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TAKAMI Jun

(30/06/1907 - 17/08/1965)

takami jun

"Takami Jun, de son vrai nom Takama Yoshio, est né en 1907 dans la préfecture de Fukui. Poète, romancier, éditeur, lui même arrété et torturé en février 1933 pour ses sympathies de gauche, il a largement puisé dans son experience personnelle pour écrire bon nombre de ses romans. Après avoir composé un certain nombre de poèmes sur son lit de malade, il décède en 1965, à l'age de 58 ans, avant de pouvoir terminer une serie d'écrits se rapportant à l'ère Showa." (source : Picquier)

Il était le cousin (écrit Kawabata, voir page 8 de l'avant-propos à Haut le Coeur) ou le demi-frère (dit wikipedia) de Nagai Kafu.
Toujours sur wikipedia, il est écrit que Takami Jun a été arrêté en 1932, et pas en 1933... qu'importe qui a raison, ce flou va bien avec le livre Haut le Coeur.

heut le coeur
Couverture : Le grand tremblement de terre de Tôkyô de 1923. Collection du temple Shin'nyo-en

Haut le Coeur (Iya na kanji, 1960-1963). Roman traduit par Marc Mécréant en 1985. Avant-propos de Kawabata Yasunari. 732 pages. Picquier poche.

"C'est un autre Japon que celui des ombrelles, des sourires et des kimonos fleuris qu'on trouvera dans ce livre." (Préface de Marc Mécréant, page 17).
C'est peu de le dire.
Nous sommes au Japon (notamment), dans les années 1920-1930.
Le roman est écrit à la première personne du singulier, manifestement longtemps après les événements racontés. Il est donc évident que notre héros survit aux multiples péripéties du roman.
Les dialogues sont remplis d'argots de prison, de lieux chauds... On sent que la traduction n'a pas dû être aisée.

Le narrateur est un anarchiste du nom de Kashiba Shirô. Il est fils de fondeur.
Avant le début du livre, il a échappé de peu à la mort. En effet, il aurait dû faire partie d'un complot qui a mal tourné, et dont les acteurs ont été exécutés.

La situation de départ est pour le moins complexe - et ce d'autant plus pour un Européen - , et elle le deviendra de plus en plus.

Les anarchistes détestent les communistes. Le voici, notre héros anarchiste, aux prises avec un communiste :
"Quand j'avais le malheur d'être entrepris par ces gens-là, férus de subtilités dialectiques, vraiment je n'étais pas de taille. [...]
- Ce que nous voulons, nous, c'est agir, avais-je, à bout de forces et pour en finir, crié à mon type.
- Une action non fondée en théorie n'a aucun sens, avait-il laissé tomber d'un ton dégoûté. En tant qu'anarchistes, nous nous opposions aux « bolcheviks », comme nous disions, pour désigner les communistes. Mon type insistait :
- Et ça n'est pas seulement dénué de sens. Ça affaiblit considérablement la lutte des classes !
Il allait jusque-là, méprisant, définitif. J'en avais assez, à la fin, de les voir, ces bolcheviks, attirer dans leurs rangs des espèces de blancs-becs, étudiants ou autres du même tabac. Ça vit aux crochets des parents, mais ça pince le bec pour débiter de belles phrases ! A quoi ça rime ?
" (pages 50-51).
"Nous n'étions pas comme les bolcheviks qui faisaient leurs délices de ces disputes théoriques que nous avions, nous, en horreur. De plus, nous avions pour principe fondamental le respect absolu de toute libre initiative de nos camarades." (page 82).

Autre différence pratique entre les anarchistes et les bolcheviks : la fréquentation des prostituées.
"Entre nous, la fréquentation des prostituées était chose dont il n'y avait absolument aucune raison de rougir. Nous n'avions que mépris au contraire pour ces bandes de jeunes bolcheviks en rupture d'université qui regardaient ça comme un signe répugnant de décadence et se composaient impudemment des masques sévères de soldats de la vérité. Par-derrière, en catimini, ils embobinaient les étudiantes en mal de marxisme, mais affectaient des airs de martyrs dont l'hypocrisie excitait notre haine." (page 85).

Aux yeux des anarchistes, les bolcheviks sont donc des hypocrites.
Mais cette vraie opposition entre les anarchistes et les communistes, ce n'est pas de la simple rhétorique : "[...] en mobilisant les ouvriers seulement en vue de la lutte des classes, en les enrôlant en vue de la prise du pouvoir, ils les pliaient à une obéissance totale, comme de simples soldats de la lutte des classes, sous la direction du gouvernement communiste.
[...]
Telle était l'origine de notre opposition au communisme étatique. Ce que nous révérions plus que tout au monde, c'était la liberté des travailleurs.
[...]" (page 98).

Dénoncer l'hypocrisie des communistes est une chose, mais notre héros lui-même n'est pas très clair, et ça le turlupine : pour survivre, lui et son ami Sunuma font des petits vols.
"Je ne le faisais pourtant pas sans une certaine gêne. Je voyais bien dans quel esprit nous agissions, mais comment aurais-je pu me sentir satisfait d'actes qui peu à peu en étaient arrivés à ne point se distinguer extérieurement des filouteries pures et simples des jeunes voyous, ou de ce que les piliers de tripot appelaient : faire cracher au bassinet ?" (page 76).

Avec l'arrivée d'un militaire, le Lieutenant Kitatsuki, nous découvrons les oppositions existant au sein de l'armée. Car, si tous se réclament de l'étendard impérial, il existe de nombreux clans ("s'excommuniant bien sûr et se sabrant mutuellement", préface de Marc Mécréant, page 25) qui s'opposent notamment sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la Chine.
Le tout sur fond de corruption généralisée.
"- Faire don de sa vie à l'Empereur, est-ce que ça ne revient pas à dire : faire don de sa vie au peuple constitué par les enfants de l'Empereur ?
- Pas du tout ! C'est fondamentalement différent. C'est le peuple de Sa Majesté l'Empereur, non l'Empereur du peuple !
" (page 500).

Ce petit monde veut bien mener les troupes au sacrifice pour l'Empereur, mais pas pour satisfaire "les appétits égoïstes de rapaces et d'ambitieux" : "Faire massacrer l'armée de l'Empereur pour les beaux yeux des capitalistes, ce n'est pas pour remplir la Volonté de Sa Majesté l'Empereur." (page 500).
"Le peuple japonais avait été, sous forme de soldats, chassé vers les champs de bataille ; et son énergie refoulée, ses aspirations insatisfaites, distordues, brisées avaient trouvé en Chine le lieu de leur libération." (page 588).

A un moment, notre héros contemple Tokyo plongé dans la nuit : des fenêtres sont éclairées. "Le bonheur mesquin des petits-bourgeois clignotait ainsi dans un paisible silence... Et pourtant, un de ces matins, on les verrait, ces rues, transformées en enfer et en champ de carnage. Tant pis pour les citadins qui recevraient les éclaboussures de la révolution : pas question de s'attendrir sur leur sort ; ils avaient trop soupiré après une existence de paresseux confort !" (page 332)

Car la théorie et la parlote, c'est bien, mais il n'y a pas que ça dans le roman.
Complots, attentats, mutineries, arrestations, double-jeu (ou plus), assassinats, anarchistes qui passent peut-être sous la bannière rouge, collaboration contre-nature entre des anarchistes et des nationalistes de l'armée, trafics en tous genres, remplissage de poches... Groupes, associations, ligues...Qui est avec qui et pourquoi ? Qui tue qui et pourquoi ?

C'est un vrai embrouillamini (le mot est utilisé dans le roman)... Les motivations du narrateur sont souvent obscures, il agit parfois comme ballotté par les événements. Mais il a une vraie fascination pour la violence, la destruction... il se découvre une véritable jouissance physique à l'idée d'accomplir un acte violent. Finalement, est-il toujours motivé par la théorie qu'il défend ?

Dans son avant-propos, Kawabata cite Mishima : "Par-delà les révoltes sans but, les démolitions, tout ce qui vous met brutalement nez à nez avec la face si incontestablement ignoble du monde, tout ce qui continuellement, d'aversion, vous donne la chair de poule, par-delà tout cela quelque chose demeure qui relève de la fascination."


Le roman est donc une plongée dans le Japon des années 20 et 30, la Chine, la Corée, ses trafics, ses luttes de pouvoir, un bouillonnement d'énergies incroyable...
On ne comprend pas tout, loin de là, mais le lecteur est rassuré : le narrateur ne comprend pas toujours mieux que lui ce qui se passe. On est presque dans certains romans noirs américains, ou dans certains films du type Le Grand Sommeil : personne n'y comprend rien, mais c'est finalement assez fascinant. Quand le narrateur ne comprend pas bien ce qu'on lui demande, il répond de manière ambiguë, son interlocuteur fait semblant de comprendre (ou bien comprend-il vraiment ?) ce qui est sous-entendu, et l'histoire avance.

A titre anecdotique, on apprend que des chevaux, bloqués dans la neige pendant plusieurs jours, peuvent survivre en "se nourrissant réciproquement de la crinière et de la queue". (page 460).
Etonnant, non ?


 


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