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FURUKAWA Hideo

(Kôriyama, Préfecture de Fukushima, 11/06/1966 - )

furukawa hideo

Furukawa Hideo est né en 1966. Il s'intéresse très tôt au théâtre. A 18 ans, il part à Tokyo pour étudier la littérature à la fameuse Université Waseda. Il quitte l'Université sans avoir fini son cursus et commence à travailler dans une maison d'édition.
Il écrit des pièces de théâtre et s'intéresse aux jeux vidéo.
Il fait ses débuts littéraires en 1998.
Alors Belka, tu n'aboies plus ? a été "shortlisté" pour le prix Naoki. Love (2006) a remporté le prix Mishima.

Pour plus de détails (en anglais) sur Furukawa et son oeuvre, on pourra lire une étude sur : http://arizona.openrepository.com/arizona/bitstream/10150/144389/1/azu_etd_11622_sip1_m.pdf

 

belka

Alors Belka, tu n'aboies plus ? (Beruka hoenainoka ?, 2005). Roman traduit du japonais par Patrick Honnoré en 2011. Editions Philippe Picquier. 382 pages.

Ce gros roman se déroule aux Etats-Unis, au Mexique, en Union Soviétique et en Russie (car on a droit à un livre à grande échelle dans l'espace et le temps), au Japon, en Afghanistan...

En gros, le lecteur suit deux histoires : celle de quelques chiens-soldats et de leurs descendants (enfin, quelques uns de leurs descendants), essentiellement à partir de 1943 ; et une autre histoire, post-soviétique celle-ci. D'ailleurs, c'est avec cette dernière que commence le roman (pour accrocher le lecteur avec un thème plus familier ?).
Le début, donc.
Le début, c'est un peu comme une scène d'ouverture d'un 007 : ça frappe fort, et après on s'attend presque à voir le générique après.

On est en Sibérie.
"La neige avait cessé. Mais la température avoisinait moins vingt degrés Celsius. Des deux côtés de la route, la forêt de bouleaux." (page 9).
On rencontre un homme mystérieux, l'Archevêque. Faut pas lui chercher des noises, à l'Archevêque.

Dès le chapitre suivant, on a entamé l'autre histoire, ou plus exactement une des nombreuses autres histoires.
"Plus personne ne sait ces choses-là. Par exemple, que le territoire des Etats-Unis d'Amérique fut occupé par un pays étranger au cours du XX° siècle, tout le monde l'a oublié. Une unique fois au cours du XX° siècle. Dans le Pacifique Nord, deux îles de l'archipel des Aléoutiennes furent occupées par l'Armée japonaise [...]" (page 16).

Ça fait un peu poseur, et c'est le début des explications historico-politiques. On aura droit à de longs, très longs passages, dans la deuxième moitié du roman. Mais au début, ça va.

Dans cette partie d'histoire, on a des Yakuzas venus en Russie faire du bizness.
Ils sont dans un restaurant.
Extrait significatif du style de l'écrivain :
"C'est à ce moment que la délégation commerciale japonaise sent quelque chose de bizarre. Tout est devenu trop calme. Il n'y a plus personne en cuisine. Tous les clients sont partis, sauf eux. Plus un seul employé de salle en vue. Plusieurs des Japonais se retournent en même temps vers l'entrée. Ils cherchent des yeux les gorilles géorgiens qui devraient s'y trouver. L'un des deux est allongé par terre. Du sang. Le larynx et la jugulaire ouverts. Au couteau sans doute, silencieusement. Son copain n'est pas là. Lui aussi doit crever quelque part. Deux ou trois jeunes yakuzas se lèvent, bouche ouverte. Ils sortent leur flingue par l'échancrure de leur costume." (pages 65-66).
Le super tueur déboule alors, bien sûr : "En un éclair, il loge une balle dans la nuque de chacun des Japonais. Pfun. Pfun. Pfun. Pas plus bruyant que ça. C'est simple, silencieux, presque beau. À la table de l'homme qui se faisait appeler Président, il ne reste précisément que lui, et à la table voisine, la gamine et l'interprète payée pour s'occuper d'elle. L'assaillant cagoulé contourne la table pour faire face à l'homme qui se fait appeler Président. Le bout du silencieux au bout du pistolet-mitrailleur est pointé sur le front de l'homme. Entre les deux, il doit y avoir un mètre environ de vide sidéral." (page 66).

C'est comme dans un film d'action. Efficace. Les phrases courtes. Les onomatopées. Dans ce passage, il y a beaucoup de phrases courtes, mais pas de retour à la ligne.
Après, si.
Du genre :
"Il voit la gamine.
La petite Japonaise.
" (page 67).
Oui.
Le retour à la ligne, c'est toujours classe.
Super signifiant.
Efficace.


Le plus gros du roman, c'est l'histoire des chiens. Des super chiens, super forts, généralement entraînés pour servir de chiens de combat pendant les guerres. On va suivre leurs pérégrinations, leurs aventures, leurs destins. Parfois, ils se croiseront. Parfois, ils se rateront de peu (ça donnera lieu à un bon passage, d'ailleurs, la même scène vue deux fois par des paires yeux canins différentes).

Et le lecteur apprend des choses sur les chiens. Par exemple, qu'une mobilisation de tous les chiens a eu lieu dans les derniers temps de la Seconde Guerre Mondiale au Japon. "Il ne s'agissait pas de sélectionner d'éventuels futurs chiens soldats. Mais de pourvoir à l'effort de guerre. On avait besoin de fourrures. C'est ainsi que tous les chiens de rue furent réquisitionnés par l'armée du Japon." (page 74)

On apprend aussi comment améliorer la race des chiens de traîneaux.
On est en Alaska, on suit le maître d'un de nos chiens : "Puis il partit en forêt, où il établit un campement pour une durée indéterminée. Volontairement, il attacha sa chienne dehors. Pour la faire engrosser par un loup." (page 85).

Les chiens croissent et se multiplient (il y a heureusement un arbre généalogique en début de livre), on suit le destin de certains d'entre eux (aux nom souvent évocateurs : Anubis, Explosion...)

De temps à autre, Furukawa interpelle ses chiens :
"Hé, les chiens ! Vous les chiens de la lignée de Kita ! Quel formidable tournant prend votre race trempée dans le sang du loup !" (page 77).
... et l'on a ainsi de leurs nouvelles, on va d'un pays à l'autre, capitaliste ou communiste. On change parfois de continent.

Alors, au début, c'est efficace, même si ça sent un peu la frime (eh, lecteurs, vous lisez un roman original, regardez comme ce que j'écris est efficace et comme je change de pays et d'époque !), mais ça passe. Alors que vers la fin, les explications de géopolitique sont trop longues, trop lourdes. Furukawa explique la vision simpliste qu'ont les Américains sur le monde.
"[...] Khrouchtchev commence à s'inquiéter de Mao Zedong (et de ses ambitions nucléaires). C'est qu'il est sérieux, l'autre ! C'est un danger, ce type ! [...] Finie, l'aide technologique nucléaire. Et la rupture sino-soviétique... Bah, tant pis, hein.
Tu m'en veux pas, Mao, dis ?
" (page 229).


C'est donc un roman qui se veut original, et il l'est (ce qui n'est pas rien, de nos jours). Mais est-ce que cela suffit ?

Furukawa aurait vraiment dû raccourcir ses explications historiques qui prennent beaucoup trop de place dans la deuxième moitié du roman.
Car si son style oral, interpellatif, passe encore quand il parle aux chiens, quand il se met à parler en style relâché à Mao et autres pontes, ça ne passe plus vraiment, c'est même un peu ridicule.
De même, le mélange de naïveté style BD (pan-pan boum-boum, le super tueur se joue des systèmes de protection les plus sophistiqués) et de détails historico-politiques précis crée un effet très curieux, une sorte de tentative de recréation d'une réalité (influence de Murakami Haruki ?) à la fois plus simple et plus compliquée.

Quand on lit que Furukawa se considère comme le plus fervent disciple de Murakami Haruki, on se dit, bon, pourquoi pas ? mais quand vient la suite : "tout en revendiquant l'influence de Garcia Marquez et de Borges", on reste plus perplexe. Tout roman qui multiplie les personnages peut se revendiquer de Garcia Marquez... et quant à l'influence de Borges, je ne l'ai pas vue dans ce roman (même en mettant de côté le fait que Borges n'a jamais écrit de roman).

A part ça, iI y a quelques petites fautes dans le texte, mais pas très nombreuses ("Il prenait vraiment la pause d'un boxeur", page 280 ; "les agents de S étaient acceuillent ce slogan", page 350...).

Sentiments partagés sur ce livre, donc : il y a de bonnes scènes, du mystère, de l'originalité, mais aussi des longueurs, des facilités (le côté cartoon ou film hollywoodien pan-pan boum-boum ; la mafia, etc.), et le style lasse un peu, comme un disque écouté à fond : on voudrait parfois diminuer le volume.
Wouff !

On peut lire les 24 premières pages sur le site de Philippe Picquier, ici pour se faire son idée.

 

meet

- L'Horrible homme-oiseau. Nouvelle tirée du recueil "gift" Shûeisha, 2004. Première parution dans « Shôsetsu Subaru », mai 2002. Traduction de Patrick Honnoré. Meet n°11 "Tokyo/Luanda". (pages 85 - 89)

"Je ferai en premier lieu son portrait physique. Son bec est extrêmement long. Assez recourbé, il s'allonge vers le bas. Le crâne chauve, tout à fait comme s'il s'était mis une serviette sur la tête. Deux yeux, comme nous autres, deux trous noirs. À la racine du bec (c'est bien comme ça qu'on dit ?) il y a deux fentes qui font comme un nez, et c'est de là qu'il pousse ses cris. Enfin je crois." (page 85).
Au début, c'est très curieux. Il y a un rassemblement nocturne. "Rien que des hommes-bêtes. Des animal-men" (page 85).
"« Ceux du collège n°4, c'est surtout des filles. Ça risque d'être vachement procédurier comme combat... dit l'homme-ours. Yoshida, je crois, d'après la voix.
- Pas si sûr... répond l'homme-hamster.
" (page 85).

On comprend donc rapidement (dès la première page) qu'il s'agit d'un affrontement entre collégiens. On découvrira ses règles...

C'est une curieuse nouvelle : il y a une sorte de suspension de la réalité, dans les apparences au début, et peut-être plus que cela après ("On est mal si les règles du jeu se détraquent.", page 89).
Ou bien est-ce un rêve étrange, comme ceux qui peuvent vous venir confusément lorsque vous vous rendormez au petit-matin...

C'est un autre style de l'écrivain. On est curieux d'en lire plus.


 

o chevaux

- O chevaux, la lumière est pourtant innocente (Umatachi yo, Soredemo hikari wa wuku de, 2011). Traduit en 2013 par Patrick Honnoré. Editions Philippe Piquier, 155 pages.

Furukawa est né à Fukushima.

"Pourquoi écrivais-je ?
Parce que je ressentais le besoin d'écrire. C'était la seule raison. C'était ma nécessité intérieure, une impulsion, une pulsion ininterrompue.
C'était. Je ne peux pas le dire autrement. Puisque j'ai annulé deux travaux. Je ne peux plus écrire de romans pour lesquels j'établis un plan avant d'écrire. Cela ne me vient même plus à l'idée. Non pas que je ne puisse plus rien écrire du tout. J'ai écrit des textes courts.
" (page 12).
On retrouve un peu le problème "quoi lire après le tremblement de terre", un certain nombre de lecteurs se tournant vers la poésie, semble-t-il... on remarquera que l'on reste dans les textes courts.

"A force de scruter les images à la télé, mes globes oculaires commençaient à se dessécher. Alors vint une humidité à renverser les digues. Les larmes. Les larmes qui coulaient à flots. Combien de fois par heure ? Je n'ai pas pu vérifier. Parce que l'unité de temps « heure» n'existait plus. La journée ne faisait plus vingt-quatre heures. Les publicités avaient disparu de la télé. Il n'y avait plus de coupures. [...] Pour dire cette expérience en un mot, le temps avait disparu. Concrètement : disparue, la conscience du jour que l'on était, absent, le sentiment du lendemain. Je peux mettre un nom sur cette expérience : c'était le temps du kamikakushi, l'« enlèvement par les dieux ». Quand on est enlevé par les dieux, une demi-année peut passer comme une semaine, quelques secondes ou dizaines de secondes passent comme trois mois. le temps n'est plus ordonné." (page 8).
Kamikakushi : " sous cette expression est désignée une expérience proche de la catalepsie. Sert aussi à désigner les disparitions d'enfants. Une riche mythologie y est attachée dans les ontes traditionnels, romans fantastiques, etc., comme par exemple le film de Miyazaki Hayao Le Voyage de Chihiro, dont le titre original est Sen to Chihiro no kamikakushi." (note de Patrick Honnoré, page 8).

Vient un sentiment de culpabilité : "Pourquoi ne fais-je pas partie des victimes ?" (page 30).

Puis : "J'entends une voix. Vas-y. Va te faire irradier. Ou va voir, au moins. Je suis né dans la région de Nakadôri, département de Fukushima. Il faut que j'aille à Hamadôri.
Comment partager la souffrance, sinon ?
" (page 35).
Mais il n'est pas secouriste, pas journaliste non plus. Romancier.

Sur un atlas, il trouve l'indication : "Le couloir de Hamadôri est la « Ginza » des centrales nucléaires." (page 42). C'est une façon de présenter les choses assez sciante, il faut bien l'avouer.

Furukawa parle à un éditeur, qui va se charger d'organiser une expédition à Fukushima. Ils partent à quatre, en voiture.
Furukawa Hideo parle fréquemment de l'un de ses romans, La Sainte Famille (non traduit en français). Il voit des écoliers aller à l'école en [sic] vélo, va dans des supérettes, constate s'il manque des produits dans les rayonnages. On s'attend à quelque chose... mais tout est pour ainsi dire banal pour le moment. Puis, il arrive à la zone détruite par le tsunami.
"C'est... c'est trop grand, ai-je dit à quelqu'un. À quelqu'un qui n'était pas à. À un kami ou un bouddha, peut-être bien. Il y avait des voitures écrasées comme dans un poing, des voitures renversées, d'autres pleines de gravats. [...] L'asphalte était arraché. Des poutres d'acier impossibles à plier étaient pliées. Nous avons regardé des sections du béton, des sections en principe impossibles à voir. Nous avons vu des bâtiments dont il ne restait que l'armature métallique. Etait-ce des bâtiments, d"ailleurs ?" (page 51).

Ils arrivent à un hippodrome. Furukawa parle de chevaux, d'une cérémonie inscrite à l'inventaire des importants patrimoines folkloriques immatériels.
Et il continue à parler de son livre, La Sainte Famille.
Il parle de lui, aussi. "Il y a six mois, j'ai avoué que je souffrais de daltonisme partiel. Je ne l'avais pas dit avant, parce que je ne voulais pas que mes ouvrages précédents soient analysés en fonction de cela - en fonction de ce handicap somme toute léger, puisque mon daltonisme n'est pas total. Mais j'ai toujours écrit à propos de couleurs invisibles, de sons inaudibles, des caractères fantômes." (page 78).
Et il embraye sur... La Sainte Famille (encore ?).
Plus loin, on a des considérations historiques sur Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi, l'invasion de la Corée, les nombreux morts...
"L'histoire officielle est un dispositif de filtrage. [...] Ai-je les moyens de lutter contre cette réalité ? Une histoire qui ait réellement pour fonction de secouer, voilà l'histoire idéale - mon idéal de l'histoire." (page 90)

Bon. Puis il nous raconte un détail cinéphiliquement intéressant : "Il ne faut pas se fier aux films de samouraïs qui se prétendent réalistes. Ne va pas croire les films avec leurs impressionnantes scènes de batailles de masse, les séries télé sur les chefs de guerre.
Tout ça, c'est de l'intox.
La taille des chevaux est aberrante.
Tu comprends ça ? Les chevaux de grande taille n'existaient pas. Mais on te montre les guerriers foncer fièrement à la bataille sur leurs pur-sang de course ou assimilés.
La taille de toute ça, c'est du pur bobard. Tout ça est faux.
" (pages 112-113).

ran    ran
Deux photos de Ran (à gauche) et Kagemusha (à droite), de Kurosawa.

Sans doute, mais ça a plus de classe...

Plus tard : "Les bulldozers raclent la cour de mon école. La défoncent." (page 122).
Le but est d'enlever la terre la plus radioactive...

Le livre se termine sur ce qui est sans doute de la fiction, une histoire de cheval et de vache. Peut-être un cap a-t-il été franchi par l'auteur, et peut-il de nouveau écrire de la fiction, après avoir, comme un disque rayé, buté sur un livre déjà écrit, la Sainte Famille, dont il parle encore et encore.

Curieux livre, sans doute plus intéressant lorsque l'on a une certaine familiarité avec l'oeuvre de l'auteur (et qu'on a lu son livre La Sainte Famille) : ce n'est pas vraiment une enquête sur le terrain dans le style de celle de William Vollmann (Fukushima - Dans la zone interdite). Ce n'est pas non plus un texte dense dans le style de Ce n'est pas un hasard. Chronique japonaise, de Sekiguchi, tourné vers les gens, pour ainsi dire.
Il n'y a pas vraiment d'informations sur les liquidateurs, des descriptions, des chiffres, des détails, comme dans le Fukushima, récit d'un désastre de Michaël Ferrier.
C'est un livre plein de digressions, et très centré sur l'auteur. Il parle de lui plus que des autres. Lorsqu'il parle de ce qu'il voit, il parle de ce qu'il ressent. Contrairement aux autres auteurs cités (Vollmann, Ferrier, Sekiguchi, mais encore Tawada, dans son Journal des jours tremblants. Après Fukushima), il n'a pas de vision objective, ce qui est évidemment dû au fait qu'il est plus touché que ces autres écrivains.
Mais, paradoxalement, il m'a paru moins intéressant, en terme d'informations, de capacité à faire passer les choses.
Finalement, là où d'autres auteurs ont écrit des livres peut-être plus impersonnels : enquêtes, exposés, analyses, souvent saisissants et effarants, avec parfois des passages très littéraires (le tremblement de terre chez Ferrier, par exemple, est remarquablement bien écrit), ou ont la volonté de faire partager ce qu'ils voyaient, découvraient, Furukawa a écrit un livre en quelque sorte plus personnel, sans doute moins destiné au lecteur occidental. Il dit ce qu'il ressent.

Il a eu besoin de s'exprimer, et il l'a fait avec son style habituel (et son même amour des animaux), en tout cas le même que dans Belka : il cherche toujours à "augmenter le volume sonore de la littérature." (page 18).

Ecoutons-le lire un extrait de son roman Belka :

 

Pour finir, quelques extraits d'une interview donnée à La Croix, à l'occasion du Salon du Livre en 2012 :

"Hideo Furukawa : Après la catastrophe je suis allé dans ma famille près de Fukushima où les destructions ont été importantes. Jamais mes parents n’ont autant parlé, raconté, décrit, exprimé leurs sensations et leurs sentiments. [...]
Pour autant, les Japonais ont toujours du mal à s’exprimer politiquement contre le gouvernement. Ils peuvent raconter leur expérience et leur histoire personnelle mais pas directement contre le gouvernement. Il existe une vraie difficulté pour les Japonais à revendiquer au niveau national.

Et pourtant vous êtes antinucléaire ?

H. F. : Oui, je suis contre, c’est honteux ce qui s’est passé à Fukushima mais c’est difficile de crier simplement « À bas le nucléaire ! », cela ne suffit pas. Le Japon ne peut pas vivre sans nucléaire pour le moment à moins d’accepter de vivre moins bien. J’espère que les centrales seront arrêtées un jour mais cela prendra du temps, au moins dix ans ! Mais les Japonais ne veulent pas perdre ce qu’ils ont. Bien sûr dans les zones sinistrées les gens ont tout perdu, et c’est peut-être de là, autour de Fukushima, qu’un nouveau modèle sans nucléaire pourra peut-être voir le jour et se répandre dans le reste du pays.

Que doit faire l’écrivain dans une telle situation ?

H. F. : Le temps du roman est lent, écrire prend du temps, lire prend du temps, à la différence du journalisme, il faut penser l’écriture sur au moins vingt ans. Moi, en tant que citoyen, je m’exprime maintenant mais en tant qu’écrivain je veux écrire pour les enfants de Fukushima qui dans quinze ou vingt ans me liront, et leur donner la force et l’espoir pour avancer. J’ai fait les deux, j’ai déjà écrit après la catastrophe pour les gens de Fukushima mais je dois penser dans une autre dimension temporelle, lointaine."

soundtrack
Couverture : Yang Wang, Livingdance, 2010, Editions Séguier.

- Soundtrack (2003). Traduit en 2015 par Patrick Honnoré. Editions Philippe Picquer. 619 pages.

Ce roman commence par un chapitre "0".
"Le temps d'un clin d'oeil, son père avait quitté son champ visuel. Assis sur la banquette arrière du cruiser, le fils, six ans, chercha des yeux son père que la mer avait fait disparaître comme par prestidigitation. Il ne reverrait plus jamais le dos de celui qui tenait le volant. Le bateau qui avait soudain perdu tout contrôle commença à tourner sur lui-même." (page 5).
Ce jeune garçon, Touta, va se retrouver seul sur une petite île (dans l'archipel d'Osagawara) avec une autre naufragée (c'est le hasard) : Hitsujiko, une petite fille de quatre ans et demi.
Ils survivent, et ce d'autant mieux que le père de Touta avait appris à son fils à se débrouiller dans la nature.
Il y a des chèvres sur l'île, et Touta fabrique un harpon pour attraper des poissons.
Le temps passe tranquillement. À part ce que le courant peut leur apporter, les deux enfants vivent à l'écart de la civilisation.
Un jour la terre ondule : c'est un tremblement de terre.
"L'écorce terrestre était agitée de mouvements de plus grande amplitude que les vagues de la mer. Des rochers, c'est en principe ce qui symbolise la solidité du monde. Le séisme fut enregistré à 5+ ou 6- sur l'échelle sismique. Hitsujiko voulut s'agripper aux bras et au corps de Touta, mais elle s'était un peu éloignée pour ramasser des algues et quand elle se mit à courir, elle fut soudain projetée dans les airs. Elle ne tomba pas, mais pendant son étrange saut, son corps fit l'expérience de se sentir libéré des contraintes de la pesanteur. Pendant un instant, le temps de cette expérience de non-être, son corps et sa conscience se dissocièrent. En l'air, ses bras tournoyèrent, et Hitsujiko elle-même prit pour ainsi dire la forme d'une sphère." (page 25).
Hitsujiko sort changée de cette expérience : elle acquiert une sorte de pouvoir. Quel est-il ?
Regardons Hitsujiko par les yeux d'un des sauveteurs qui la récupère : "[...] la fille semblait comme indistincte, trouble. Il ne la quittait plus des yeux. Ses bras avaient l'air de trembler, ses jambes avaient l'air de trembler, mais rien que l'on puisse distinguer en détail. C'était comme lorsqu'on regarde un cheval courir au galop, on ne peut pas dire quel sabot touche le sol, quel sabot est en l'air, devant, derrière, gauche ou droite, rien n'est clair. Eh bien là non plus, ce n'était pas clair. Il sentit une émotion monter en lui. Rien de logique à cela, mais il se sentait coupable. Quelque chose lui était reproché par cette fille, Hitsujiko, enfin, pas tant par elle que par ses mouvements. Des mouvements des bras qui hachaient l'espace pour produire du sens. Il n'avait jamais vu ça, et cela lui faisait un tel effet qu'il ne pouvait détourner les yeux, fasciné.
L'impression d'avoir quelque chose à se reprocher ne disparut pas. Pénitence, s'entendit murmurer le fonctionnaire, sans s'expliquer pourquoi. Il faut que je fasse pénitence, oh oui !
" (page 38).
Que va-t-elle faire de cette capacité encore un peu floue pour le lecteur ?

Nous sommes alors en 1997. Le roman va se dérouler sur plusieurs années, jusque dans le futur par rapport à la date d'écriture du roman (2003)... ces années correspondent maintenant à une époque de notre passé. Cela crée un effet de réalité alternative très étrange. En effet, dans le monde du roman, Tokyo s'est "tropicalisé" à cause du réchauffement climatique : il n'y a plus de saisons. La faune et la flore évoluent , des maladies font leur apparition... Les moustiques se multiplient (alors que je lisais un passage qui en parlait dans le métro parisien, un moustique s'est justement posé sur ma page... était-ce un présage ?).
Les immigrés, pardon, les "
personnes nouvellement autochtones" (page 165), encore appelées les "Libanais" sont très nombreux et forment une main-d'oeuvre peu onéreuse exploitée par l'économie japonaise ; le corollaire est bien sûr aussi une montée du nationalisme.

Le roman baigne dans une atmosphère de fin du monde, ou du moins de fin du monde que l'on connaît.
Le lecteur va suivre les trajectoires de plusieurs personnages : Touta, insensible à la musique, Hitsujiko, dont la danse a des effets étranges sur les gens ; mais aussi Leni, un (ou une ; on verra pourquoi dans le livre) "Libanais(e)" qui va combattre un peuple mystérieux, "Ceux du Talus", avec les images sans musique filmées par une caméra ; un corbeau...
Au fil des chapitres, on passe d'un personnage à l'autre, sans logique évidente : ce n'est pas une pure alternance comme on peut par exemple en trouver dans beaucoup de livres de Murakami Haruki (entre autres). De plus, la plupart des livres de Murakami Haruki sont ancrés dans un réel qui dévie dans des détails. Ici, c'est le monde qui arrive en bout de course, le Tokyo tropicalisé diverge sensiblement du monde réel.
On notera que l'on trouve le thème des chiens soldats (page 508), que l'on retouvera dans Belka (écrit quelques années plus tard).

Comme à son habitude, l'écriture de Furukawa n'est pas léchée. Sa voix est toujours présente, comme s'il nous racontait l'histoire. Pour renforcer cette impression orale, il utilise des onomatopées, par exemple : "Sluuurp...[...] Et franchement, je ne vois pas comment en donner une meilleure image que par l'onomatopée « sluuuurp »." (page 282) ; "Et paf ! Ils la voient danser." (page 451)

Rarement, dans un livre, on aura vu une telle différence de taille entre des chapitres. 100 pages pour le chapitre 0 de la deuxième partie (qui n'est même pas appelée "partie", on passe du chapitre 17 au chapitre 0 après une page blanche), 5 lignes pour le chapitre 2.
Pourquoi un chapitre 0, et pas commencer au chapitre 1 ? "La vie peut repartir de zéro." (page 581).

Parfois, le livre est un peu long, notamment les descriptions géographiques (par exemple, page 465). Mais je suppose que cela "parle" plus au lecteur japonais qu'au lecteur français qui ne maîtrise pas la topographie tokyoïte. De façon générale, Furukawa aime beaucoup la précision. "Passée la passerelle piétonne, le pont Furukawa, le pont Kamon, le pont Hanamizu, il se dirigeait vers l'avenue Mejiro" (page 579). Tiens, on trouve ici un pont qui a le nom de l'auteur !

C'est un bon roman original, dans lequel on trouve de l'anticipation - sociale et climatique -, mais aussi des peuples et des légendes (notamment lié au chamanisme) venus de très loin dans le passé (la rencontre des deux dynamitant en quelque sorte le présent).
Il très touffu, ce n'est pas un roman tranquille ; il laisse des impressions assez fortes, liées à certaines scènes. Le sens de l'histoire n'est pas très clair, mais on imagine que, au-delà d'un sens "premier", il y a beaucoup d'autres niveaux de sens ; on peut par exemple en trouver un lié aux différentes formes d'arts : on voit l'effet quasiment magique que les images filmées ont sur les gens - la force pure des images du cinéma du temps du muet - , ou encore celui des images "réelles" via la danse... (les deux ayant finalement la même force), tout ceci raconté par l'intermédiaire de mots écrits sur du papier, donc sans musique et sans images mouvantes... mais ces mots sont écrits dans un style oral (on peut aussi se poser des questions sur les multiples interprétations possibles du titre du livre)...

On pourra lire les 55 premières pages sur : http://www.editions-picquier.fr/catalogue/fiche.donut?id=1007&cid=

 

Autres oeuvres :
- Treize (Jusan, 1998). Le premier roman de Furukawa Hideo.
- Silence (Chinmoku, 1998). Roman.
- Abyssinian (2000).
- La Tribu des Mille et une nuits (Arabia no yoru no shuzoku, 2002). Prix de la Société des Auteurs de Romans Policiers et Grand Prix Japonais de la S-F.
- Love (2005). Roman. Prix Yukio Mishima.
- Rock'n roll (2005). Roman
- Route 350 (2006). Recueil de nouvelles.
- Bokutachi wa arukanai (2006)
- Summer Vacation EP (2007).

 

Adaptations au cinéma :
- Film à venir réalisé par Nakamura Yoshihiro, d'après une nouvelle d'Isaka Kôtarô.





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