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OE Kenzaburô

(Oose, Shikoku, 31/01/1935 -)

Kenzaburo Oé


Deuxième Japonais à obtenir le Prix Nobel de littérature, en 1994.
Il est né dans un village - Ose, sur l'île de Shikoku- dans une vallée boisée. Comme il le dit dans son discours "Moi, d'un Japon ambigu" (1994), alors que la guerre faisait rage (elle avait commencé lorsqu'il avait 6 ans, et a fini lorsqu'il en avait 10), il était fasciné par deux livres : Les aventures d'Huckleberry Finn (Mark Twain) et Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède (Selma Lagerlöf) qui lui donnaient le sentiment de justifier la sensation de sécurité qu'il avait lorsqu'il allait dans la montagne la nuit et qu'il dormait parmi les arbres , sensation de sécurité qu'il ne pouvait pas trouver entre quatre murs.
Son père mourut en 1944, alors que Kenzaburo avait neuf ans. Il laissait sept enfants.
A dix-huit ans, Ôé Kenzaburô commença des études de littérature française à l'Université de Tokyo.
Il publie ses premières oeuvres en 1957. Gibier d'élevage obtient le prix Akutagawa.
Ses textes ont pour sujets la guerre, les attentats (Seventeen, 1961), les problèmes sexuels, les pertes des repères traditionnels, la patrie mythique.

Il se marie en 1960. En 1963 naît Hikari, un garçon - le premier de ses trois enfants - qui est autiste.
Cette naissance a eu une grande influence sur l'oeuvre de Ôé :
"A vingt-huit ans, mon fils est né. J'étais un écrivain, un écrivain assez connu sur la scène japonaise et j'étais étudiant en littérature française. Et je parlais de la façon de Jean-Paul Sartre ou Merleau-Ponty. [...] Mais lorsque mon fils est né avec de graves lésions cérébrales, j'ai découvert une nuit que je voulais trouver de l'encouragement, alors j'ai voulu lire mon livre - c'était la première fois que je lisais mon livre, le seul livre que j'avais écrit à ce moment-là - et j'ai découvert quelques jours plus tard que je ne pouvais pas m'encourager moi-même à travers mon livre ; donc personne ne pouvait y trouver de l'encouragement. Alors j'ai pensé « Je ne suis rien et mon livre n'est rien ». J'ai fortement déprimé ; puis un journaliste, qui éditait au Japon un magazine politique, m'a demandé d'aller à Hiroshima, le lieu où la bombe atomique avait été larguée. [...] J'ai trouvé l'hôpital des survivants d'Hiroshima et là, j'ai rencontré le grand docteur Fumio Shigeto. En parlant avec Shigeto et avec les patients de l'hôpital, j'ai réalisé petit à petit qu'il y avait quelque chose qui m'encourageait, alors j'ai voulu poursuivre la sensation de ce quelque chose. Je suis retourné à Tokyo et suis allé à l'hôpital où se trouvait mon nouveau-né, et j'ai parlé aux docteurs de sauver mon fils. Puis j'ai commencé à écrire sur Hiroshima, et ça a été le tournant de ma vie. Une sorte de renaissance de moi-même.
[...] Shigoto m'a dit « Nous ne pouvons rien pour les survivants. Même aujourd'hui nous ne savons rien sur la nature de la maladie des survivants. Même aujourd'hui, si peu de temps après le bombardement, nous ne savons rien, mais nous avons fait ce que nous pouvions. Chaque jour des milliers de personnes meurent. Mais au milieu de ces corps morts, j'ai continué. Voyez, Kenzaburo, que puis-je faire à part ça, alors qu'ils ont besoin de notre aide ? Maintenant, votre fils a besoin de vous. Vous devez réaliser que personne sur cette planète n'a besoin de vous, excepté votre fils. » Alors j'ai compris. Je suis retourné à Tokyo et j'ai commencé à faire quelque chose pour mon fils, pour moi-même, et pour ma femme.
" (modeste traduction fragmentaire de http://globetrotter.berkeley.edu/people/Oe/oe-con3.html ).

Finalement, après des années difficiles, Hikari est devenu un compositeur à succès (voir le petit documentaire en bas de page).
Hikari Oé

Ôé Kenzaburô avait annoncé, en 1994, qu'il arrêterait d'écrire des romans : "A l'approche de 60 ans, je me suis aperçu que, depuis l'époque où j'étais étudiant, j'avais écrit des romans et que toute ma vie avec été centrée sur l'écriture. J'ai pensé qu'en arrêtant je pourrais réfléchir sur ce qu'a été l'essence de mon existence et préparer ainsi l'hiver de ma vie. La mort, en 1996, de mon ami le compositeur Toru Takemitsu, m'incita à me demander si un jour nous nous rencontrions dans l'au-delà et qu'il m'interroge sur ce que j'avais fait de ma vie, ce que je lui répondrais. Et j'ai commencé à lire, à lire du matin au soir. Puis la disparition d'autres amis chers m'a ramené vers le roman. L'écriture de cette trilogie m'a occupé les cinq dernières années de ma soixantaine. L'Enfant échangé, le premier de la trilogie, a été écrit à la suite du suicide de mon ami d'enfance et beau-frère, le cinéaste Juzo Itami, en 1997." (Le Monde des Livres, vendredi 25/11/2005).

Il est également un écrivain engagé, notamment contre la montée de l'"ultra-nationalisme" au Japon.
Il s'oppose ainsi à la remise en cause de l'article 9 de la constitution japonaise (article qui interdit au Japon de posséder une armée... même si l'article est contourné depuis longtemps en employant le terme de "Force d'autodéfense").


"Le style fondamental de mon écriture a été de partir de mes problèmes personnels et de les relier avec la société, l'état, et le monde" ( http://globetrotter.berkeley.edu/people/Oe/oe-con5.html)


On pourra trouver une biographie de Ôé Kenzaburô sur http://www.biblioweb.org/-OE-Kenzaburo-.html
Il répond au questionnaire de Proust sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/questionnaire-de-proust-kenzaburo-oe_811076.html

une affaire personnelle

Une Affaire personnelle (Kojinteki na taiken, 個人的な体験, 1964, 179 pages, Bibliothèque Cosmopolite, Stock, traduction de l'anglais par Claude Elsen).
Bird, le héros, si l'on peut dire, et double de l'auteur, rêve d'aller en Afrique. Sa femme attend un enfant.
"Sous la carte d'Afrique occidentale, tachée de sang et de boue, qu'il avait épinglée au mur, Bird dormait, roulé en boule, dans la chambre à coucher conjugale. Le berceau blanc du bébé à venir était posé entre les deux lits, toujours enveloppé dans sa housse de vinyl" (page 21).
Rapidement, il s'avère que l'enfant a des problèmes : il a une hernie cérébrale. "Le cerveau fait saillie par une brèche du crâne." (page 26).
" Y a-t-il une chance pour qu'il se développe normalement ? demanda-t-il
- Pour qu'il se développe normalement ?
Le directeur [de la clinique] avait élevé la voix, comme sous l'effet de la colère.
- Avec une hernie cérébrale ? On pourrait ouvrir le crâne et y faire rentrer le cerveau, mais même dans ce cas on aurait de la chance s'il survivait à l'état végétatif... Qu'entendez-vous exactement par « normalement » ?
" (page 27).
Il va traverser une grave crise morale - se débarrasser du bébé, ou bien tout plaquer et aller en Afrique... - , se confier abondamment à Johnny Walker qui "éveillait en lui une promesse d'extase et de péril" (page 45).

Le roman est évidemment en grande partie autobiographique. Il est difficile de prendre du recul lorsqu'on lit un récit que l'on sait aussi... personnel.
Ce qui est étonnant, sans doute - si l'on considère qu'il s'agit du double de l'auteur -, c'est que le personnage principal, Bird, n'est pas très sympathique (un peu comme dans Scandale, de Endô Shûsaku, les romanciers peuvent être sévère - mais juste ? - avec eux-mêmes) : il y a comme un désir masochiste d'avilissement. Il est faible, il a des problèmes sexuels, etc. Est-ce pour mieux montrer comment il peut passer à l'état d'adulte s'il parvient à surmonter son drame personnel ?

Un problème doit être signalé, qui rend difficile tout commentaire quant au style : la version française est une traduction de l'anglais ! De plus, s'il faut en croire Georges Gottlieb dans Un siècle de romans japonais "la traduction française n'est pas intégrale" (page 194)...

arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants

Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants (Memushiri kouchi, 芽むしり仔撃ち, 1958), traduit par Ryôji Nakamura et René de Ceccatty. 234 pages. L'Imaginaire Gallimard.
Nous sommes pendant la Seconde Guerre Mondiale. Les enfants - tous des garçons - d'une maison de correction sont envoyés dans un village de montagne. Parmi eux, on trouve le narrateur et son petit frère.
Ils marchent.
Le roman commence de façon abrupte : "Tard dans la nuit, deux d'entre nous ont pris la fuite, ce qui, l'aube venue, nous a empêchés de partir. [...]
La pluie torrentielle de la veille avait provoqué des craquelures sur la route goudronnée et une eau limpide coulait dans ces entailles aiguës, tandis que la pluie, la neige fondue et la rupture d'un barrage avaient fait monter le niveau de la rivière, qui s'était enflée avec fracas emportant à une vitesse extraordinaire des cadavres de chiens, de chats et de rats.
Puis, des enfants et des femmes du village se sont rassemblés sur la route, en nous lançant des regards empreints de curiosité, de gêne, de désinvolture hébétée ; échangeant des propos susurrés et fébriles et laissant échapper de brusques éclats de rires, pour notre plus grande indignation. À leurs yeux, nous étions de parfaits étrangers. Certains d'entre nous s'avancèrent jusqu'à la haie et exhibèrent fièrement, devant les villageois, leurs petits sexes immatures, rougeâtres comme des abricots.
" (page 9).
Le voyage touche à sa fin. Ils arrivent en vue d'un attroupement de jeune en uniformes et de cadets, ainsi que de membres de la police militaire qui sont à la recherche d'un cadet qui a déserté.
"- Ecoute, tu sais, me dit Minami en approchant ses lèvres de mon oreille, au point de la toucher presque, avec ces gars-là, je pourrais coucher n'importe quand, et je me fiche que mes hémorroïdes se déchirent et s'enflent. Il suffira juste d'une biscotte.
De la salive parut aux commissures de ses lèvres relevées, et il fixa son regard brillant de sensualité sur les fesse vigoureuses, charnues et légèrement détendues des soldats, tout en poussant des soupirs.
" (page 23).

Les enfants vont se retrouver dans un village de montagne particulièrement isolé.
"- Je confie maintenant votre sort à Monsieur le Maire, annonça l'éducateur. Je reprends la route dans le camion de l'armée pour aller chercher le deuxième groupe. Je vous demande d'agit avec responsabilité. Compris ?
Nous avons tous acquiescé ensemble. La voix du maire s'interposa :
- Si vous vous comportez mal, nous saurons agir en conséquence.
" (pages 33-34).
Bien sûr, tout ne va pas se passer pour le mieux. Les enfants sont vus par les villageois comme des voyous.

Un roman prenant, âpre et très sombre. Il y a une certaine parenté avec la nouvelle Gibier d'élevage, publiée la même année : la guerre, les enfants, un village, mais aussi l'enfermement, et le thème de l'humanité qui tend vers l'animalité (jusqu'à la rejoindre dans la mort, d'ailleurs).
Comme toujours, il faut éviter de lire la quatrième de couverture, qui résume tout le livre.

Oé ne semble pas en penser beaucoup de bien, mais il ne faut pas toujours faire confiance aux écrivains lorsqu'ils portent rétrospectivement un jugement sur certaines de leurs oeuvres (Simon Leys en parle dans son essai Belgitude de Michaux, que l'on peut trouver dans Le Studio de l'Inutilité) :

"Ozaki Mariko : Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants a beaucoup de lecteurs qui en apprécient particulièrement l'écriture.
« Tel un interminable déluge, la guerre inondait les plis des sentiments humains, les moindres recoins des corps, les forêts, le ciel, d'une folie collective. »
Les descriptions noires se succèdent et malgré tout il y a de la clarté dans ce texte. Comme un rebond aussi. Derrière cela, il me semble que se trouve une certaine témérité de l'auteur lui-même, mais aussi de l'époque ; j'ai l'impression que cette écriture était possible à cause d'une sorte de terrible vivacité de la jeunesse.

Ôé Kenzaburô : Quand je relis maintenant ce que j'écrivais jusque-là, il y a certains textes que je trouve assez intéressants mais je pense que les romans écrits dans les deux ou trois années qui ont suivi ne sont pas bons.
" (Oé Kenzaburô, l'écrivain par lui-même. Entretiens avec Ozaki Mariko, page 50 ; Editions Philippe Picquier)


une existence tranquille    hodler
Couverture : Ferdinand Hodler, Adoration III (détail). Kunsthaus Zürich. A droite, l'oeuvre entière.

Une Existence tranquille (Shizukana seikatsu, 静かな生活, 1990). Récit traduit du japonais par Anne Bayard Sakai. 289 pages. Folio.

"Cela se passe l'année où mon père fut invité comme writer in residence par une université californienne et où, pour diverses raisons, ma mère choisit de l'accompagner." (page 9).
La narratrice, étudiante en littérature française, s'appelle Mâ. Elle est la fille d'un célèbre écrivain, K. Elle a un grand frère, Eoyore, qui est anormal, et un petit frère, Ô. La famille est le double de la famille de Oé Kenzaburô.

Le père étant parti aux Etats-Unis, et la mère l'ayant accompagné (car K traverse une crise moralo-spirituelle profonde), c'est Mâ qui doit s'occuper de quasiment tout, son petit frère Ô étant concentré sur la préparation d'un concours. En plus des cours auxquels elle doit assister, elle doit s'occuper de la cuisine et du ménage, sans compter qu'il faut accompagner Eoyore à l'atelier des services sociaux où il travaille, ainsi que chez un ami du père qui lui donne des cours de composition... et guetter les signes qui indiquent une crise imminente (de nature épileptique).
Lorsqu'il est à la maison, Eoyore écoute la radio, surtout de la musique classique, et il compose. Bref, il est la version romanesque d'Hikari, le fils de l'écrivain.

   

Ecoutons quelques musiques d'Hikari Oé. A gauche : Adagio en ré mineur pour flûte et piano ; "Grief" (chagrin) no 3 pour piano ; nocturne n° 2 pour flûte et piano.
A droite : une autre musique, indiquée comme étant "ふたたび 夜のカプリーズ"

Le portrait du père, le fameux écrivain, se dessine par les yeux de Mâ. Il se doit de "prouver à tous sa dignité de chef de famille." (page 48). Plus loin, Mâ dit que "parler avec mon père, je dois l'avouer, me rebute" (page 182). Pas très glorieux. Tout cet auto-dénigrement rappelle un peu certains livres de Shusaku Endo.

En quoi consiste exactement la crise que traverse le père ?
Voici ce qu'en dit l'ami qui donne des cours de composition à Eoyore :
"Le motif immédiat de la « crise » c'est, semble-t-il, que le roman sur lequel il travaille ne marche pas bien. Le problème qu'il a placé ces derniers temps au cours de ses interrogations l'aurait donc entraîné dans des chemins bien périlleux. Quand il parvient à trouver à un problème de ce genre un traitement romanesque même provisoire, ça lui permet d'y faire face avec une certaine distance. K est un romancier qui a ainsi bâti son existence au fur et à mesure. Il s'en tient à cette manière d'être et de vivre en romancier, au point que j'en suis parfois déçu, moi qui, une fois lesté d'une question embarrassante, n'ai d'autre solution que de m'y heurter encore et toujours, indéfiniment.
« Mais si on prend les choses dans l'autre sens, quand un roman ne marche pas, ça signifie pour K que toute une période de sa vie, pendant laquelle il l'a conçu, écrit, réécrit, s'est soldée par un échec global, que cet échec est peut-être définitif, et que c'est alors la fin du parcours.
" (pages 66-67)
Mais cela n'est pas tout : la religion est un sujet qui le travaille. "Depuis, n'a-t-il pas toujours craint d'être un jour obligé de tout abandonner pour s'occuper de son âme ?" (page 96).

En l'absence de ses parents, Mâ tient le "journal au titre de la maison" : elle y consigne les petits faits quotidiens. Elle écrit aussi des lettres à ses parents, et en reçoit. Exceptionnellement, elle téléphone ou reçoit un appel (ça coûte cher).

Chaque chapitre (il y en a six) forme presque une histoire à part.
Dans le premier chapitre, le danger est là. Un inconnu dépose une bouteille d'eau. Qui est-il ? Que veut-il ?

bouteille
Photo du film de Itami Jûzô, Une existence tranquille, 1995. Mâ découvre une nouvelle bouteille qu'un inconnu a déposée avant de s'enfuir...

Et voilà qu'un satyre est signalé dans le voisinage, et qu'une agression sexuelle a lieu...

Dans cette histoire, quelle est la part de réalité ? Quelle est celle de fiction ? (précisons que Mâ avait l'âge de la fille d'Oé dans la vraie vie).
Ecoutons Oé Kenzaburô : "Alors que mon fils aîné suivait des cours dans une école spécialisée nous est parvenue une rumeur selon laquelle une jeune fille du voisinage avait été violée, et nous en avons été ébranlés. Sans preuve particulière, j'ai été saisi par la peur que le jeune garçon innocent que je connaissais comme mon fils pourrait avoir un autre visage et être capable d'attaquer une jeune fille. Si une telle chose arrivait, notre famille se trouverait en rupture totale avec la société. Cela m'a amené à réfléchir à la fragilité de la relation entre la société et l'individu, et aux risque encourus par notre famille." (Oé Kenzaburô, l'Ecrivain par lui-même, Entretiens avec Ozaki Mariko, page 175).

Tout ce petit monde est bien sympathique. Les conversations, (notamment celles avec l'ami du père), sont très intéressantes. Par exemple, ce qu'ils disent de Stalker, le film de Tarkovski, dans le troisième chapitre. Mais le livre paraît à charge contre le père. Ce point de vue (celui de la fille de l'écrivain) est très étrange.
"Même si le narrateur est une femme, il n'en reste pas moins que c'est moi qui raconte, et c'est uniquement pour les besoins de ce roman que j'ai choisi de faire parler une femme. J'ai imaginé une narratrice qui serait suffisamment crédible sur le plan du réalisme." (Oé Kenzaburô, l'Ecrivain par lui-même, page 162).
Et qu'en est-il de K, l'écrivain dans le roman ?

"Dans mes romans j'inclus un personnage qui me ressemble. Ce personnage diverge de moi qui écris le roman dans la réalité ; il est différent de ce que je suis dans la vie, mais je l'installe dans un décor proche de ma vie réelle et je le construis jusqu'à ce qu'il ait pris clairement forme." (Oé Kenzaburô, l'Ecrivain par lui-même, page 261). Il lui ressemble quand même énormément, jusque dans son attirance pour Blake, l'histoire des merveilles de la forêt, etc.

Que signifie ce roman ? Voici ce qu'en dit Ozaki Mariko :
"Comme l'annonce le titre d'Une Existence tranquille, il s'agit effectivement de la vie paisible de la sérieuse Mâ et de son jeune frère O dans l'arrondissement de Setagaya à Tokyo, mais cette stabilité est le résultat d'une incessante sagesse et attention, qui n'est jamais coupée des réalités sociales. On sent bien comment la société japonaise fait pression sur cette famille et crée une tension et une inquiétude quotidiennes. La tension et l'inquiétude que supporte cette famille sont aussi celle que connaissent les citoyens d'aujourd'hui, soudain entraînés dans un drame : la menace nucléaire qui semble hélas ne jamais devoir disparaître... Les cinq membres qui constituent la famille de votre roman ont quelque chose d'une sainte-famille mais en même temps c'est le modèle du foyer citadin de la fin du XX° siècle dont le lecteur sent bien qu'il est toujours possible qu'il soit mis à l'épreuve par la société contemporaine." (pages 174-175)


Un très bon livre, un peu perturbant : tout du long, on se demande où est la frontière entre réalité et fiction... mais cela a-t-il vraiment de l'importance, au fond ? "Je vous avoue qu'encore aujourd'hui il m'arrive de me réveiller en pleine nuit et, en repensant à mon passé, de ne plus pouvoir faire la différence entre ce que j'ai écrit dans un roman et la réalité." (Oé Kenzaburô, l'Ecrivain par lui-même, page 260).

Par contre, l'adaptation qu'en a faite Itami Jûzô (pourtant réalisateur de bons films, comme Tampopo, ou encore L'Inspectrice des Impôts...) en 1995 est malheureusement un ratage quasi complet.

une existence tranquille

Les acteurs en font des tonnes, rien n'est subtil, et ce qui est censé être drôle est grotesque. Il y a quelques différences avec le roman (par exemple le père va en Australie, et pas aux Etats-Unis, peut-être que les vues de l'opéra de Sydney coûtaient moins cher) ; les discussions sur Stalker, Céline, etc. passent évidemment à la trappe, mais les faits principaux sont là. N'empêche que c'est raté, que rien ne fonctionne.

"Bientôt, on commença à « améliorer » ses films pour en faire une sorte de formule, une production « Itami ». Parmi les échecs (à la fois commerciaux et artistiques) qui en découlèrent, on compte Une existence tranquille (Shizukana seikatsu, 1995), inspiré de la vie et l'oeuvre du beau-frère du réalisateur, l 'écrivain Kenzaburo Oé" (Donald Richie, Le Cinéma Japonais, Editions du Rocher, page 281)

Hikari Oé est l'auteur de la musique (il a été nominé aux Awards of the Japanese Academy !).
Bande-annonce :

 

 



Autres livres traduits en français :
- Dites-nous comment survivre à notre folie (recueil de nouvelles)
- Le Faste des morts
- Le Jeu du siècle (1967)
- Une Existence tranquille (1990)
- Notes de Hiroshima
- M/T et l'Histoire des merveilles de la forêt
- Moi, d'un Japon ambigu
- Adieu mon livre ("[...] est inspiré par le poète et dramaturge anglais Thomas Eliot et plus particulièrement les Quatre quatuors, poèmes sur l'expérience dans le temps et au-delà du temps. J'ai toujours aimé cette oeuvre, mais je crois l'avoir comprise pour la première fois"
(Le Monde des Livres, vendredi 25/11/2005).



Non traduits en français :
- Saut périlleux (1999)
- L'enfant échangé (2000)
- L'enfant au visage triste

Films d'après son oeuvre :
- Warera no jidai (1959), réalisé par Kurahara Koreyoshi

- Le Faux Etudiant (Nise daigakusei, 1960), réalisé par Yasuzo Masumura
nise gaigakusei

- Le Piège/Une bête à nourrir (Shiiku, 1961), réalisé par Oshima Nagisa (le réalisateur de l'Empire des sens, 1976, entre autres).


- Une Existence tranquille (Shizukana seikatsu, 1995), réalisé par Itami Juzo, beau-frère de Ôé, et réalisateur de films aussi réussis que Tampopo, 1986, l'Avocate, 1992...) .
une existence tranquille
D'après Donald Richie, dans Le Cinéma Japonais, il s'agit d'un échec à la fois commercial et artistique. "[...] parmi les nombreuses raisons avancées pour expliquer le mystérieux suicide du réalisateur en décembre 1997, il fut suggéré qu'Itami pensait avoir perdu l'élan nécessaire à la réalisation de ses films. Par contre Ôé - dans Torikaeko, le roman publié en 2000, qu'il tira de l'événement - a suggéré que sa mort était liée à l'attitude de défi du réalisateur vis-à-vis des gangs et autres organisations nationalistes d'extrême droite." (page 281).
On notera que la musique de ce film a été écrite par Ôé Hikaru.

- Gibier d'élevage (2011), téléfilm réalisé par Rithy Panh (diffusion sur Arte le 10 décembre 2011). L'histoire est transposée au Cambodge, le pilote est capturé par les Khmers rouges.



Citation :
"Si l'on prend l'exemple de Yukio Mishima [...] je pense qu'il y avait une double raison à son acte. Tout d'abord, les limites d'un style qui n'a jamais évolué au fur et à mesure des étapes de sa vie. Même s'il avait vécu, il n'aurait jamais été un Junichiro Tanizaki qui, lui, avait su faire évoluer son écriture au fil de l'écoulement du temps. Ensuite Mishima était hanté par la fin de Thomas Mann, blessé, meurtri. Un sort qui lui semblait insupportable." (Le Monde des Livres, vendredi 25/11/2005).

 

Liste des livres ayant reçu le Prix Kenzaburo Oé : http://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Kenzaburō_Ōe


Interview de Oé en anglais :

 

 

Petit documentaire sur Hikari Oé :

Hikari Oe.

 

 


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