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OKAKURA Kakuzô

(Yokohama, 1862 - 1913)

okakura

 

Okakura Kakuzô est né à peu près au moment où le Japon s'est rouvert au monde (1860). Son père, samouraï de haut rang, était venu à Yokohama et y avait ouvert des magasins de négoce de soie avec les étrangers. Kakuzô a ainsi pu se mettre à l'anglais très jeune, langue qu'il possédera bientôt parfaitement.
Après la mort de sa mère, son père s'est remarié ; Kakuzô a passé sept ans dans un temple bouddhiste, approfondissant sa connaissance des classiques chinois. Il s'est également intéressé à l'art : peinture japonaise, composition de poèmes chinois.
Son professeur de philosophie à l'université de Tôkyô, l'Américain Ernest Fenollosa, a joué un rôle très important dans sa vie : aidé de Okakura (pour la traduction), Fenollosa a collectionné des oeuvres d'art et étudié les textes traitant de l'esthétique nippone. Grâce à lui, Okakura s'est fait des relations dans les milieux américains.
Plus tard, il a été chargé de fonder une école nationale d'art, puis est devenu conservateur du Musée impérial. Il démissionna plus tard, visita la Chine, l'Inde, l'Europe, et en 1904, se rendit aux Etats-Unis pour prendre un poste aux départements chinois et japonais du musée des Beaux-Arts de Boston.
Fort de sa connaissance approfondie des cultures occidentale et orientale, il a écrit plusieurs ouvrages en anglais destinés à faire connaître la culture orientale aux occidentaux : Les Idéaux de l'Orient (The Ideals of the East, 1903), Le Réveil du Japon (The Awakening of Japan, 1904), et son livre le plus célèbre, Le Livre du Thé (The Book of Tea, 1906).

le livre du thé

Le Livre du thé (The Book of Tea, 171 pages, Picquier poche, 1958, traduit de l'anglais par Corine Atlan et Zéno Bianu, avec une introduction - dont la plupart des éléments biographiques ci-dessus sont tirés - du Maître de thé Sen Soshitsu XV, descendant du très célèbre Maître de Thé Sen Rykyû).
Ce livre est un essai écrit en anglais dont le but affiché est d'expliquer au profane occidental la cérémonie du thé ("cha-no-yu"), mais Okakura l'utilise en fait comme un moyen d'en "dégager les valeurs et les idéaux traditionnels. [...] De même que le Japon apparaissait comme le dépositaire des coutumes du continent asiatique, la voie du thé pouvait être légitimement perçue comme la synthèse vivante de tous ses arts traditionnels" (introduction, page 16).

Après un plaidoyer plein d'humour pour une meilleure connaissance mutuelle entre les pays du monde, connaissance qui devrait éviter tant de guerres (ah, si cela pouvait être vrai...), il en vient au thé, vecteur de paix. "
L'humanité, chose curieuse, s'est toujours retrouvée autour d'une tasse de thé. Voilà bien le seul rituel asiatique qui emporte l'adhésion universelle." (page 31). Il continue : "Le thé n'a ni l'arrogance du vin ni l'affectation minaudière du cacao." (page 34).
L'auteur sait écrire de jolies phrases, bien profondes, que l'on peut sans doute méditer... tout en buvant un bon thé (on notera au passage qu'en français, il n'y a pas loin entre un bon thé et la bonté) :
"Charles Lamb, adepte proclamé du breuvage, a sans doute saisi l'esprit même du thé lorsqu'il écrivit que le plus grand plaisir qui fût était d'accomplir une bonne action à la dérobée et de s'en apercevoir par hasard. L'art du thé consiste en effet à dissimuler la beauté que l'on est capable de découvrir, et à suggérer celle que l'on n'ose révéler." (page 35).

utamaro
Kitagawa Utamaro : Okita, serveuse de thé. 1793-1794.

Puis il en vient à l'évolution historique de la manière de préparer le thé, et on pourra constater la façon très originale qu'a l'auteur d'établir des comparaisons entre concepts orientaux et occidentaux : "De même que les différentes façons de faire le vin marquent la spécificité de telle période ou de telle nation en Europe, les idéaux de la voie du thé caractérisent les différentes modalités de la culture orientale. La brique de thé que l'on fait bouillir, la poudre de thé que l'on bat, la feuille de thé qu'on laisse infuser, témoignent respectivement des pulsions émotionnelles chères aux dynasties Tang, Song et Ming. Pour emprunter la terminologie des classifications artistiques, dont on a toutefois quelque peu abusé, nous pourrions définir ces trois stades comme les trois écoles du thé : classique, romantique et naturaliste." (pages 40-41).

L'auteur explique pourquoi les Japonais sont les dépositaires de la tradition asiatique du thé : "
Le Chinois d'aujourd'hui considère certes le thé comme une boisson délicieuse, mais non plus comme un idéal. Accablé par les longs malheurs de son pays, il n'a plus le désir de trouver sens à la vie. Il est devenu moderne, autant dire vieux et désenchanté. Il a perdu cette foi sublime en l'illusion, source de vigueur et d'éternelle jeunesse pour les poètes et les sages. Eclectique, il accepte avec politesse les traditions universelles. Il joue avec la Nature, mais ne condescend ni à la conquérir ni à l'adorer. Certes, sa feuille de thé conserve parfois un merveilleux arôme floral, mais le cérémonial poétique de Tang et de Song a déserté sa tasse." (pages 50-51)
Le Japon, donc, contrairement à la Chine, a conservé l'idéal du thé : "
Notre résistance victorieuse à la tentative d'invasion mongole de 1281 nous a permis de perpétuer la tradition des Song, annihilée dans son pays d'origine de si désastreuse façon par les incursions nomades." (page 52).

Il lui arrive souvent de déborder sur d'autres sujets. Ainsi, au détour d'un paragraphe, Okakura écrit : "
Une traduction, parce qu'elle est toujours trahison, ne saurait être au mieux, comme le note un auteur Ming, que l'envers d'un brocart : tous les fils sont présents, certes, mais point la subtilité de la couleur ni la finesse du dessin".
(note : On peut rapprocher cette réflexion d'un passage du Don Quichotte : "
Et pourtant, il me paraît que traduire d'une langue dans une autre, quand ce n'est pas du grec ou du latin, les reines des langues, c'est comme regarder l'envers d'une tapisserie flamande : on distingue toujours les figures, mais brouillées par un tas de fils, si bien qu'elles ont perdu la netteté et l'éclat qu'elles avaient sur l'endroit." - Don Quichotte de la Manche, tome 2, Points, traduction d'Aline Schulman, pages 509-510.)

Il consacre ensuite un chapitre au Tao et au Zen, puis un chapitre à la chambre de thé : "[...]
les matériaux employés pour sa construction doivent suggérer une pauvreté raffinée. Tout cela, ne l'oublions pas, est le fruit d'une profonde méditation artistique; les détails ont été ici exécutés avec une attention plus grande encore que celle apportée à la construction des temples ou des palais les plus somptueux." (page 78).

Comme toujours, il élargit son propos pour établir des comparaisons entre les valeurs et les pensées orientales et occidentales : "
On voit ainsi que le système de décoration propre à nos chambres de thé s'oppose nettement à ce qui se pratique en Occident, où l'intérieur des maisons est par trop souvent transformé en musée. Pour un Japonais, accoutumé à la simplicité ornementale et aux changements de décor fréquents, un intérieur occidental - où s'entasse en permanence un bric-à-brac de tableaux, de statues et d'objets de toutes les époques - donne l'impression d'un vulgaire étalage de richesses. En vérité, jouir en permanence de la vue d'un seul tableau, fût-ce un chef-d'oeuvre, nécessite déjà une extraordinaire faculté d'appréciation. Sans doute faut-il être doué d'une perception illimitée pour pouvoir vivre jour après jour au milieu de la confusion de couleurs et de formes qui règne dans bien des demeures d'Europe et d'Amérique" (page 90).

bol à thé
Bol à thé Tianwu, exposé à la Maison de la culture du Japon à l'occasion de l'exposition "Kanazawa - Aux sources d’une culture de samouraïs" (02/10/2013-14/12/2013).

Puis vient un chapitre sur le sens de l'art : "Aujourd'hui, chose combien regrettable, la plus grande part de notre enthousiasme apparent pour l'art ne repose sur aucun sentiment réel. En une époque démocratique comme la nôtre, les hommes réclament à cor et à cri - et sans même tenir compte de leurs propres sentiments - ce que la majorité considère comme le meilleur. Ils délaissent le raffiné pour le coûteux, et la beauté pour la mode. [...] Le nom de l'artiste est plus important à leurs yeux que la qualité de l'oeuvre. Comme s'en plaignait déjà un critique chinois il y a quelques siècles : « Les gens critiquent la peinture avec leurs oreilles »." (page 107).
Eh oui, rien n'a changé depuis 1906 !

Ensuite viennent d'autres chapitres : sur les fleurs, les Maîtres de thé, et pour conclure le livre, une très intéressante postface, rédigée tout comme l'introduction par Sen Soshitsu XV, qui connaît visiblement - contrairement à tant de préfaciers - l'utilité d'une postface : approfondir ce qui a été dit, préciser. Combien de préfaces trouve-t-on qui nécessitent déjà d'avoir lu l'ouvrage qu'elles sont censé présenter !


Le Livre du thé est un essai vraiment très intéressant et très bien écrit par un homme de culture(s) qui permet d'envisager la culture japonaise sous un angle différent, original, et de se rendre compte - si nous ne le savions pas déjà - que nous ne sommes pas les seuls à nous plaindre de notre époque, car comme l'écrit Okakura : "
mais quand donc le monde ne fut-il point décadent ?" (page 36).

utamaro   utamaro
Kitagawa Utamaro (1753 ?-1806): Serveur d'une maison de thé. 1793 ; Okita de la maison Naniwaya (Naniwaya Okita), vers 1796.

 

De plus, des poèmes tirés des Cent poèmes, de Sen no Rikyu (1552-1591) sont disponibles sous le titre Poèmes du Thé, traduction de Bertrand Petit et calligraphies (japonaises) de Yokoyama Keiko, aux Editions Alternatives.

Deux extraits :
"
Dans la pratique du thé,
après avoir étudié depuis le premier
degré et atteint le dixième
depuis le dixième revenez au premier
" (page 75)

"
Voyez avec les yeux
entendez avec les oreilles
sentez les parfums
et en étudiant comprenez
" (page 77).

boîte à thé
Boîte à thé chinoise qui a appartenu à Sen no Rikyu. Elle a été exposée à la Maison de la culture du Japon à l'occasion de l'exposition "Kanazawa - Aux sources d’une culture de samouraïs" (02/10/2013-14/12/2013).

 

Parmi les romans qui traitent du thé, on pourra lire Le Maître de thé, de Inoué Yasushi.



Quelques liens :

- Vous pouvez trouver le texte en anglais de The Book of Tea (tombé dans le domaine public) sur http://www.sacred-texts.com/bud/tea.htm

- Une autre critique du livre est disponible sur http://www.peripheries.net/article233.html

- Pour finir, quelques liens intéressants (parmi beaucoup) sur le thé :
http://teamasters.blogspot.com

http://tea-voices.blogspot.com (site mis en sommeil)
http://www.teaminouclub.free.fr

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