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TOHARA Hisahi

(1927- 2007)


"Hisashi Tôhara a dix huit ans lorsqu’il est amené à vivre une page tragique de l’Histoire du monde.
Un an plus tard, il écrit sur un cahier ce que fut Hiroshima.
Puis il se tait.

Mieko Tôhara, sa femme, découvrira ce cahier trois ans après la mort d’Hisashi. Bouleversée, elle publie à Tokyo cinquante exemplaires de ce récit à compte d’auteur pour l’offrir à ses amis." (présentation de l'éditeur).

hiroshima

- Il y a un an Hiroshima (Genshi bakudan kaiko). Arléa. 56 pages.Traduit du japonais par Rose-Marie Makino.

"Je savais qu'il était de Hiroshima mais pendant nos quarante-deux ans de vie commune, s'il me parlait souvent de son adolescence dans le Japon militarisé, évoquant notamment ses soirées arrosées avec les jeunes recrues, il ne m'a jamais parlé de ce jour fatidique.
Et, sachant que le souvenir devait en être trop douloureux, je n'ai jamais osé le questionner sur ce sujet [...] Récemment, lorsque, trois ans après son décès, j'ai commencé à ranger ses affaires, j'ai découvert ces notes parmi ses journaux intimes", écrit sa femme dans la postface.

Le texte commence ainsi :
"Il y a un an, Hiroshima a été frappé par le malheur le plus épouvantable, le plus dramatique jamais expérimenté par l'humanité.
C'était le 6 août 1945, la vingtième année de l'ère Showa.
" (page 7).
Rapidement, c'est la défaite.
"
Le Japon, pays de nos ancêtres dont nous sommes si fiers, le Japon dont il n'existe aucun pays comparable au monde, a perdu le combat. [...]
Et il nous faut maintenant apprendre à vivre dans un misérable pays vaincu. [...]
Le peuple japonais, qui a pu paraître trop arrogant, commence à douter de ses propres valeurs, il est devenu plus servile qu'il ne le devrait. Il est atrophié, physiquement et moralement. Le monde a beau crier à la reconstruction, on ne voit rien de concret en dehors des restaurants et des théâtres.
" (page 8).

Puis vient le récit du 6 août.

Tohara était en première année de lycée. La rentrée des classes avait eu lieu quelques jours auparavant, le 1er août. Il était mobilisé pour le service civil dans une aciérie, mais le 6 août était le premier lundi du mois, jour où l'électricité y était coupée.
Ce matin là, donc, il sort tôt avec ses amis de collège, et ils vont prendre le train. Il change à Tôkaichi, et arrive à Yokogawa (ce sont des gares périphériques de Hiroshima, si j'ai bien compris - une petite note aurait été la bienvenue, là). Il est assis dans le train à côté d'un camarade, il attend le départ.
"
Hiroshima, ville maudite ! En un instant, les alentours s'éclairèrent au point que j'en fus aveuglé. En même temps qu'un grondement sourd montant de la terre, je sentis ma nuque brûler d'une douleur intense. Inconsciemment je me penchai en avant, toujours assis.
La lumière n'en finissait pas de s'écouler. D'innombrables particules de lumière. De tous côtés elles m'assaillaient. Des particules de lumière éblouissantes, dorées avec des reflets rouges. Des particules microscopiques, plus fines que de la poussière de feu. Par dizaines de milliers, par centaines de millions, elles se rejoignaient en une immense vague qui ne cessait d'affluer. Un déluge de lumière, qui inondait la terre et déferlait à travers la vitre derrière moi. Je ne voyais rien. Le ciel et la terre coulaient en un scintillement rouge, jaune et or, où l'on distinguait des myriades de particules encore plus étincelantes. Pendant deux ou trois secondes peut-être ? Mais il me semble que cela a duré beaucoup plus longtemps. Et aussi pas plus qu'un instant.
" (page 14).

Bien sûr, personne ne sait ce qui s'est passé (un peu plus loin dans le livre, toutes sortes d'hypothèses sont envisagées, notamment un largage massif d'essence pendant la nuit, suivi d'une seule bombe pour allumer un grand brasier).
D'autant que, après la lumière, c'est l'obscurité qui arrive. "
Après une telle explosion de lumière, quelle obscurité tout à coup ! Des ténèbres qui ne permettaient pas de voir à deux pas." (page 15).
Les gens courent en tous sens. "Il y avait d'horribles brûlures au visage, qui les rendaient méconnaissables.
" (page 17).
"
C'était l'enfer. Mais mon coeur était trop engourdi pour ressentir de la tristesse ou de la pitié à ce spectacle." (page 18).

C'est rapidement la crainte de l'incendie, car les gens se souviennent bien du Grand tremblement de terre de 1923 (voir le livre Le Grand Tremblement de terre du Kantô, de Yoshimura Akira).
Il faut donc fuir, et vite.
Mais des gens sont coincés sous des décombres, ils appellent à l'aide. Que faire ? Fuir et sauver sa peau (peut-être), ou rester, aider et sans doute mourir ?

Tohara et son compagnon vont tenter de rejoindre les fermes où leurs mères avaient été évacuées, non loin de là. Ils vont remonter le fleuve.
Tohara se répète "
« Tu es un lycéen ! Tu es un lycéen ! » L'image du lycéen se confondait alors dans mon esprit à celle d'un jeune homme héroïque au caractère bien trempé. Un lycéen était un garçon courageux sortant du lot. Et je me détestais en lycéen prenant la fuite." (page 22).
Des cris se font entendre, un homme est coincé, il crie à l'aide. L'incendie n'est pas loin.
"
Il fallait le sortir de là au plus vite, sinon il mourrait brûlé vif !
Mais je n'avais déjà plus assez de disponibilité aux autres. Malgré ma mauvaise conscience, je n'eus pas un geste pour lui.
Aujourd'hui encore à ce souvenir je suis tourmenté par un profond sentiment de culpabilité.
J'éprouve du dégoût envers moi-même à l'idée que cette réaction donne une fausse image de moi.
" (page 23).

La compassion reviendra plus tard, quand il se sentira un peu plus à l'abri.

L'incendie est là. "Piliers et poutres étaient emportés comme des feuilles mortes, qui retombaient sur l'eau dans un jaillissement de vapeur." (page 29). Le souvenir du Grand tremblement de terre de 1923 et ses horreurs ressurgit de plus belle.

"Finalement j'étais faible. Je ne pensais qu'à moi.
Même si en temps ordinaire je fanfaronnais, il suffisait d'enlever l'écorce, à l'intérieur je n'étais rien de plus qu'un être faible et misérable.
" (page 31).
En lisant le texte, on imagine la culpabilité que Tohara Hisashi a pu porter pendant toutes les années qui suivirent, lui qui n'a jamais parlé de cette journée.

Les destructions sont inimaginables, est-ce que même les fermes, vers lesquelles Tohara et son compagnon se dirigent, auraient été touchées ?
Le chemin doit se poursuivre ; la fatigue est là, les blessures aussi. Il y a des décombres, partout. Et les flammes qui arrivent. Comment y échapper ?

Bien sûr, Tohara Hisashi a survécu. Et il a échappé à l'étrange maladie des irradiés.
"Ceux qui perdaient leurs cheveux étaient abandonnés même des médecins.
J'ai vécu en tirant chaque matin sur mes cheveux pour me convaincre que je tenais encore le coup.
" (page 51)
"Aujourd'hui encore, les habitants de Hiroshima désignent la bombe atomique du nom affectueux de «pikadon» : «pika» pour l'éclair, «don» pour la détonation, qui lui a été donnée par les enfants après l'explosion." (page 53)

Un texte autobiographie bien écrit, très prenant. On lit toujours les histoires vraies, vécues, différemment des autres, surtout lorsque le sujet est aussi marquant.

Qu'est devenu Tôhara ? Qu'a-t-il fait de sa vie ?
Le lecteur français n'en sait rien.

Concernant la bombe à Hiroshima et ses conséquences, on pourra lire Hiroshima, fleur d'été, de Hara Tamiki, ou encore (mais là c'est un roman) La Pluie Noire, de Ibuse Masuji,

Pour finir, ce n'est sans doute pas un hasard si "Il y a un an Hiroshima" paraît un an après Fukushima.


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