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KURUMATANI Chokitsu (車谷 長吉)
(actuel Himeji, 01/07/1945 - 17/05/2015)


kurumatani Chokitsu

 

"Kurumatani étudie la langue allemande à l'université Keiō. Il travaille pour une agence de publicité et une maison d'édition et comme aide-cuisinier dans différentes parties de la région du Kansai. En 1993, il reçoit le prix Mishima pour Shiotsubo no saji, puis deux ans plus tard le prix Taiko Hirabayashi pour Hyōryūbutsu.

Il est couronné du prix Naoki en 1998 pour son Akame yonjūhachi-taki shinjū misui (Double suicide manqué aux 48 cascades)
" (Wikipedia)
Il a également remporté le prix Kawabata en 2001.

On trouvera un portrait de Kurumatani sur : http://vagabonde.net/spip.php?article73 :
"Vers 18 ans, la littérature s’est mise à occuper toute la place, en prenant la forme d’une question obsédante : comment vivre sans avoir peur de la mort quand on est « né pour mourir » ? Si la mort est le but de la vie, qu’importent l’argent, la réussite sociale, qui ne sont que temps perdu et masque illusoire de la peur de mourir. [...]
Après des études de littérature allemande et un mémoire sur Kafka (contre la volonté du Père dont l’ambition était de récupérer un jour, grâce au rejeton devenu avocat, les terres que la réforme agraire de 1946 lui avait fait perdre), son premier employeur, patron d’une agence de publicité à Tokyo, se chargea de lui enseigner le désespoir et le dégoût de soi.
Renonce aux sentiments humains, sans quoi tu ne pourras pas t’incliner devant l’argent, et si tu ne peux pas t’incliner, l’argent ne viendra pas. Alors renonce aux sentiments humains, sois astucieux : trompe les gens ! Au bout d’un an et demi, les poèmes du moine Saigyô, dénichés chez un bouquiniste, lui font comprendre qu’on peut aussi renoncer à ce monde. À 25 ans, il démissionne et commence à écrire.
Suivent vingt années de travail et d’errance. Des débuts remarqués, avec une nouvelle publiée en 1972, puis il quitte Tokyo pour sa province natale, où il mènera bientôt une existence de « faux renonçant », enchaînant les emplois précaires pour survivre et « s’égarant » dans des récits cruels qui jettent sur les êtres humains, l’autre et soi, un regard méchant [...]
Entre 38 et 46 ans, l’errance se poursuit à Tokyo. Bien qu’ayant accepté (il fallut pour cela l’obstination de son éditeur et le soutien d’un P.D.G. poète) de revenir au centre pour y mener une vie d’écrivain soutenue par un salaire d’agent du groupe Seibu Saison, temple de la culture consumériste, son allure reste la même : cheveu ras et socques de bois. [...]
« J’étais revenu à Tokyo presque sans un sou en poche. Après cela, je n’ai fait qu’étudier, j’étais dans mes pensées, je remplissais des pages de roman. Et j’ai perdu vingt ans. Mais ces vingt années de temps perdu respirent dans ce que j’ai écrit depuis. »
Kurumatani Chôkitsu est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, nouvelles, romans, poèmes et essais.
"

double suicide

- Double Suicide manqué aux 48 cascades (赤目四十八瀧心中未遂, Akame shijuyataki shinju misui, 1998). Traduit du japonais par Véronique Perrin. 209 pages. Editions vagabonde.
Même s' "Il ne s’agit pas de confession, mais de fiction" ( http://vagabonde.net/spip.php?article75 ), on sent bien qu'il y a de forts échos autobiographiques dans ce texte. Normal : ce livre relève du Watakushi shōsetsu (voir Wikipedia), tout comme les oeuvres de Dazai Osamu.

"A vingt-neuf ans, j'étais au bout du rouleau, ratissé par la vie à Tokyo. Les neuf années qui suivirent se sont écoulées au jour le jour, existence précaire balayée par les eaux." (page 7).
A quarante-trois ans, notre héros (né en 1945, tout comme l'auteur), Ikushima Yoichi, tombe malade d'épuisement au travail, victime d'une affection pulmonaire. Deux ans plus tard, il a une crise de cardiopathie ischémique... Bref, ça ne va pas fort.
Rapidement, on revient en arrière. L'auteur, ou plutôt le narrateur, explique comment il en est arrivé à la situation qui va occuper le livre :
"Douze ans plus tôt, je végétais près de la gare de Deyashiki, sur la ligne Osaka-Kobé, dans un quartier aux gouttières rouillées où je passais mes journées à empaler des bouts de tripe ou de la viande de poulet pour le compte d'une marchande de brochettes. C'était, si j'inclus deux années de chômage à Tokyo, ma sixième année de survie dans cette existence d'épave. Tout avait commencé lorsque j'avais démissionné sans autre perspective d'emploi. Au bout de cela, larbin de service à l'entrée d'une auberge d'Okachô à Himeji, garçon de cuisine à Kyoto dans le quartier d'Ebisugawa [...], gérant d'une gargote de Motomachi où la pègre de Kobé se donnait rendez-vous, puis d'un troquet fréquenté par les parieurs de courses cyclistes de Takamatsuchô à Nishinomiya, après toutes ces années où je m'étais fourvoyé, quittant mon agence de publicité de Tokyo Nihonbashitôri Icchômé pour le grand marché de l'alcool et du sexe, j'avais atterri à Amagasaki dans le quartier de Deyashiki." (pages 11-12).

Ikushima Yoichi a fréquenté une bonne université, a lu Nietzsche et Kafka, Orikuchi Shinobu et Maruyama Masao.
Après quoi, il a été salarié : "Pendant la journée, mon travail au bureau consistait à trouver des annonceurs. [...] Or j'étais moi-même la proie de passions dévorantes, incapable de découvrir « le petit plus » qui aurait donné du prix à ce quotidien de vendeur d'annonces dont je tirais à peine de quoi vivre. Vendre des annonces publicitaires était davantage pour moi une source de souffrance. Cette disposition d'esprit, j'étais le premier à la juger arrogante autant que déraisonnable, et d'autres se chargeaient à l'occasion de fustiger mon orgueil insensé.
Mais je vivais jour après jour, poursuivant les annonceurs, dans l'angoisse d'être emporté loin de moi. Non que je fusse doté d'un « moi » particulièrement résolu. Je pensais bien que je n'en aurais jamais d'autre que celui-là, en réalité ce moi aussi se fabriquait dans la relation avec autrui, c'était un moi qui prenait forme en respirant les discours inventés par autrui - bref, un moi incertain, dont je ne savais pas jusqu'à quel point il m'appartenait en propre. [...] Etre moi m'était intolérable. Et pourtant ce moi était réduit à une chose insignifiante que le courant balaie.
" (page 21).
Ensuite, c'est la déchéance volontaire. Une force le pousse à partir, à chaque fois, d'un endroit à l'autre. "Et comme je n'étais même pas capable de me raccrocher à une femme, je me raccrochais à ma propre nullité." (page 50)
Ikushima Yoichi se retrouve donc, à la fin des années 70, à Amagasaki dans une petite chambre surchauffée, à faire des brochettes avec des abats d'animaux morts dans des conditions douteuses. De la chambre d'à côté, il entend les voix de prostituées au bout du rouleau.

onishi
Onishi Takijiro dans le rôle de Ikushima Yoichi

Lorsqu'il voit, à la télévision, un documentaire sur les réfugiés des guerres et révolutions du XX° siècle : "Je songeais, devant ces images en noir et blanc, que le chômage fait de nous des nomades." (page 72). Sans doute, mais ce n'est pas son cas à lui : c'est en effet de son plein gré qu'il est nomade.
D'ailleurs, à un moment, alors qu'il est dans un quartier chic - enfin, un quartier qui ne ressemble pas au trou dans lequel il s'est fourré - il a l'occasion de vomir la vie petite-bourgeoise : "J'ai croisé une dame bien mise, accompagnée d'un chien blanc au poil long et touffu. Soudain j'ai pensé : il n'y a pas pire vie que la vie des gens qui vivent dans un pareil endroit. Et ça ne me lâchait plus. [...]
La peur - la peur de trouver à la fin mes aises dans un modèle de vie « moyenne ». Pourtant tous mes collègues de bureau en rêvaient, de cette « vie des classes moyennes ». Vous parlez d'un avantage. Des cyclamens en pot décorant le piano, un chien-chien au poil long et toute cette contrefaçon qui singe l'Occident.
" (pages 159-160).

Comme souvent dans les romans japonais, notre héros connaît un grand nombre de plantes : houttuynia, solidage du Canada, œnothère à fleurs jaunes... Il reconnaît aussi à leur chant le bécasseau variable (on pourra l'entendre sur : http://www.oiseaux.net/oiseaux/becasseau.variable.html) et la fauvette des roseaux.

Ikushima Yoichi est un intellectuel qui se pose beaucoup de questions, mais qui finalement n'en sait pas plus sur la vie en général que les prostituées, trafiquants, voyous et autres traîne-savates du quartier. Et, quant à la vie des habitants de l'immeuble louche où il loge, il ne comprend rien. Il observe beaucoup, écoute les bruits en provenance des chambres voisines, se pose de nombreuses questions, suppute, mais en est réduit à cela : des conjectures. Il lui manque la connaissance des codes, et n'ose pas poser les questions qui lui permettraient de comprendre ce monde hors du temps (on a tendance à oublier qu'on est au tournant des années 1970-1980 : rien ne nous y raccroche, ou pas grand-chose, d'autant que ce "roman du moi" avec auto-dénigrement quasi-constant fait parfois penser à Dazai Osamu... l'effet est étrange). S'il n'est pas à sa place dans le monde petit-bourgeois, il n'est pas non plus à sa place dans ce milieu.
"J'ai passé ma vie à faire le mort." (page 166). Peut-être, quand on est mort, peut-on plus facilement observer que parler.

Un livre curieux mais intéressant, et très sombre. On est loin du divertissement souvent associé au prix Naoki.

le film

Un film a été tiré du livre, sous la direction de Genjiro Arato en 2003. Il a reçu de nombreux prix.
On peut voir la bande-annonce sur : https://www.youtube.com/watch?v=FsNOwB68hJM

 

 

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