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Kaikô Takeshi (ou Kaiko Ken)
(Ôsaka 1930-1989)

Kaiko Takeshi 

Après une enfance difficile - son père meurt en 1943, il connaît la faim et la misère, un peu à l'image de Nosaka Akiyuki - il doit exercer toutes sortes de métiers, réussissant néanmoins à finir ses études de droit. "Cette vie lui forgera sa vision du monde et l'attachera aux choses qui ne trompent pas, au contraire des hommes et de leurs créations : le monde de la matière, la nature surtout sous tous ses aspects possibles, choses qu'il saisit à bras-le-corps, à plein épiderme, et qu'il saura restituer à sa manière personnelle et inégalée", écrit Jacques Lalloz dans son introduction à La Muraille de Chine.
Il devient publicitaire, notamment pour les whiskys Suntory (avant Bill Murray dans Lost in Translation).
Il se fait remarquer en 1957 avec la nouvelle Panique (Panikku). Il obtient le prix Akutagawa en 1958 avec Le Roi Nu (Hadaka no Ôsama).
Journaliste, il assiste au procès Eichmann en 1961. Il se rend à plusieurs reprises au Viêt-nam en 1964. Ce qu'il y voit le marque profondément.

Outre parcourir le monde (souvent dans des zones de conflits), il appréciait les bonnes choses (on en trouve la trace dans sa nouvelle Romanée-Conti 1935, 1973), et la pêche.

Il est mort d'un ulcère à l'oesophage.



La Muraille de chine

- La Muraille de Chine - récit d'un fugitif (rubô-ki, roman traduit du japonais par Jacques Lalloz ; 109 pages, 1959, traduction de 1992).
Ce court roman a été écrit en une nuit, précise Jacques Lalloz dans son introduction.
Il est dédié "à F.K." : il s'agit évidemment de Franz Kafka, sous le signe de qui se place l'histoire, qui se situe officiellement en Chine au III° siècle avant J.-C., mais comme il s'agit d'une allégorie, elle évoque parfois très fortement (à moins que ce ne soit le contraire) Des Milliards de tapis de Cheveux, le très bon roman de Science-Fiction de l'Allemand Andreas Eschbach.

Le narrateur, un jeune Chinois, dont le père est mi-agriculteur, mi-commerçant, vit dans une ville protégée par une muraille qui permet de protéger la ville des trop nombreux réfugiés qui cherchent à manger. La région - et donc la ville - passe sous le contrôle d'un général, puis d'un autre, à un rythme soutenu : "Un général s'éloignait-il en entraînant son armée qu'un autre apparaissait, presque sur ses talons. Nous ne savions même pas de quelle contrée ils arrivaient ni quel genre d'hommes ils étaient. Il surgissaient soudain d'au-delà des champs et se ruaient dans notre direction, bardés de fer et poussant leurs cris de guerre. Lorsque retentissaient les cris d'alarme du haut des tours, les classes s'interrompaient, des convulsions s'emparaient de la ville, c'était une ruée générale sur les objets de valeur et les vivres pour les fourrer dans un trou de mur, sous un plancher, ou les enfouir dans son jardin." (page 31).
La muraille est constituée de pavés de terre crue, qu'il faut maintenir.
Tout le monde, à quelques exceptions près, participe donc à ce travail éreintant. "Le soir, à l'heure où la nuit commençait à répandre son insidieux flot bleuâtre, nous portions nos regards sur la muraille rehaussée, puis, satisfaits, regagnions nos demeures en emportant nos outils. Retrouverai-je jamais cette limpide et brutale sensation de dilatation qui nous envahissait durant ce fulgurant laps de temps où, dans une ultime seconde de résistance au sommeil, nous nous retournions sur nos couches en un mouvement alangui ? Nous gémissions aux craquements bienfaisants de nos échines, murmures équivoques à la suite desquels nous nous métamorphosions en une sorte de rivière étincelante qui traversait les murs et s'échappait par les fenêtres. Et dans cet instant infini, empli de la senteur de paille brûlée, la ville se dissolvait." (page 21).
Puis vient le moment où la Chine est unifiée par un Empereur, qui met au point un système bureaucratique de fonctionnaires qui "administrent, mais ne gouvernent pas. [...] L'empereur s'étant ainsi prémuni contre l'émergence de héros dans les régions, il déclara fondée la dynastie" (page 45). Il fait construire une immense capitale, ainsi qu'une muraille gigantesque.
Tout ceci nécessite de la main d'oeuvre...

Un très bon court roman sur un système totalitaire. D'où peut venir l'espoir d'une libération ?

abegg
Waldemar Abegg (1873-1961) : Muraille de Chine. Pékin. 1906.

romanee conti 1935


- Romanée-Conti 1935 suivi de Le Monstre et les Cure-dents (Romane-Conti 1935, 1973, et Kaibutsu to tsumayoji, 1979) récits traduits du japonais par Anne Bayard-Sakai (Romanée-Conti) et Didier Chiche (Le Monstre) ; 105 pages).

1/ Le récit Romanée-Conti 1935 (soixante pages) commence ainsi : "
Un dimanche d'hiver, tard dans l'après-midi, deux hommes étaient assis face à face dans le restaurant d'un gratte-ciel d'acier et de verre. Cirée avec soin, la lourde table en bois de châtaignier, aux dimensions respectables, luisait comme un lac, les veines du bois reflétaient l'ombre d'un vase orné d'une rose. Deux bouteilles de vin étaient posées là, l'une debout, l'autre couchée dans un panier. Ils étaient seuls dans la salle." (page 7). Un administrateur d'entreprise (40 ans) et un romancier (41 ans), qui se connaissent depuis longtemps, se sont réunis pour boire deux vins : La Tâche 1966 - un côte de Nuit du domaine de Romanée - et surtout un Romanée-Conti de 1935 (l'histoire se déroule en 1978).
La dégustation suit une espèce de cérémonie pour laquelle les deux hommes se sont préparés : le romancier n'a pas fumé depuis le matin et n'a pas bu de whisky la veille, une sorte d'exploi pour lui.
"
Le serveur souleva délicatement la bouteille qui était debout pour l'approcher d'un verre. Le romancier suivit des yeux les mouvements de cette main d'une plaisante sécheresse, maigre, ossue et assurée. Fais attention. Il ne faut pas heurter le verre. Et le problème, c'est la dernière goutte. Comment la remettre dans la bouteille sans la laisser couler. Sinon, elle glisse du goulot vers les flancs et vient poisser l'étiquette. Elle la transforme en « papier tue-mouches ». Il faut, en versant, donner au bon moment un petit mouvement vers l'extérieur à la bouteille. C'est Pagnol qui le dit, sans sa trilogie marseillaise, lors de cette scène où le père transmet à son fils l'art de fréquenter les bistrots. Comme on peut être tracassé par des petites choses avant de boire !" (pages 10-11).
Les deux hommes entament la première bouteille (La Tâche 1966), discutent. A propos du vin, d'abord : "
J'avais le cerveau imbibé de vin ! Mais comme c'était des crus d'exception, jamais l'ivresse n'a été pénible. Si le vin est bon, on peut boire et manger sans en souffrir. Bien au contraire, on éprouverait plutôt une sensation de légèreté. C'est ce que j'ai bien compris." (page 12).
Puis ils entament la deuxième bouteille : "
Le flux franchit ses lèvres pour pénétrer dans sa bouche om il fut lentement broyé. Il fut sassé par les dents, la langue, les gencives. Il fut distribué, pétri, avant d'être rassemblé à nouveau. Le romancier demeurait assis, tous ses sens en éveil, l'ouïe aiguisée, et il observait attentivement le courant qui, sur sa langue, se scindait en plusieurs ruisseaux, en gouttes, en masses, se repoussant avant de s'attirer." (pages 22-23).

La bouteille sera-t-elle à la hauteur de l'attente ?

Le vin fait ressurgir des souvenirs au romancier qui se souvient de ses années au Quartier Latin, à Paris, et d'une femme, à qui il avait dit qu'il passait ses journée à boire et qui lui avait répondu :
"
A vingt ans, on ne choisit pas.
A trente, le bourgogne vous séduit.
A quarante, le carmel, ou encore le bordeaux.
A cinquante, on ne boit plus, on apprécie.
" (page 43).

Seule un excellent vin a la vertu de faire surgir ainsi certains souvenirs, tel un génie... de sa bouteille !

Un très bon récit, très bien écrit, plein de sensations gustatives et de remarques goûteuses. Allez, une petite dernière, pour la route : "
La lie. En quelque sorte les taches de vieillesse du vin." (page 53).

A noter que Bernard Pivot, dans son Dictionnaire Amoureux du vin (Plon, 476 pages), fait mention de l'oeuvre de Kaiko, à l'entrée Romanée-Conti. Il cite les propos de l'écrivain spécialiste de cuisine française Richard Olney (1927-1999), qui décrit la dégustation qu'il fit d'une bouteille de la même année et qui est sensiblement différente.
Mais les conditions de conservation des bouteilles diffèrent.
Bernard Pivot, heureux propriétaire d'une Romanée-Conti 61 résume le récit et cite Kaiko : "
Celui de 61 est une perfection, l'admiration est seule de mise". Pivot écrit encore : "Me voici donc avec en cave une romanée-conti 1961, introuvable sauf au domaine et chez les collectionneurs. Je ne la collectionnerai pas, je la boirai. Mais quand ? Avec qui ? J'ai quelques idées. Attention de ne pas engager une course de lenteur que je pourrais perdre... " (page 370).

Pour faire une parenthèse, à propos des Japonais et du vin, on notera l'existence du très sympathique manga Sommelier (de Joh Araki, Kaitani Shinobu et Hori Ken-Ichi ; manga nettement plus intéressant que Les Gouttes de Dieu, de Agi Tadashi et Okimoto Shu).
Dans le volume I, la dixième nouvelle est intitulée "Un vin centenaire". Une fois n'est pas coutume, la voici résumée en entier, sans rien en cacher. Un homme, propriétaire d'une boutique de fruits et légumes concurrencée par la grande distribution, dépense toute la fortune acquise au cours de sa vie pour acheter aux enchères un Mouton Rotschild 1869, antérieur à l'épidémie de phyloxera, est-il dit. Quel goût peut-il avoir ? « Nous allons savoir si ce vin est digne de symboliser votre existence », dit le sommelier à l'acheteur. Ils ouvrent ensemble la bouteille. L'homme goûte et éclate de rire. « Il est redevenu "eau". 100 ans... Il a amplement dépassé sa période de maturation, il est fané. Le "mouton", d'un rouge pourpre, s'est métamorphosé en un jus brun sans saveur. L'alcool et les arômes ont disparu. Il n'a plus aucun goût. ».
Mais l'homme ne baisse pas les bras. « Je vais reprendre du service à la boutique. Je ne baisserai pas les bras face aux méthodes américaines des supérettes ! ». Les déceptions de ce genre, les ironies du destin sont très fréquentes dans les mangas (et particulièrement dans le fameux Black Jack de Tesuka Osamu), beaucoup plus que dans la BD "franco-belge". Une question de culture, sans doute... Et pourtant, l'homme jouet des Dieux et du Destin...il y aurait presque quelque chose de Grec là-dedans, cela remonte donc aussi à loin chez nous... fin de la parenthèse.

kaiko takeshi

2/ Le deuxième récit, Le Monstre et les cure-dents, se déroule à Saïgon.
Un journaliste, le narrateur, éprouve un sentiment de fascination-répulsion pour le Général B., qu'il a vu pour la première fois dans un bar. Petit, laid, protégé par des gardes du corps dévoués.
"
Lui-même était petit, émacié, les épaules étroites ; la main qui tenait son verre était fine et fragile comme une main d'enfant ; mais son visage avait une laideur qu'on eût pu qualifier de monstrueuse. [...] Accouplez un vautour à une grenouille dans un marécage poisseux et sinistre : vous aurez pareille créature" (pages 76-77).
Le général B. semble à la fois professionnel, cruel, efficace, et d'une certaine manière honnête (il paye ses consommations). Il fait ce qu'il juge nécessaire. "
Homme de cabinet, intellectuel fort doué et cultivé, en même temps qu'ange exterminateur sadique et inacessible à la pitié, guerrier incorruptible et courageux, toujours en campagne : autant de traits contradictoires qui paraissaient rassemblés dans ce petit corps d'une extrême laideur."(pages 85-86). Cet homme fascine et obsède le narrateur : "Il y avait un secret, mais lequel ? Impossible de le saisir." (page 86).
Un portrait original, jusqu'au détail final.

Encore un très bon récit.

kaiko takeshi



Egalement disponibles en français :
- l'Opéra des Gueux (Nihon sanmon opera, 1959).
- Une Expérience cruciale (Nin.i no itten, 1960). On peut trouver cette nouvelle dans Anthologie de nouvelles japonaises Tome III. Editions Picquier.
- Les Ténèbres d'un été (Natsu no yami, 1971)
- La Mue ou la Mort (Tama, kudakeru, 1973) Prix Yasunari Kawabata (que l'on peut trouver dans l'Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines, Gallimard)


Autres livres, non disponibles en français :
- Le Roi est nu (Hadaka no Ôsama, 1956)
- Le Géant et le jouet (Kyojin to gangu, 1957)
- Les Descendants de Robinson (Robinson no Matsuei, 1960)
- Journal de Guerre du Vêt-Nam (Betonanu senki, 1965)
- Les Ténèbres étincelantes (Kagayakeru yami, 1968)
- Histoire de l'Oreille (Mimi no monogatari, 1986)

Films d'après son oeuvre :
- Le Géant et le jouet (Kyojin to gangu, 1957), réalisé par Masumura Yasuzo (le réalisateur de l'Ange Rouge, 1966, ainsi que de Svastika, 1964, d'après Tanizaki, La Bête aveugle,1969, d'après Edogawa Ranpo, etc.)
- Shonin no isu (1965). Réalisé par Yamamoto Satsuo.


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