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QUIGNARD Pascal

(Verneuil-sur-Avre, 23/04/1948 - )

pascal quignard

Pascal Quignard est un écrivain romancier, essayiste, mais aussi musicien (violoncelle, piano, orgue)...
Fils d'un proviseur et d'une principale de collège, il a eu une enfance difficile : anorexie, crises d'autisme (à 18 mois et à 16 ans) :

"J'ai été un peu autiste à deux reprises et ce ne fut pas pure folie. La première fois, c'est mon oncle, le petit frère de ma mère revenu de Dachau, qui m'a réappris à parler et à manger. Il a eu l'idée de me donner à sucer un bâton de réglisse qui avait l'apparence d'une branche. J'étais, je suis doué pour cet état d'enroulement euphorique propre à l'infans, pour cet état qui n'est pas un état social, qui dure neuf mois intra-utérin puis dix-huit mois atmosphérique. Dire que nous sommes des êtres de langage, comme le fait la société, est profondément faux. Et ne pas être doué pour le langage, c'est répondre à plus originaire. Nous ne sommes pas des êtres parlants, nous le devenons." (extrait d'une interview accordée à Lire, 09/2002 : http://www.lire.fr/entretien.asp/idC=43001&idTC=4&idR=201&idG ).
Extrait de Lire, 02/1998 :
"Comment peut-on se taire à dix-huit mois? En pleurant?
P.Q. En refusant d'apprendre à parler, en refusant de manger. Toutes ces choses-là, j'en parlerai, mais pas maintenant... Ce silence, c'est sans doute ce qui m'a décidé à écrire, à faire cette transaction : être dans le langage en me taisant. Ce que le langage oral ne peut dire, voilà le sujet de la littérature. La lecture aussi, c'est être dans le langage en se taisant. Vous ne pouvez pas savoir quelle joie la lecture me procure, une joie constante qui ne peut pas être amoindrie. S'envoler hors du temps, hors du monde, hors du pouvoir, chuchoter d'entente avec un autre, même à trois mille ans de distance, même dans une autre langue. Je suis claustrophobe, alors, pour moi, il n'y a pas d'espace qu'on ne puisse explorer. Lire et être curieux, c'est la même chose. On comprend des choses extraordinaires de profondeur en lisant, on se retrouve de connivence avec des civilisations très lointaines. Je n'ai pas dit qu'on comprenait la vérité, mais on comprend des choses. Pour moi, c'est extatique, comme la musique." (http://www.lire.fr/entretien.asp?idC=33597&idR=201&idTC=4&idG= ).

Il a étudié la philosophie avec Emmanuel Levinas et Paul Ricoeur de 1966 à 1968.

Il a publié différents essais, des romans (Le Salon du Wurtenberg, Les Escaliers de Chambord) qui lui donnent une certaine notoriété, amplifiée par le roman Tous les Matins du Monde - et son adaptation cinématographique.

Toutefois, mis à part quelques romans, il faut bien dire que Pascal Quignard n'est pas facile à lire. Il a une immense culture (antique, musicale...) et aime les formes courtes, denses, concises. Le lecteur doit faire un effort pour comprendre ce qui est suggéré, ou évoqué. Et lorsque le lecteur comprend tout, chaque mot, il y a quand même à réfléchir sur les implications qu'entend l'auteur. Exemple au hasard : "Il y a dans toute musique préférée un peu de son ancien ajouté à la musique même." (extrait de La haine de la musique, folio, page 23).

Pascal Quignard a été secrétaire général de Gallimard de 1990 à 1994, date où il se consacre exclusivement à la littérature :
"Il a fallu plusieurs années avant que ma lettre de démission aux éditions Gallimard datée de 1994 prenne véritablement effet en moi, que le tribunal des autres me quitte. Et ce n'est qu'avec la mort de mon père que tout regard, définitivement, a dégringolé de mes épaules. " (Interview à Lire, 09/2002).

La musique et le langage,
la vie et la mort, l'errance et le détachement sont au coeur de son oeuvre, souvent fragmentée, et dont les genres sont décloisonnés.

A propos de la musique : "Le corps est pris, convoqué par la musique. Il y a un ici mystérieux dans la musique qui n'existe pas dans le langage. Pour autant, j'aime bien la théorie de Claude Lévi-Strauss. Pour lui, la musique, qui suppose le langage chez l'homme, le détruit. Pourquoi? parce qu'elle est un langage dépourvu de signification. Cela veut dire qu'il n'y a aucune différence entre écrire un livre silencieux et faire de la musique. Dans les deux cas, vous détruisez le langage signifiant commun. Un livre doit être un morceau de langage déchiré, un morceau que l'on arrache à la parole." (interview à Lire, 09/2002).

A propos du sens dans la vie : "Je déteste qu'on attende du réel quelque chose comme un sens. C'est déjà une façon de tricher avec le monde. L'altérité me paraît bien plus proche de ce que la vie offre à vivre que cette question. Le sens, c'est toujours orienter l'action ou le temps dans une seule direction imposée par un groupe qui se considère comme le meilleur. Réclamer du sens, c'est faire surgir un monde trop sémantique, trop orienté, c'est faire de l'autre en tant qu'être différent un ennemi, c'est vouloir l'exterminer. Tandis que prôner un monde uniquement anxieux de l'autre, c'est une façon d'accueillir un réel bien plus dynamique. Les sociétés perdues et perplexes ne posent pas de problème. Apporter du sens, c'est se boucher la vue. Si l'on vit avec quelqu'un que l'on aime, si on lui dit: «C'est pour ça que je t'aime, voilà le sens de mon amour», il faut fuir car c'est déjà de la trahison. On n'est pas pour une raison avec quelqu'un, on est face à lui, face à son étrangeté. Le fait de se réunir sur ce qu'on ignore de l'autre est pour moi bien plus important que de prétendre connaître quelque chose de l'autre." (Lire, 02/1998).

En 1997, Pascal Quignard a été hospitalisé pour un problème cardiaque.

En 2000, Terrasse à Rome a obtenu le Grand Prix de l'Académie Française .
Les Ombres errantes a lui obtenu le Prix Goncourt en 2002, et a suscité la polémique : contrairement à l'habitude, il ne s'agit pas d'un roman (mais rien n'oblige à ce que l'ouvrage couronné soit un roman) et Pascal Quignard était déjà un auteur consacré. Quelque chose comme 106 000 exemplaires ont été vendus (à titre de comparaison, Rouge Brésil, de Jean-Christophe Ruffin, s'est vendu à 500 000 exemplaires ; Trois jours chez ma mère, de François Weyergans : 350 000). Mais combien ont été lus ?

Les Ombres errantes est le premier volume de Dernier Royaume, cycle ou oeuvre qui en comprendra "Dix, quinze, vingt, je ne sais pas. Vraiment. Et je ne souhaite pas que mes propos me lient. Ce qui est certain, c'est que je mourrai dans ce Dernier royaume. "

On trouvera plus d'informations biographiques sur wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Quignard


villa amalia

- Villa Amalia (2006). Gallimard, 298 pages.
Ann Hidden est une compositrice de musique "contemporaine". Elle compose des oeuvres courtes, qu'elle réduit au maximum et arrête brusquement.
Elle concentre la musique, comme Quignard concentre souvent ses textes.
Elle vit depuis de nombreuses années avec un homme. Un jour, elle se rend compte qu'il la trompe, ou du moins c'est ce qu'elle croit voir. Au même moment, elle rencontre un ami d'enfance.
Elle décide de disparaître, et de faire disparaître sa vie, telle qu'elle la vivait jusqu'alors. Et aller ailleurs, voyager léger.
C'est cette tentative bien organisée, ce processus d'abord minutieux, que décrit le roman, ou du moins le livre qui a, globalement, la forme d'un roman.

Le processus de vieillissement, la mort à l'oeuvre, qui arrive de manière attendue ou non, est une des composantes du roman. Ainsi, Ann va voir sa mère, en Bretagne :
"
Il y a une extrême tendresse répugnante, excessive, malodorante, osseuse, chez les vieilles gens. Elles vous prennent dans leurs bras. Leur étreinte à elles-mêmes fait mal - tandis que les os, leur légèreté, leur finesse, poils hirsutes, épingles, bracelets vous piquent." (page 53).
"
De même que certains animaux abusent leurs prédateurs ou leurs congénères ou leurs concurrents par leur forme de plantes ou leur immobilité, dissimulée dans des oreillers et sous ses couvertures, elle cherchait à égarer la mort." (page 152).

La mère, Bretonne catholique, a élevé seule ses enfants depuis que le père, un musicien juif, est parti alors qu'Ann était encore enfant. La mère attend son retour.
A chaque fois que sa fille vient lui rendre visite, puis repart, elle lui fait des reproches.
"
- Je m'en vais, lui dit Ann.
Sa mère hoche la tête.
La fille se penche pour l'embrasser.
La mère retire son visage.
- Je t'appelle, dit Ann sans l'embrasser.
[...]
- Vas-y, je te dis, ma fille. Abandonne-moi.
" (page 154).

"
Elle n'était plus jeune ; la vie se faisait de plus en plus intérieure au fond de son corps." (page 279).

Mais il n'y a pas que la mort dans le roman, il y a aussi l'Italie, la mer, le ciel infini, la chaleur pesante.
Ann se rend en Italie, à Ischia, près de Naples. Elle est dans un hôtel, c'est la nuit. "
Fatiguée, poussant du front le rideau de la fenêtre, faisant peser tout son corps sur son front et tout son front contre la vitre, elle observait la baie dans la nuit, la baie merveilleuse, avec si peu de lumières, si antique.
Elle éprouva une joie sourde.
[...]
Elle enfila le peignoir blanc de l'hôtel. Elle fit glisser la porte-fenêtre, elle avança sur la terrasse qui donnait sur la mer.
Elle se cala, toute frissonnante, contre le bord du fauteuil en fonte.
Il était entre deux heures du matin et trois heures.
Une ligne de lumière soudain se mit à luire à l'autre bout de la baie. Le soleil se levait sur Sorrente. Le début du jour fut sublime. Elle marcha tout le reste de la matinée dans les chemins de l'île.
" (pages 115-116).

Elle, qui fuit, veut connaître les gens, savoir ce qui se cache : "
Elle était curieuse de tout ce que pouvaient dissimuler un muret ou une palissade. [...] Elle était curieuse des moeurs des gens dans l'aube, des premiers gestes où le ton de la journée se décide, le plafonnier de la cuisine qui s'allume, le chien auquel on ouvre la porte pour qu'il rentre, les gens qui se vêtaient, qui se passaient un coup de peigne, qui reculaient soudain devant leur miroir pour s'y surprendre." (pages 119-120).

L'hôtel, ça va un temps...

"
Elle prit conscience que la vie d'hôtel commençait à lui peser." (page 125).
Elle visite une grande villa.
"
Mais elle détesta cette propriété splendide, au confort universel, admirablement faite pour les touristes qui ne désiraient qu'être nulle part, dans l'absence de douleur, à la limite de la mort qu'ils appelaient vacances." (page 125)
La Villa Amalia, elle, est différente.
"
Abritée dans la roche, la villa dominait entièrement la mer.
A partir de la terrasse la vue était infinie.
Au premier plan, à gauche, Capri, la pointe de Sorrente. Puis c'était l'eau à perte de vue. Dès qu'elle regardait elle ne pouvait plus bouger. Ce n'était pas un paysage mais quelqu'un. Non pas un homme, ni un dieu bien sûr, mais un être.
Un regard singulier.
Quelqu'un. Un visage précis et indicible.
" (page 129).
"
Une espèce de pluie lumineuse enveloppait la maison. C'était quelque chose d'immatériel, légèrement opaque, comme un brouillard de lumière, comme la substance élevée et granulée de l'air." (page 133).
"
La lumière de la baie de Naples est peut-être la plus belle qui puisse se voir en ce monde. Tout sentait l'eau et ressemblait à l'eau, les minuscules vagues lointaines sans cesse éveillées, la marée de la lumière, la terre du jardin redevenue fraîche, retournée par elle en petites vagues courtes, brunes et noires, à coups de bêche, après chaque averse." (page 161).

Il peut faire très chaud :
"
Il fit si extraordinairement chaud que les serpents sortirent de leurs nids et gagnèrent l'ombre, la cour, la margelle de l'eau chaude.
Les araignées gagnèrent l'obscurité et la fraîcheur sous les lits.
Les hommes, la nuit, la peur, le souvenir.
" (page 202).


Il y a le plaisir d'être seul : "
Elle réapprit à se retrouver sans homme, sans rien à préparer, sans avoir à se laver, sans avoir à se vêtir avec soin ni avec goût ni avec attention, sans se maquiller, sans se coiffer. Le plaisir de s'effondrer dans un fauteuil, d'allumer une cigarette merveilleuse et de fermer les yeux sans que personne crie, ne bourdonne au loin, ne s'approche, ne vous parle, ne commente le temps, le jour, ni l'heure qui passe, ne vous tourmente." (page 160).
Mais ce plaisir est tempéré plus loin : "
Il y a un plaisir non pas d'être seule mais d'être capable de l'être." (page 295).


Il y a également de très belles pages sur la musique, avec laquelle Pascal Quignard semble réconcilié (depuis La haine de la musique en 1996."L'expression Haine de la musique veut exprimer à quel point la musique peut devenir haïssable pour celui qui l'a le plus aimée.", page 199, folio).

Ann (ou encore Anne, ou encore Eliane... et son nom n'est même pas le vrai... pour quelqu'un qui se fuit, comme son père a fuit la maison, cela doit être très signifiant, ainsi évidemment que le nom "Hidden") a un choc musical, enfant, lorsqu'elle entend son père et son grand-père participer à un quatuor qui se réunissait chez eux pour jouer, à l'étage du grand-père.
"
Je fonce dans l'escalier, je fonce sur le parquet noir du couloir, je ne sais plus quel est le motif, je ne sais plus quel peut bien être le défi, j'ouvre la porte. Ils étaient tous les quatre en train de jouer. Cela faisait un bruit intense. Plus fort que l'océan. Je n'avais jamais rien entendu d'aussi fort.[....] Mon grand-père avait le visage couché sur le violon.[...]. Personne ne m'avait entendu entrer. Ils jouaient quelque chose d'incroyablement rapide. Ils jouaient une oeuvre bouleversante. Je pense maintenant que c'était du Schubert.
Une jeune gemme très belle, au violon, les yeux grands ouverts, face à moi, ne me voyait pas. Elle me souriait mais elle ne me voyait pas.
C'était une tristesse trop grande, vertigineuse, qui ne cessait pas, qui même s'accroissait.
Tristesse trop grande même s'il n'y a jamais de tristesse trop grande pour les petits. Les petits connaissent les terreurs qui sont les premières, les terreurs princeps, celles qui sont sans référence dans l'expérience, qui plus jamais ne se retrouvent sur leur chemin. Les pires. Les tristesses abyssales.
" (page 169).
"
Soudain la musique s'élevait.[...] Tellement plus forte qu'elle peut l'être quand on écoute des disques et que spontanément on baisse le volume de la chaîne parce qu'on espère diminuer l'émotion qu'on va ressentir." (page 170).

"
- Le monde intérieur s'ouvrit ainsi en moi. Par cette ouverture obscure mon corps prit l'habitude de passer, quitter la terre, quitter l'espace externe." (page 171).

Même la musique permet de fuir.


L'écrivain Quignard est toujours là, il y a parfois des réflexions qui sont manifestement de lui : "
Qu'est-ce qu'un homme sentimental ? Quelqu'un qui adore ne pas manger seul." (page 47).
Il arrive que le livre se transforme en fragments, à la limite entre la narration et la pensée.


Un très bon livre - un moment un peu déroutant dans sa troisième partie - intelligent, très bien écrit, vraiment très beau.



Autres livres :
Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Quignard#Bibliographie

Au cinéma :
-
Tous les matins du Monde (1991), très beau film d'Alain Corneau. Scénario et dialogues de Pascal Quignard.
- Une pure formalité (1994), film réalisé par Giuseppe Tornatore (Cinéma Paradiso...). Pascal Quignard signe les dialogues avec Giuseppe Tornatore.
- L'Amour conjugal (1995), film réalisé par Benoît Barbier. D'après le livre de Pascal Quignard, l'Amour conjugal (1994).
- Le Nouveau Monde (1995), film d'Alain Corneau, d'après L'Occupation Américaine. Pas le meilleur film du réalisateur...

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