais permettez, on n'a pas le droit de dire des choses pareilles. Ce... ce n'est pas une affirmation historique ! Danton... Danton n'avait pas les dents gâtées. Vous ne pouvez pas le prouver ! Et quand bien même, qu'est-ce que cela changerait ? Rien du tout !
EMILIA - Comment, ça ne changerait rien ? Mais c'est dégoûtant !
VITEK - Non ! Avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas permettre... Danton ! Comment peut-on oser dire des choses pareilles ? Si l'on vous écoutait, il n'y aurait plus rien de grand dans l'Histoire !
EMILIA - Il n'y a rien de grand dans l'Histoire.
VITEK - Que voulez-vous dire ?
EMILIA - Il n'y a jamais rien eu de grand dans l'Histoire. Je le sais.
" (page 149).


Ce n'est certes pas la meilleure oeuvre de Čapek, mais elle est très plaisante et amusante (c'est officiellement une comédie, mais il y a comme d'habitude un fond sombre), parfois fascinante, avec un sujet quand même très sérieux (mais spéculatif) : "longue vie : chance ou calamité ?"


On notera un "rabattre les oreilles" (page 147) au lieu de "rebattre", bien sûr.

voyage vers le nord

- Voyage vers le Nord (Cesta na sever). Illustrations de Karel Čapek. Préface de Cees Nooteboom (traduite par Isabelle Rosselin). Traduit du tchèque par Benoît Meunier en 2010. 284 pages.

Dans son introduction, Cees Nooteboom écrit :
"Quand Voyage vers le Nord paraît à New York en 1939, Karel Čapek est mort depuis un an déjà, brisé par ce qui se déroule dans son pays après la trahison à Munich des grandes nations d'Europe occidentale, qui ont signé avec Hitler les accords scellant le sort de la Tchécoslovaquie. [...]
Le lecteur ingénu de New York s'aperçoit-il de quoi que ce soit en ouvrant le carnet de voyage de Karel Čapek en Norvège ? [...] À vrai dire, non : on sent ici et là, seulement si on le sait, une très légère allusion à un monde malveillant qui doit exister ailleurs, mais certainement pas à bord du Håkon Adalstein, le bateau qui longe la côte norvégienne en direction du cap Nord. On ne le sent pas davantage dans les chapitres d'introduction qui présentent une image plutôt paradisiaque du Danemark, pays de cocagne, de la Suède, carrée dans son fauteuil, très loin du cruel reste du monde, d'une Norvège presque rêvée, provoquant l'homme tout de regard qu'il est et le poussant à des descriptions merveilleuses, éblouissantes, de la nature
[...]" (pages 9-11)

Le texte est accompagné des beaux petits dessins de l'auteur.

Au début, Čapek dit avoir déjà fait un voyage dans le Nord : "ses ports, ses escales ont pour noms Kierkegaard, Jacobsens, Stringberg, Hamsun, etc. ; c'est toute la carte de Scandinavie qu'il me faudrait couvrir des noms de Brandes et Gjellerup, Geijerstam, Lagerlöf et Heidenstam, Garborg, Ibsen, Bjørnson, Lie, Kielland, Duun, Undset et Dieu sait qui encore ; Per Hallström, pourquoi pas. [...] Mais tout cela ne fut guère utile, et un jour, il faut bien s'en aller admirer certains endroits de cette terre, ceux où l'on se sent chez soi ; alors on s'émerveille, on hésite entre deux éblouissements : on avait déjà vu cela, ou bien on n'aurait jamais pu se l'imaginer. C'est bien en cela que la grande littérature est étrange : elle est ce qu'une nation a de plus national, mais la langue qu'elle parle est intelligible et familière à tous. Aucune diplomatie, aucune société des nations n'est aussi universelle que la littérature. Or, les hommes n'y accordent que trop peu d'importance ; et voilà pourquoi ils peuvent encore se haïr ou se sentir étrangers les uns les autres.
Et puis il y a un autre voyage, un autre pèlerinage dans le Nord, qui n'a qu'une seule direction : ce Nord où l'on trouve des bouleaux, des forêts, où pousse l'herbe et scintillent d'innombrables étendues d'eau bienheureuse ; où le froid est argenté, le brouillard plein de rosée et la beauté plus tendre et plus grave que toute autre ; nous aussi, nous sommes déjà ce Nord doux et froid, car nous en portons au plus profond de notre âme une parcelle que même une insolation prise pendant les moissons ne peut faire fondre [...] " (pages 18-20)
On sent clairement des allusions à la situation internationale...

Et c'est parti ! On passe de l'Allemagne au Danemark.
"Un petit pays, de ce vert clair qu'on utilise pour colorer les plaines sur les cartes ; des prés verts et de verts pâturages mouchetés de petits troupeaux [...]
il y a par ici une montagne, paraît-il, on lui a même donné un nom : le Himmelbjerg
[littéralement : « montagne du Ciel », explique une note] : l'un de mes amis la cherchait en voiture, et comme il ne la trouvait pas, il demanda à des autochtones où elle se trouvait, lesquels lui ont dit qu'il l'avait déjà franchie plusieurs fois. Mais ce n'est pas bien grave ; au moins, on voit loin, d'ailleurs, en se hissant sur la pointe des pieds, on doit même apercevoir la mer. Rien à dire, c'est un tout petit pays, quoiqu'il compte plus de cinq cents îles ; c'est une petite tranche de pain, mais bien beurrée." (page 26).

danemark

Puis, c'est la Suède.
"Du granit noir, des bouleaux blancs, des fermes rouges et des forêts noires : pour que la première impression soit complète, il ne manque plus que les lacs argentés. Ils scintillent par intermittence parmi les forêts, de tailles et de formes variables : ici une petite mare noire sur un lit de tourbe : là une longue lame d'argent qui s'enfonce à perte de vue dans la masse sombre de la forêt ; des lacs entourés de saules argentés, reflétant un ciel clair, et parsemés de nymphéas et de nénuphars [...]" (page 53).

suède


Et on arrive en Norvège pour embarquer à bord du Håkon Adalstein. Il paraît bien petit, le bateau qu'on est en train de charger ; la femme de Karel Čapek s'en inquiète auprès du capitaine..
"« Kaptein, lui demande avec anxiété l'âme inquiète qui m'accompagne aussi bien sur le chemin de la vie que sur la route du Nord, kaptein, ce bateau, il est vraiment tout petit, non ? »
Le kaptein rayonne. « Jaaa, grommelle-t-il avec reconnaissance. Un petit bateau, madame. Un bateau très douillet. »
Douillet, c'est le mot ; on était en train de charger à bord des sacs de ciment. « Et, kaptein, ce bateau, il n'est pas un peu vieux ? »
« Ne-e-ei, dit le kaptein, rassurant. Un bateau très récent. Complètement rénové. »
« Et quand a-t-il été rénové ? »
Le kaptein réfléchit un instant. « Mille neuf cent deux, dit-il. C'est un bon bateau. »
« Et quel âge a-t-il, au juste ?»
« Ja, soupire le kaptein. Soixante-deux ans, madame. »
L'âme inquiète n'a qu'un battement de paupières. « Et il peut transporter autant de briques et de ciment ? Il ne va pas couler ? »
« Ne-e-ei, assure le kaptein. Nous allons aussi charger trois cent sacs de farine. [...] Et nous prendrons encore deux cents tonnes de ballast. Ja
« Pourquoi ? »
« Pour que le bateau ne chavire pas, madame. »
« Ah, parce qu'il peut chavirer, votre bateau ? »
« Neei. »
« Et il peut entrer en collision avec un autre bateau ? »
« Neei. Sauf s'il y a du brouillard.»
« Il y en a souvent en été, du brouillard, par ici ? »
« O ja. Du brouillard, ça arrive. Jaa. » Le kaptein clignait de ses yeux bleus avec affabilité sous ses sourcils en brosse ; à mon avis, s'il porte ces brosses, c'est pour ne pas avoir à se protéger les yeux de la main quand il guette un récif.
" (pages 123-124)

le kaptein


Et on longe la côte, direction : le Nord !

Encore un très bon et très beau livre de Čapek, dans un genre bien différent de ses autres livres.

la guerre des salamandres    newts   valka s Mloky
Quelques couvertures : l'édition française Cambourakis ; l'édition américaine Bantam, 1955 ; une édition tchèque de 1986.

- La Guerre des salamandres (Válka s Mloky, 1936). Traduit du tchèque par Claudia Ancelot. Editions Cambourakis, 381 pages.

Le titre du roman est un peu trompeur : le lecteur s'attend à ce que la guerre occupe une grande partie du livre, mais ce n'est pas tout à fait cela.
Il n'empêche qu'on sait que quelque chose va mal tourner (au cas où on en douterait, bien sûr). Mais comment ?
Au début, on fait connaissance avec le capitaine J. Van Toch, qui s'exprime un peu comme le kaptein de Voyage vers le Nord.
Alors qu'il est du côté de Tana Masa, une île un peu à l'ouest de Sumatra, notre bon capitaine entend parler d'une zone où résident des diables... c'est du moins ce que disent les autochtones, les Bataks. J. Van Toch, sous couvert de faire du commerce, cherche à se procurer des perles pour le compte de sa compagnie. Il se renseigne auprès de l'agent commercial du coin.
"- Et comment sont-ils, ces diables de mer ?
Le métis de Cubain et de Portugais haussa les épaules :
- C'est des diables, Monsieur. J'en ai vu un, une fois, c'est-à-dire la tête. Je rentrais de Cap Haarlem... et tout à coup j'ai vu une espèce de caboche sortir de l'eau.
- Et alors ? Ça ressemble à quoi ?
- Une citrouille, comme celle d'un Batak, mais complètement chauve.
- Et ce n'était pas tout simplement un Batak ?
- Non, Monsieur. C'est comme je vous l'ai dit. Aucun Batak n'irait se mettre dans l'eau à cet endroit-là. Et puis... ça me clignait de l'oeil avec les paupières d'en bas, Monsieur
." (page 14)

Ces étranges salamandres vont devenir l'objet de curiosité, scientifique et commerciale.
C'est l'argent qui mène le monde. Les salamandres sont-elles intelligentes ? La question mérite-t-elle d'être posée à partir du moment où la reponse risque de nuire à l'économie, et donc au progrès mondial ?
Voici ce que dit un rapport à propos d'une salamandre type : "Il n'est pas question de pensée indépendante. [...] Elle s'intéresse aux mêmes sujets que l'Anglais moyen et réagit d'une manière analogue, c'est-à-dire selon les idées reçues. Sa vie intellectuelle, dans la mesure où elle en a une, se compose de conceptions et d'opinions courantes à l'heure actuelle." (page 134)

C'est souvent très drôle, d'un humour sarcastique. On voit les Anglais hypocrites, les Américains qui réagissent comme souvent un peu vite ("Plus tard, on limita les populaires autodafés de salamandres en ne les autorisant que le dimanche et sous la surveillance des pompiers.", page 241) ; les Allemands qui louent la pureté de la race de leurs salamandres, qui évolue "vers un type racial différent et supérieur, qu'il convenait de placer au-dessus de toutes les autres salamandres" (page 299). Le livre date de 1936...
Mais la logique économique (et humaine ?) qui conduit au pire n'est bien sûr pas propre à une époque.

L'histoire est souvent étonnante, on ne sait jamais où elle va nous mener ; la forme est originale : le roman, dans sa deuxième partie, est parsemé de coupures de presse, d'extraits de rapports, de tracts (parfois dans des langues incompréhensibles).
Excellent.

Il est fortement déconseillé de lire la quatrième de couverture, qui spoile effroyablement.

Apparemment (imdb ne le mentionne pas), le livre a été difficilement adapté en film, s'il faut en croire (et si j'ai compris) le site http://kultura.idnes.cz/z-capkovy-valky-s-mloky-je-konecne-film-nemci-ho-podporili-cesi-ne-pyp-/filmvideo.aspx?c=A111216_132920_filmvideo_tt
la guerre des salamandres - le film



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