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Frédéric de la Motte-Fouqué
(Brandebourg-sur-la-Havel, 12/02/1777 - Berlin, 23/01/1843)


motte fouqué

 

Frédéric de la Motte-Fouqué était un écrivain romantique allemand.
Il descend d'une famille de Huguenots qui a fuit la France après la révocation de l'Edit de Nantes.
Militaire (il a participé à plusieurs batailles), puis écrivain, Frédéric de la Motte-Fouqué a connu un grand succès de son vivant, puis le temps de ses succès est passé, il n'a pas su évoluer avec le goût littéraire de son époque (surtout à partir de 1820). Une pension du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV a assuré sa sécurité financière.
De son oeuvre très abondante (théâtre, poèmes, romans...) n'est plus guère lu aujourd'hui que Ondine, un conte (ou récit) qui à lui seul lui vaut de toute façon l'immortalité littéraire.

"Ondine seule, dans une production assez égale en médiocrité, semble avoir été touchée d'un coup de baguette magique et bénie de la grâce sans poids du merveilleux." (Armel Guerne, Les Romantiques Allemands, Phébus Libretto page 479)..

On pourra lire sa biographie sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_de_La_Motte-Fouqué

 

Ondine

Ondine (Undine, eine Erzählung ; 1811). Traduit de l'allemand et préfacé en 2011 par Nicolas Waquet. Rivages poche/Petite Bibliothèque, 184 pages

"Malgré l'ampleur de cette oeuvre foisonnante, encore aujourd'hui peu connue, c'est certainement la petite centaine de pages de son Ondine qui sauva Fouqué de l'oubli. L'ouvrage rencontra un succès aussi durable qu'immédiat auprès d'un vaste public. Loué par Heine dans L'Ecole romantique, recommandé par Goethe dans l'une de ses lettres à Eckermann, le texte inspira aussi à E.T.A. Hoffmann un opéra composé en 1816. [...]
On y retrouve de prime abord la fascination pour les eaux vives et la pureté du jaillissement originel qui retentit dans les hymnes de Hölderlin, la forêt hantée qui s'anime sous la pointe de Dürer ou le pinceau d'Altdorfer, les légendes ancestrales à partir desquelles Wagner bâtira tout un monde. Mais Ondine dépasse cet imaginaire typiquement germanique, que les Romantiques ont largement exploré. Se riant des frontières séparant les arts et les époques, l'ouvrage de Fouqué possède un tel pouvoir d'évocation que la fable qu'il fait revivre inspira aussi bien le poète Aloyisius Bertrand que le compositeur Maurice Ravel, le dramaturge Jean Giraudoux, le peintre Gustav Klimt ou encore l'artiste Arthur Rackham, dont quelques illustrations viennent ici dialoguer avec le texte.
" (Nicolas Waquet, préface, pages 9-10)
Les illustrations sont en noir et blanc, sauf la couverture, qui est en couleurs.

E.T.A. Hoffmann, ouverture de Ondine. "En 1817, le théâtre de Berlin joue son opéra, Ondine, dont le succès n'est interrompu que par l'incendie du théâtre lors de la vingt-cinquième représentation." (Wikipedia)


Waquet parle également des sources du conte, l'histoire du chevalier Peter von Stauffenberg, écrite vers 1320, reprise par Paracelse en 1595 et par Achim von Arnim dans Des Knaben Wunderhorn (1806-1808). Il parle également de la légende de Mélusine, rapportée par Jean d'Arras en 1393 (Mélusine ou la Noble Histoire de Lusignan).

Mais voici que le conte commence (on mettra en regard les traductions chez Rivages et dans La Pléiade - Romantiques Allemands, volume 1. On remarquera que la version Rivages est en général plus concise que celle de la Pléiade) :

Texte original
Version Jean Thorel (Pléiade)
Version Waquet (Rivages)
Es mögen nun wohl schon viele hundert Jahre her sein, da gab es einmal einen alten guten Fischer, der saß eines schönen Abends vor der Tür und flickte seine Netze. Er wohnte aber in einer überaus anmutigen Gegend. Der grüne Boden, worauf seine Hütte gebaut war, streckte sich weit in einen großen Landsee hinaus, und es schien ebensowohl, die Erdzunge habe sich aus Liebe zu der bläulich klaren, wunderhellen Flut in diese hineingedrängt, als auch, das Wasser habe mit verliebten Armen nach der schönen Aue gegriffen, nach ihren hochschwankenden Gräsern und Blumen und nach dem erquicklichen Schatten ihrer Bäume. Eins ging bei dem andern zu Gaste, und eben deshalb war jegliches so schön. Von Menschen freilich war an dieser hübschen Stelle wenig oder gar nichts anzutreffen, den Fischer und seine Hausleute ausgenommen. Denn hinter der Erdzunge lag ein sehr wilder Wald, den die mehrsten Leute wegen seiner Finsternis und Unwegsamkeit, wie auch wegen der wundersamen Kreaturen und Gaukeleien, die man darin antreffen sollte, allzusehr scheueten, um sich ohne Not hineinzubegeben.

"Il y avait une fois, - voici des centaines d'années, - un bon vieux pêcheur, qui se trouvait assis par une belle soirée devant la porte de sa chaumière, occupé à raccommoder ses filets. Il habitait une contrée merveilleuse. La langue de terre gazonnée sur laquelle s'élevait son humble chaumière s'étendait au loin dans un grand lac, et on eût pu croire qu'il en était ainsi parce que la prairie aimait ces belles eaux claires et bleues, qui elles-mêmes l'entouraient comme des bras amoureux, pour la remercier de ses fleurs, de ses hautes herbes verdoyantes, de l'ombrage bienfaisant de ses arbres. Le lac et la prairie étaient l'hôte l'un de l'autre, et c'est pour cela que tous les deux étaient si beaux. Quant aux hommes, il y en avait bien peu dans cet endroit enchanteur, et même il n'y en avait pas du tout, sauf le pêcheur et sa famille. C'est que derrière cette prairie de délices s'étendait une forêt sauvage, que personne n'osait traverser sans nécessité, à cause de son obscurité et de ses chemins impraticables, comme aussi à cause des êtres étranges qu'on pouvait y rencontrer, et des fantasmagories qu'on disait s'y passer." (page 1347).

"Il était une fois - voilà bien des siècles déjà - un bon vieux pêcheur qui reprisait ses filets par une belle soirée, assis sur le pas de sa porte. Il habitait une charmante contrée. Le terrain verdoyant sur lequel s'élevait sa cabane s'engageait bien loin dans un grand lac : on eût dit que la prairie s'était éprise de ces eaux limpides et bleutées, et que ces flots d'une merveilleuse pureté embrassaient cette langue de terre par amour pour ses fleurs, ses herbes ondulantes et les frais ombrages de ses arbres. Le lac et le pré étaient l'hôte l'un de l'autre, ce qui expliquait leur beauté respective.
A vrai dire, il n'y avait presque personne en ces lieux ravissants, hormis le pêcheur et sa famille car la prairie jouxtait une forêt sauvage. Nul ne s'y aventurait sans y être poussé par la nécessité : on craignait aussi bien ses ténèbres et ses sentiers impraticables que les fantasmagories et les créatures étranges qui devaient sûrement la hanter.
" (pages 21-22).

 

Tout paraît tranquille, mais il y a la menace d'être étranges qui habitent dans la forêt.

Texte original
Version Jean Thorel (Pléiade)
Version Waquet (Rivages)
Da er nun an diesem Abende ganz arglos bei den Netzen saß, kam ihn doch ein unversehener Schrecken an, als er es im Waldesdunkel rauschen hörte, wie Roß und Mann, und sich das Geräusch immer näher nach der Landzunge herauszog. Was er in manchen stürmigen Nächten von den Geheimnissen des Forstes geträumt hatte, zuckte ihm nun auf einmal durch den Sinn, vor allem das Bild eines riesenmäßig langen, schneeweißen Mannes, der unaufhörlich auf eine seltsame Art mit dem Kopfe nickte. Ja, als er die Augen nach dem Walde aufhob, kam es ihm ganz eigentlich vor, als sehe er durch das Laubgegitter den nickenden Mann hervorkommen.

"Or, ce soir-là où il était assis bien tranquillement à raccommoder ses filets, il fut tout à coup cependant saisi d'une frayeur subite, en percevant comme un bruit sourd qui semblait provenir de la forêt, et qui peu à peu se rapprochait, comme si un homme à cheval se fût dirigé des profondeurs de cette forêt vers la prairie. Ce qu'il avait rêvé, en maintes nuits où grondait la tempête, des mystères que pouvait abriter l'ombre des grands bois, lui revint subitement en mémoire. Il se représenta surtout l'image d'un géant, blanc comme la neige, qui hochait la tête sans discontinuer, d'une façon bien étrange ; et en levant les yeux dans la direction de la forêt, voici tout d'un coup qu'il crut l'apercevoir au loin, à demi caché derrière les branches des arbres." (page 1348).

"Un bruit sourd, semblable à celui d'une cavalcade, grondait depuis l'obscurité de la forêt et ne cessait de grandir au fur et à mesure qu'il se rapprochait de la prairie. Le pêcheur avait souvent rêvé aux mystères des bois pendant les nombreuses nuits de tempête, et toute la substance de ces songes lui revint brusquement à l'esprit. Il se souvenait surtout d'un homme gigantesque, blanc comme neige, qui ne cessait de hocher bizarrement la tête, et c'est lui qu'il crut voir surgir à travers les branchages lorsqu'il leva les yeux vers la forêt." (page 22).


Mais cet homme blanc se change tout aussitôt en un ruisselet ; et le grondement s'explique : c'est un chevalier somptueusement paré. Normal : c'est le héros, le sire Huldbrand de Ringstetten.
La nuit va bientôt tomber. Le chevalier demande donc l'hospitalité.
Ils entrent dans la cabane et discutent tranquillement.

Texte original
Version Jean Thorel (Pléiade)
Version Waquet (Rivages)
Mitten durch das Gespräch hatte der Fremde schon bisweilen ein Plätschern am niedrigen Fensterlein vernommen, als sprütze jemand Wasser dagegen. Der Alte runzelte bei diesem Geräusche jedesmal zufrieden die Stirn; als aber endlich ein ganzer Guß gegen die Scheiben flog und durch den schlechtverwahrten Rahmen in die Stube hereinsprudelte, stand er unwillig auf und rief drohend nach dem Fenster hin: »Undine! Wirst du endlich einmal die Kindereien lassen. Und ist noch obenein heute ein fremder Herr bei uns in der Hütte.« – Es ward auch draußen stille, nur ein leises Gekicher ließ sich noch vernehmen [...]

"Pendant toute la conversation, l'étranger avait de temps en temps remarqué un bruit singulier qui semblait provenir de la petite fenêtre basse de la chaumière. C'était comme si quelqu'un se fût amusé du dehors à lancer de l'eau contre les vitres. Le vieillard lui-même avait remarqué ce bruit, et chaque fois qu'il l'entendait, il fronçait les sourcils avec mécontentement. Mais voici qu'enfin ce fut toute une petite trombe d'eau qui fut lancée contre les vitres,et cette fois, à travers la croisée mal fermée, il jaillit de l'eau jusque dans l'intérieur de la chambre. Le pêcheur se leva alors tout courroucé, et se tournant vers la fenêtre, il s'écria d'un ton de menace :
- Ondine, vas-tu enfin cesser ces gamineries ? Ne sais-tu pas que nous avons un hôte à la maison ?
Au-dehors, tout redevint tranquille aussitôt, à peine si l'on entendit encore un petit rire léger qui allait en s'affaiblissant [...]

" (page 1350)

"Au fil de la conversation, l'étranger avait entendu plus d'une fois une sorte de clapotement provenant de la fenêtre la plus basse, comme si l'on projetait de l'eau contre les vitres. Chaque fois qu'il l'entendait, le vieil homme fronçait les sourcils avec mécontentement. Mais les carreaux vibrèrent enfin sous le coup d'une véritable vague, et l'eau jaillit à l'intérieur de la pièce par la croisée mal fermée. Le pêcheur, irrité, se leva et cria vers la fenêtre sur un ton menaçant :
« Ondine ! Vas-tu enfin cesser ces gamineries ? Nous hébergeons ce soir un seigneur de passage ! »
Dehors, le silence régna de nouveau. C'est à peine si l'on entendit encore un petit rire léger.
" (page 27)

C'est ainsi que l'on va faire la connaissance d'Ondine, la mystérieuse fille adoptive du couple, qui est arrivée quinze ans auparavant, dans des conditions étranges (et, pour l'occasion - quitte à paraître indigeste - , on pourra comparer le texte français dans quatre versions différentes).

Texte original
Traduction par Mme la Bonne Isabelle de Montolieu (1834)
Armel Guerne, "d'après la traduction de la baronne Albertine de la Motte-Fouqué (1810-1876)" (troisième femme de l'auteur)
"Am Seeufer hatte meine Frau mit dem Kinde gesessen, und wie sie so recht sorglos und selig mit ihm spielt, bückt sich die Kleine auf einmal vor, als sähe sie etwas ganz Wunderschönes im Wasser; meine Frau sieht sie noch lachen, den lieben Engel, und mit den Händchen greifen; aber im Augenblick schießt sie ihr durch die rasche Bewegung aus den Armen und in den feuchten Spiegel hinunter. Ich habe viel gesucht nach der kleinen Toten; es war zu nichts; auch keine Spur von ihr war zu finden. –

Nun, wir verwaisten Eltern saßen denn noch selbigen Abends still beisammen in der Hütte, zu reden hatte keiner Lust von uns, wenn man es auch gekonnt hätte vor Tränen. Wir sahen so in das Feuer des Herdes hinein. Da raschelt was draußen an der Tür; sie springt auf, und ein wunderschönes Mägdlein von etwa drei, vier Jahren steht reich geputzt auf der Schwelle und lächelt uns an. Wir blieben ganz stumm vor Erstaunen, und ich wußte erst nicht, war es ein ordentlicher, kleiner Mensch, war es bloß ein gaukelhaftes Bildnis. Da sah ich aber das Wasser von den goldnen Haaren und den reichen Kleidern herabtröpfeln und merkte nun wohl, das schöne Kindlein habe im Wasser gelegen, und Hilfe tue ihm not. –
"
"Ma femme était assise au bord du lac avec notre enfant, et tandis qu'elles jouaient sans aucune crainte, et que Marthe ne songeait qu'à son bonheur, la petite se baissa comme si elle voyait quelque chose de brillant au fond de l'eau. Sa mère s'amusait de l'air content avec lequel elle étendait en souriant sa petite main, comme si elle eût voulu se saisir de cet objet vers lequel elle se penchait toujours davantage. Marthe voulut enfin la retenir ; mais au même instant l'enfant fit un mouvement si brusque qu'elle échappa des bras de sa mère, et tomba dans le lac. Les vagues l'entraînèrent sans doute rapidement. Ma femme, au comble de la douleur, chercha inutilement son corps; je l'ai long-temps cherché aussi, mais en vain ; je n'en ai jamais trouvé aucune trace.

Le même soir, nous étions assis dans la cabane ; absorbés dans notre affliction, nous n'avions aucune envie de parler, nos larmes d'ailleurs nous en auraient empêchés. Nous regardions tristement la flamme qui pétillait sur le foyer, en pensant combien, la veille encore, cette brillante lumière amusait notre enfant. Tout-à-coup nous entendons un certain bruit à la porte, comme si on essayait de l'ouvrir : elle n'était que poussée ; elle cède, s'ouvre, et nous voyons sur le seuil une petite fille de trois ou quatre ans, richement vêtue, et d'une beauté surprenante, qui nous sourit. La surprise nous coupait la parole ; je ne savais d'abord si c'était une créature humaine ou quelque apparition fantastique et merveilleuse ; mais je m'aperçus que l'eau dégouttait de sa chevelure dorée et de ses beaux vêtemens ; je vis que cette belle enfant était aussi mouillée que si elle fût sortie du lac.
"

"Ma femme était au bord du lac avec l'enfant, et comme elle jouait et que, dans sa félicité, elle ne pensait point au malheur, la petite se pencha tout à coup, comme si elle voyait quelque chose de très beau dans l'eau. Ma femme la voit encore rire, le cher ange, et tendre ses petites mains ; dans le moment elle lui glisse des bras par un mouvement trop vif et descend dans le miroir humide. J'ai beaucoup cherché après la petite morte, ce fut en vain : nulle trace n'en était restée.

« Pauvres parents sans enfants, nous étions le même soir assis tout silencieux dans la chaumière ; aucun de nous n'avait envie de parler, quand bien même on l'aurait pu après avoir tant pleuré ; nous regardions le feu du foyer, quand quelqu'une chose fit du bruit dehors, à la porte ; elle s'ouvrit, et une jolie petite fille d'à peu près trois ou quatre ans, richement habillée, se trouva sur le seuil et nous sourit. Nous restâmes interdits d'émotion, et d'abord je ne savais pas si c'était un véritable petit être humain ou une apparition trompeuse. Mais aux gouttes d'eau qui tombaient de ses cheveux d'or et de ses riches vêtements, je vis bien que la belle enfant avait été dans l'eau et qu'elle avait besoin de secours.
" (Les Romantiques allemands, page 481)

 

La Pléiade (1963 ?) traduction de Jean Thorel.
Nicolas Waquet (2011)
"Ma femme était assise sur le bord du lac avec l'enfant, jouant avec elle, sans souci et bien heureuse, lorsque tout à coup la petite se penche un peu en avant, comme si elle avait aperçu dans l'eau quelque chose de très beau. Ma femme la voit encore rire, le cher petit ange, et tendre ses petites mains. Mais ce mouvement avait été trop vif, et au même instant l'enfant glisse des bras de sa mère et disparaît sous le miroir de l'onde. Je cherchai longtemps la petite morte, mais ce fut en vain, je ne pus retrouver d'elle aucune trace... Pauvres parents maintenant sans enfant, nous rentrâmes le soir à notre chaumière, où nous nous assîmes en silence l'un près de l'autre. Ni l'un ni l'autre nous n'avions envie de causer, quand même nous n'en aurions pas été empêchés par nos larmes. Nous regardions tous deux le feu dans l'âtre lorsque tout à coup nous entendons comme un léger bruissement dehors, et puis la porte s'ouvre, et nous apercevons une fillette de trois ou quatre ans, richement parée et d'une merveilleuse beauté, qui se tient sur le seuil et qui nous sourit. Nous restions muets d'étonnement, et tout d'abord je ne savais pas si nous avions bien devant nous un véritable petit être humain, ou si cela n'était qu'une apparition trompeuse. Mais je remarquai que ses cheveux d'or et ses riches vêtements ruisselaient d'eau, et je conclus qu'elle avait peut-être dû tomber dans le lac, et qu'il fallait sans tarder lui porter secours." (page 1356). "Mon épouse était assise au bord du lac avec l'enfant. Elle jouait avec sa fille, insouciante et joyeuse, quand soudain la petite se pencha sur l'eau, comme si elle avait aperçu sous la surface quelque chose de très beau. Mon épouse voit encore ce cher petit ange tendre ses menottes en riant. Mais dans la vivacité du mouvement, l'enfant lui échappe des mains et disparaît sous le miroir des ondes. J'ai longtemps cherché la petite défunte. En vain. Je n'en ai pas trouvé la moindre trace...

Nous étions à présent de pauvres parents privés de leur enfant. Assis en silence dans la cabane, nous n'avions nulle envie de causer, ni l'un ni l'autre, quand bien même les pleurs nous auraient noué la gorge. Nous regardions le feu dans la cheminée, lorsqu'un léger bruit au-dehors attira soudain notre attention. La porte s'est ouverte et une ravissante petite fille de trois ou quatre ans, richement vêtue, apparut sur le seuil en souriant. Nous étions muets de stupeur. Je ne savais pas au début si nous avions affaire à un être de chair et de sang ou quelque fantasmagorie. Mais, voyant que ses cheveux d'or et ses somptueux vêtements étaient trempés, j'ai pensé qu'elle était sans doute tombée dans le lac et qu'il fallait l'aider.
" (pages 37-39)

illustration de Rackham
Illustration d'Arthur Rackham (1867-1939)

Ondine va bien sûr s'enticher du beau Chevalier...
On ne dira pas ce qu'il se passera après.
"De manière générale, Fouqué retarde les différentes révélations majeures de son récit grâce à une incontestable maîtrise du suspense et de la narration." (Préface très intéressante de Nicolas Waquet qui doit bien sûr être lue après le conte, page 15).

C'est un excellent conte, mémorable, avec un vrai scénario bien construit. Un très beau texte.

 

On trouvera le texte original sur http://gutenberg.spiegel.de/buch/1368/2 et la traduction d'Isabelle de Montolieu (1834) sur : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k67814s/f1.image

 

Autour d'Ondine :

Côté musique, les Ondines les plus connues sont bien sûr celle de Debbusy et surtout de Ravel, inspirée d'Aloyisius Bertrand.

- Debussy, Ondine (Préludes, Livre II).

 

- Ravel, Gaspard de la Nuit - Ondine (1908).

 

- Tchaïkovski : Ondine (1870). Il s'agit cette fois-ci d'un opéra directement tiré de l'oeuvre de La Motte-Fouqué, dans la traduction de Joukovski.
Cet opéra n'est pas très connu... toutefois, dans l'extrait qui suit (un duo entre Ondine et Huldbrand), on a la surprise de reconnaître la musique du Lac des Cygnes (1875-1876) !
On reste donc dans le conte aquatique.



Côté littérature, voici le texte d'Aloysius Bertrand : Ondine, extrait du Gaspard de la Nuit, troisième Livre ("La Nuit et ses prestiges").

"- « Ecoute ! - Ecoute ! - C'est moi, c'est Ondine qui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.

» Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l'air.

» Ecoute ! - Ecoute ! - Mon père bat l'eau coassante d'une branche d'aulne verte, et mes soeurs caressent de leurs bras d'écume les fraîches îles d'herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne ! »

*

Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt pour être l'époux d'une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.

Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus."

 

 

les romantiques allemands

 

- La Mandragore (Das Galgenmënnlein, 1810). La Pléiade. 26 pages. Traduction d'André Coeuroy
"Le mot allemand signifie littéralement : le petit homme de gibet. « On s'imaginait au moyen âge, commente M. Coeuroy, que la plante nommée Mandragore, avec les formes bizarres de ses racines rappelant des formes humaines fantastiques ou grotesques, naissait sous les gibets de la semence des pendus. Son rôle était fréquent dans les pratiques de sorcellerie et l'évocation du Diable."
Proche de la mandragore, le spiritus familiaris, dont les frères Grimm disent, dans Légendes allemandes :
"Il est généralement conservé dans une fiole hermétiquement fermée, il ne ressemble pas tout à fait à une araignée, pas tout à fait à un scorpion, mais bouge sans cesse. Celui qui l'achète le retrouve toujours dans sa poche, quel que soit l'endroit où il dépose la petite bouteille, toujours il y retourne de lui-même. [...] Mais celui qui le possède jusqu'à la mort doit aller avec lui en enfer, - c'est pourquoi il cherchera toujours à le revendre. Mais on ne peut le vendre autrement qu'à meilleur marché, pour que finalement il y ait tout de même un propriétaire, à savoir celui qui l'a acheté avec la monnaie la plus basse qui existe. »
" (notes, page 1590).
Tout est dit.


Notre héros, Richard, "hardi compagnon et joyeux drille", arrive à Venise en provenance d'Allemagne. L'endroit lui plaît bien, car on y trouve vins fort plaisants et filles ravissantes.
Il dépense, dépense... "[...] il lui fallait songer avec un vif désagrément qu'une vie de plaisirs aussi inouïs devait avoir une fin, si à force d'amusements il ne voulait pas au bout du compte perdre tout ce qui lui restait." (page 1441).

Dans son groupe d'amis fêtards se trouve un capitaine Espagnol qui prenait part à tous les divertissements, "mais sans presque jamais prononcer une parole ni effacer de son visage les signes d'une violente agitation." (pages 1440-1441).
Un soir, l'Espagnol prend notre héros à part, et lui tient à peu près ce langage :
"Je ne sais si vous connaissez certaines petites créatures que l'on nomme Mandragores. Ce sont des diablotins enfermés dans de petits flacons de verre. Quiconque en possède un peut obtenir de lui tout ce qui fait l'agrément de la vie, mais surtout de l'argent à l'infini. En échange la Mandragore se réserve l'âme du possesseur pour son maître Lucifer, au cas où ledit possesseur mourrait sans avoir remis la Mandragore en d'autres mains. Cette remise ne peut s'effectuer que par la vente et à condition que le prix de cette vente soit inférieur au prix d'achat. Ma Mandragore m'a coûté dix ducats. Si vous la voulez pour neuf, elle est à vous." (pages 1441-1442)

Bien sûr, notre héros accepte. L'Espagnol lui vend donc sa mandragore. "Sur ces mots il tendit au jeune homme en échange de son argent un petit flacon de verre où Richard, à la lueur des étoiles,vit gambader frénétiquement quelque chose de noir." (page 1443).
On s'imagine toutes les aventures qui vont arriver à notre héros, et on se doute bien que se débarrasser de sa mandragore en temps et en heure ne sera pas chose facile (on repense à toutes ces histoires de pactes dans lesquelles le temps presse, notamment chez Balzac : Melmoth réconcilié, la Peau de Chagrin...).

Un conte très agréable à lire, avec de bons passages, mais finalement nettement moins marquant que Ondine. Il est parfois un peu tiré par les cheveux (une fois posé le postulat de base, bien sûr). Le lecteur imagine facilement des solutions auxquelles notre héros ne pense pas, et la fin n'est pas tout à fait à la hauteur. C'est vraiment agréable à lire, mais loin d'être un chef-d'oeuvre, contrairement à Ondine.

 

 

 

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