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OZAKI Mariko

(née en 1959 -)

ozaki mariko


Née en 1959, journaliste et critique littéraire pour le quotidien Yomiuri, Ozaki Mariko a été rédactrice en chef des pages littéraires du journal, et est actuellement en charge des pages culturelles.
Elle a également publié Oe Kenzaburô, l’écrivain se raconte (Shinchôsha, 2007) et L'Histoire littéraire selon Setouchi Jakuchô (Chûôkôron Shinsha, 2009).





ecrire au Japon

Ecrire au Japon (Gendai niho no Shôsetsu, 2007). 190 pages. Traduit du Japonais par Corinne Quentin, Philippe Picquier.
Prologue : "« La littérature japonaise moderne est arrivée à son terme. L'histoire littéraire est finie » Combien de fois cela m'a-t-il été répété par des écrivains, critiques, éditeurs !
Même s'il paraît toujours des best-sellers, les livres à même de durer cinquante ou cent ans sont devenus extrêmement rares, quant aux critiques, ils semblent pour la plupart avoir renoncé à repérer des évolutions et mouvements. Les oeuvres anciennes, elles, sont de moins en moins rééditées et tombent lentement dans l'oubli.
" (page 9).

Ce qui n'empêche pas des auteurs actuels d'avoir un énorme succès, notamment à l'étranger, aux Etats-Unis, en Chine, en France, en Italie : Murakami Haruki, Yoshimoto Banana, Ogawa Yôko... "[...] leurs romans y sont lus sans difficulté, comme s'ils y étaient nés." (page 9). La littérature japonaise connaît donc un succès international sans précédent pour elle.
Cette internationalisation, l'évolution de l'âge des écrivains (qui sont de plus en plus jeunes à obtenir des prix), l'influence de l'ordinateur (par rapport à l'écriture manuscrite) sur le style et même le fond des romans, l'avènement d'une nouvelle génération qui n'a pas connu la guerre, le quasi-abandon de la politique et des thèmes sociaux (tels que la baisse de la natalité, vieillissement de la population) dans la littérature... sont quelques-uns des thèmes abordés dans ce livre.

1/ Ozaki Mariko commence par une année pour elle fondamentale : 1987, avec l'apparition de deux livres qui marquent le "début de la fin". C'est le titre de la première partie du livre.

Ces deux livres sont Kitchen, de Yoshimoto Banana, et La Ballade de l'Impossible, de Murakami Haruki (ansi que, en début d'année, un recueil de tankas en "langage parlé", L'Anniversaire de la salade, de Tawarai Machi). Les ventes sont énormes. Le livre de Murakami est affublé du bandeau : "« Un roman d'amour 100% pur jus ». Cette phrase, de même que la couleur de la couverture respectivement rouge et verte pour les volumes 1 et 2, ont été choisis par l'auteur lui-même" (page 14). Son roman est paru directement en livre, et non par la case d'une pré-publication en feuilleton.
Ce qui est très étonnant pour un Français, c'est de voir que quasiment tous les livres qui sont traduits chez nous, sont certes sortis préalablement en livre au Japon, mais après une publication dans des revues. Nous n'avons pas cela, ou peut-être ne l'avons-nous plus (des romans bien connus ont paru en feuilleton, ceux d'Alexandre Dumas bien sûr ; et en Russie, Anna Karénine, par exemple, était paru dans les journaux ; peut-on imaginer le prochain Houellebecq, par exemple, sortir dans les journaux, quotidiennement ou de façon hebdomadaire ?). Il y avait en 1987, six revues littéraires, au tirage limité (quelques dizaines de milliers d'exemplaires) qui se "battent avec acharnement" (page 21) en publiant notamment les derniers textes d'auteurs à succès.

Le mois suivant sort un livre important de Oé Kenzaburô, Lettres aux années de nostalgie, un ouvrage important.
Oé raconte (dans Oé par lui-même, 2007, écrit par Ozaki) qu'il s'est rendu dans une librairie : "[...] et j'ai vu des piles d'un livre à la belle couverture rouge et verte, intitulé La Ballade de l'impossible, alors que mon livre se trouvait au fond de la librairie et semblait me regarder d'un air contrit. (Rires). J'ai gardé une impression particulièrement forte du changement d'époque que constitue ce roman (...) Ma façon d'écrire, c'est-à-dire dans un style propre à la langue écrite, est devenu dès lors un style ancien et les deux écrivains que sont Murakami Haruki et Yoshimoto Banana ont commencé à créer une nouvelle écriture de l'oralité. »" (page 15).

En 1989, l'empereur Hirohito décède, c'est la fin de l'ère Shôwa : on entre dans l'ère Heisei avec l'avènement de son fils, Akihito, qui devient empereur.
Un critique littéraire parle d'une sensibilité commune entre les auteurs de cette époque, le sentiment que quelque chose a pris fin, même si on ne sait pas forcément quoi, ni même si ce quelque chose avait vraiment commencé. Et, même, l'idée de commencement et de fin disparaît pour céder la place à un "espace abstrait et neutre" (page 28).

Le polémiste Gotô Meisei écrit en 1994 (il a soixante-deux ans): "Parmi les jeunes auteurs apparus récemment, il semble que la tendance à l"«édification et au narcissisme» prend de l'importance. De même qu'une certaine valorisation de la force de caractère, de l'amitié et des larmes. C'est parce que le manga s'appuie sur ces trois piliers que ce genre atteint des chiffres de vente de plusieurs centaines de milliers d'exemplaires voire de millions, mais pour la littérature, ces trois éléments sont trois maux !" (page 37).

De manière générale, il y a homogénéisation de la culture et de la sensibilité mondiales des jeunes générations. "Quel que soit le pays, tout lecteur est susceptible de me comprendre", dit Yoshimoto Banana (page 42). Le roman japonais contemporain est destiné au grand public du monde entier... et en même temps, perd de son originalité.

La perte d'influence de la génération précédente, celle qui a marqué la littérature d'après-guerre s'accentue avec les disparitions de Abé Kôbo (1924-1993) et de Nakagami Kenji (1946-1992).


2/ Une deuxième partie de l'ouvrage est consacrée à "La mondialisation de Murakami Haruki".
Murakami a dit : " « Je ne fais pas de la théorie : à travers une histoire dans laquelle il est facile de pénétrer, parce que son « seuil d'entrée est bas », il est possible de créer un échange avec les lecteurs. [...] Personnellement, je veux vraiment rendre facile l'accès au roman, "écrire en abaissant le seuil" autant que possible. Mais sans en réduire la qualité. C'est ce que je veux faire depuis le début." (page 78).
En gros, une quarantaine de pages sont consacrées à Murakami Haruki, son influence, le pourquoi de son succès international.

3/ Dans une troisième partie, Ozaki Mariko aborde les "transformations dans le système de la création".
En janvier 2004, le prix Akutagawa est remis à deux lauréates : Kanehara Hitomi, vingt ans, et Wataya Risa, dix-neuf ans. Choix peut-être destiné à faire vendre des romans. "Mais il faut bien reconnaître aussi qu'à la suite de ce jour-là, divers effets se sont fait sentir à plus long terme" (page 86) : découverte de la littérature, ou du moins d'une forme de littérature, par une partie de la population qui ne s'y intéressait pas a priori, et incitation pour les jeunes à écrire des romans.

4/ La quatrième partie est intitulée "Une nouvelle sensibilité née avec l'ordinateur". Ozaki Mariko parle du problème de la distance qui s'établit entre l'éditeur et l'écrivain, qui peut maintenant habiter au bout du monde, et envoyer son texte par mail (phénomène déjà initié par l'apparition du fax). Il y a moins de contacts, moins de relations, de discussions. Le lien entre l'éditeur et l'écrivain se dépersonnalise, ce qui crée de nombreux problèmes. Notamment, cette dépersonnalisation fait que le livre est d'autant plus considéré comme une marchandise, moins comme une oeuvre.
Le droit à écrire ce que l'on veut régresse aussi, le politiquement correct gagne du terrain (Tsutsui Yasutaka a quelques ennuis), et il est moins simple qu'avant d'écrire sur des faits réels (risques de procès).

Le traitement de texte a entraîné une "pensée phonétique". En effet, contrairement à notre écriture occidentale, les Japonais tapent phonétiquement le caractère qu'ils veulent obtenir, et une liste apparaît ; il font alors le choix du kanji ou autre qu'ils désirent.
Le calligraphe Ishikawa Kyûkô écrit :
"« La pensée résultant de l'usage phonétique des syllabaires entraîne le développement de la langue orale et réduit la possibilité d'abstraction. L'usage de la machine à traitement de texte explique en partie le fait que les textes deviennent bavards. [...]" (page 146)

Akasaka Mari dit qu'elle a l'impression d'être "deux à écrire ensemble : moi et la machine". Lorsque la machine "propose certains idéogrammes qui ne correspondent pas à mon idée, il arrive que je sois surprise ou amusée. C'est comme s'il y avait quelqu'un près de moi qui penserait et écrirait autre chose que moi. [...] J'ai l'impression que mon l'ordinateur transforme mon roman pour lui donner une meilleure forme." (page 142)

Face à l'accélération des technologies, les descriptions ou les situations décrites paraissent dépassées deux ans ou trois ans après. Peut-être en réaction, des écrivains se tournent vers "un univers paisible et nostalgique avec, en toile de fond, des vestiges de l'ère Shôwa" : par exemple, Les Années douces (de Kawakami Hiromi, 2001) ; en 2006, Ogawa Yoko, elle, écrit La Marche de Mina, qui se situe en 1972...
"Le roman contemporain n'est plus en mesure de décrire tel quel le présent. Pour comprendre les difficultés de l'homme contemporain, il doit remonter dans le passé." (page 162)

Dans sa postface pour l'édition française, Ozaki écrit : "Le champ littéraire se rétrécit et on assiste à la consommation de nombreux romans de distraction, offrant des émotions artificielles, qui, les uns après les autres, sont adaptés au cinéma et à la télévision.
On peut dire que, même s'ils sont écrits en japonais, les romans d'aujourd'hui n'appartiennent plus à la littérature « japonaise » moderne, qui n'existe plus. C'est sans doute le roman en deux volumes de Murakami Haruki 1Q84, publié en mai 2009, qui y a mis un point final. Ce roman de Murakami était comme promis à un succès de best-seller mondial et ne nécessitait pratiquement pas d'être présenté comme un produit japonais.
" (page 171).
De plus, avec le développement d'Internet dans les années 2000, l'anglais prend une place prépondérante. "[...] sera-t-il possible, et jusqu'à quel point, de protéger une pensée propre à chaque langue et de continuer à créer de nouvelles oeuvres littéraires ?"

 

Ozaki parle d'un critique littéraire et membre de jurys littéraires, Etô Jun (1932-1999) qui a écrit en 1996, après lecture des textes nominés pour un prix : "j'ai le vif sentiment que le temps où je pouvais juger les textes inédits de jeunes auteurs est maintenant révolu" (page 112).
Ozaki semble avoir un problème similaire : "Personnellement, je sens que je suis moi aussi devenue sévère envers les romans qui paraissent actuellement." (page 163).
Le vrai problème qui se pose est de savoir s'il y a vraiment une baisse de niveau, ou si ce sont les référentiels d'appréciation de la littérature qui doivent changer.
Car toutes les générations considèrent que ce qui se fait est moins bien qu'avant. "Mais quand donc le monde ne fut-il point décadent ?", se demandait Okakura Kakuzô dans Le Livre du thé (1906).

Reste l'inconnue des répercussions du 11 mars 2011 (tremblement de terre, tsunami, incident nucléaire) sur les oeuvres à venir.

Un livre vraiment intéressant pour les amateurs de littérature japonaise contemporaine, qui décrit bien l'évolution de la littérature "pure" vers une littérature "pop" internationale et plus spécifiquement japonaise ; il permet aussi de voir de l'intérieur, ou du moins de plus près, le système des prix littéraires japonais. De plus, les livres des auteurs sont replacés dans le contexte du moment de leur écriture, et dans la carrière des auteurs, ce que nous, en France, ignorons totalement. Quelques livres nous arrivent en France mais, souvent, nous ignorons tout de leur auteur.

Pour coller momentanément à l'actualité, comment interpréter la démission, le 18 janvier 2012, de Ishihara Shintarô (né en 1932), un des membres du comité Akutagawa (ami de Mishima, il est écrivain - il a remporté le prix Akutagawa en 1955 et est l'actuel gouverneur de la préfecture de Tokyo), après avoir comparé à des détritus les deux textes primés (signés Shinya Tanaka et To Enjo) ?
Est-ce un nouvel indice de la fracture qui s'est opérée dans la littérature japonaise, ou bien y a-t-il d'autres enjeux derrière... Réponse avec le prochain ouvrage de Ozaki Mariko, peut-être.

 

On peut lire les 46 premières pages sur le site de Philippe Picquier, ce qui correspond à la première partie.

 

 


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