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Georges PEREC

(Paris 19°, 07/06/1936 - Ivry sur Seine, 03/03/1982)

georges perec

"Georges Perec est un écrivain et cruciverbiste français né le 7 mars 1936 à Paris et mort le 3 mars 1982 à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Membre de l'Oulipo à partir de 19671, Perec fonde ses œuvres sur l'utilisation de contraintes formelles, littéraires ou mathématiques, qui marquent son style.

Il se fait connaître dès son premier roman, Les Choses : Une histoire des années soixante (Prix Renaudot 1965) qui restitue l'air du temps à l'aube de la société de consommation. Suivent, entre autres, Un homme qui dort, portrait d'une solitude urbaine, puis La Disparition, où il reprend son obsession de l'absence douloureuse. Ce premier roman oulipien de Perec est aussi un roman lipogrammatique (il ne comporte aucun « e »). Paraît ensuite, en 1975, W ou le Souvenir d'enfance, qui alterne fiction olympique fascisante et écriture autobiographique fragmentaire. En 2012 paraît le roman Le Condottière dont il avait égaré le manuscrit en 1966 pendant un déménagement et qui ne fut retrouvé qu'en 1992, dix ans après sa mort.
La Vie mode d'emploi (prix Médicis 1978), dans lequel Georges Perec explore de façon méthodique et contrainte la vie des différents habitants d'un immeuble, lui apporte la consécration.[...]

Perec meurt d'un cancer des bronches le 3 mars 1982 à l'hôpital Charles Foix à Ivry-sur-Seine et ses cendres reposent désormais au columbarium du cimetière du Père-Lachaise à Paris." (merci Wikipedia)

 

 

le condottière
Photographié le 22 mai 2012 dans l'église Notre-Dame de Dijon, devant une fresque attribuée à un peintre de l'entourage de Van der Weyden... à moins qu'il ne s'agisse d'une oeuvre de Gaspard Winckler ?

- Le Condottière. 203 pages. La Librairie du XXI° siècle. Seuil. Préface de Claude Burgelin.
Georges Perec s'est vu refusé la publication du Condottière en 1960. A la suite d'une erreur (il a jeté la mauvaise valise), il pensait avoir perdu le texte du roman, "le « premier roman abouti que je parvins à écrire », dit-il dans W ou le souvenir d'enfance.", introduction, page 8). Au début des années 1990, David Bellos enquête pour écrire une biographie de Perec. Il retrouve les doubles de certains textes que l'on pensait définitivement perdus, dont Le Condottière.

Le roman commence ainsi :
"Madera était lourd. Je l'ai saisi sous les aisselles, j'ai descendu à reculons les escaliers qui conduisaient au laboratoire. Ses pieds sautaient d'une marche à l'autre, et ces rebondissements saccadés, qui suivaient le rythme inégal de ma descente, résonnaient sèchement sous la voûte étroite. Nos ombres dansaient sur les murs. Le sang coulait encore, visqueux, suintait de la serviette-éponge saturée, glissait en traînées rapides sur les revers de soie, se perdait dans les plis de la veste, filets glaireux, très légèrement brillants, qu'arrêtait la moindre rugosité de l'étoffe, et qui perlaient parfois jusqu'au sol, où les gouttes explosaient en tachetures étoilées." (page 33).
On sent qu'il a peaufiné le début, c'est quasiment "sur-écrit".

Le narrateur, Gaspard Winckler, a tué Madera. Il n'est pas dans une très bonne situation...
"Il allait mourir. L'idée le rassurait comme une promesse. Il était vivant, il allait être mort. Et puis après ? Léonard est mort, Antonello est mort et moi-même je ne me sens pas très bien. Une mort bête. Victime des événements. Victime d'une malchance, d'une maladresse, d'une faute." (page 38).
C'est censé être sérieux (la situation est grave), mais en même temps c'est humoristique ("je ne me sens pas très bien")... en fait, on n'y croit pas vraiment...

Mais continuons.
Gaspard Winckler est faussaire de profession. Officiellement, il est restaurateur d'art.
"Il avait derrière lui la plus prestigieuse des carrières. Un Vinci, sept Van Gogh, deux Rubens, deux Goya, deux Rembrandt, deux Bellini. Une cinquantaine de Corot, une douzaine de Renoir, une trentaine de Degas, exportés massivement en Amérique du Sud et en Australie en 1930 et 1940, des Metsys et des Memling et de véritables tombereaux de Sisley et de Jongkind, entre 1920 et 1925, au début de son association avec Rufus et Madera." (page 89).
Qu'est-ce qui l'a poussé à tuer ledit Madera ?
"En rentrant de Paris, j'ai décidé de travailler d'une nouvelle façon. Jusqu'alors, j'avais toujours travaillé comme n'importe quel faussaire, comme Van Meegeren, Icilio ou Jérôme [le "maître" de Winckler]. Je prenais trois ou quatre tableaux de n'importe qui, je choisissais un peu partout des éléments, je remuais bien, et je construisais un puzzle. Mais pour Antonello, ça ne marchait pas. Au départ, si tu veux, j'avais quelques idées préconçues, celles que donne une connaissance sommaire d'Antonello : la rigidité, l'exactitude quasi maniaque, la sécheresse des décors, la distribution des manières beaucoup plus flamandes qu'italiennes et, si l'on veut, une admirable maîtrise du sujet, ou, plus exactement encore, une peinture de la maîtrise. Aucune ambiguïté, aucun balancement dans les regards et dans les gestes, un équilibre et une force constamment affirmés. [...] mais le Condottière est à peu près le seul portrait aussi fort d'Antonello. Les autres sont toujours en deçà, un peu plus neutres, un peu plus mièvres ; je n'avais aucun point de départ pour un puzzle ; j'avais un portrait, un seul, et les autres, à côté de lui, n'étaient guère que comme des esquisses, des préparations. Ça annonçait le Condottière et c'est tout." (pages 123-124).

On trouve, bien avant La Vie mode d'emploi, la fascination du puzzle.
le condottière    portrait d'un homme  portrait (1472-1473)  portrait (1473-1474)  portrait      portrait 1475-1476  portrait   portrait

Quelques portraits d'Antonello da Messina (1430-1479) :
1/ Tout d'abord, Le Condottière (1474-1476), Musée du Louvre ;

Portraits antérieurs au Condottière :
2/ Portrait d'homme (1473), National Gallery, Londres. On ne peut quand même pas dire qu'il soit mièvre.
3/ Portrait de jeune homme (vers 1472-1473), Musée Thyssen-Bornemisz, Madrid ; 4/ Portrait de jeune homme (1473-1474), Philadelphia Museum of Art ;
5/ Portrait de jeune homme (1474), Staatliche Museen, Gemäldegalerie, Berlin.

Portraits postérieurs au Condottière :
6/ Portrait d'homme (1475-1476), Galerie Borghèse, Rome ; 7/ Portrait d'homme (1476), Museo Civico di Arte Antica, Turin ;
8/ Portrait de jeune homme (1476-1477), Staatliche Museen, Gemäldegalerie, Berlin.

(pour la totalité de ces oeuvres, les magnifiques Saint Jérôme dans son cabinet d'étude et La Vierge de l'Annonciation, la très belle Pietà, voir sur la page de wikipedia consacrée à la liste des oeuvres d'Antonello)

"Pour peindre un Condottière, il faut savoir regarder dans la même direction que lui... Tu cherchais cette victoire immédiate, ces signes distinctifs de l'omnipotence, ce triomphe. Tu cherchais ce regard clair comme une épée, tu oubliais qu'un homme, avant toi, l'avait trouvé, en avait rendu compte, l'expliquant parce que le dépassant, le dépassant parce que l'expliquant. Dans un même mouvement. La peinture triomphale ou la peinture du triomphe ? Tu te laissais avoir par cette gueule de vache, cette admirable tête de salaud, cette sensationnelle binette de truand. Mais il te fallait faire renaître, dans leur simplicité et dans leur force, les rapports - singulièrement simplifiés du reste - que ce personnage, guère plus à tout prendre qu'un barbare mal dégrossi, se payait le luxe d'avoir avec le monde. Pouvais-tu le comprendre ? Pouvais-tu comprendre que ce colonel mercenaire ait l'idée de se faire tirer le portrait par l'un des plus grands peintres de son temps ? Pouvais-tu admettre qu'au lieu d'un débraillé gueulard - le pourpoint dégrafé, les aiguillettes à la diable -, il ne fût revêtu que d'une tunique admirablement anonyme, sans autre ornement qu'un bouton de nacre à peine apparent ? Pouvais-tu comprendre cette absence de colliers, de médailles, de fourrures, ce col à peine apparent, cette absence de plis dans la tunique, cette exceptionnelle rigueur de la toque ? Comprenais-tu que cette sécheresse, cette sobriété de la tenue, avait pour conséquence immédiate qu'elle laissait au visage seul le soin de définir le Condottière ? C'est bien de cela qu'il s'agissait. Les yeux, la bouche, la petite cicatrice, la contraction des muscles de la mâchoire à eux seuls exprimaient parfaitement, sans la moindre ambiguïté, la position sociale, l'histoire, les principes et la méthode de ton personnage..." (pages 128-129).
meegeren
Le repas d'Emmaus, de Van Meegeren (un faux Vermeer), regardé par Dirk Hannema, alors directeur du musée Musée Boijmans Van Beuningen (Rotterdam) et Hendrik Luitwieler, restaurateur. Photo Frequin, 1938. Ils ne savent pas qu'ils contemplent un faux...

Perec ne peut pas s'empêcher de faire quelques blagues bon enfant : "Un bon Titien vaut mieux que deux Ribera." (page 81; si on lit trop vite, on risque de ne pas remarquer la blague), "Tu n'étais bon qu'à faire des faux" (page 104), et un peu de provocation : "Entre faire des faux Chardin et faire des vrais Vieira da Silva, je préfère encore faire des faux Chardin." (page 138).

La quatrième de couverture parle de "roman policier", ce que le livre n'est pas. Les motivations de Gaspard Winckler sont vite éclaircies.
L'essentiel du livre, c'est l'interrogation sur la vie d'un faussaire, ce qu'est ou peut être une oeuvre de faussaire, et plus généralement comment on peut faire du neuf avec du vieux (et on sait à quel point les emprunts, citations, etc., ont nourri l'oeuvre de Perec, permettant effectivement de se nourrir de vieux pour faire du neuf).

La première moitié du roman est franchement très lourde. Passages du "je" au "tu" et vice-versa, longs, très longs passages dans lesquels le jeune Perec se regarde écrire, parfois un peu dans le genre "nouveau roman"... et on s'ennuie. Puis, il y a parfois de bonnes phrases, et finalement de bonnes pages, au milieu de pages qui font du surplace à force de tourner à vide.
Le plus intéressant, c'est quand Perec parle de peinture.
"Le Condottière ne bouge pas : on ne peut rien pressentir, on ne peut rien imaginer, on ne peut rien ajouter à sa présence. Le Melanchton de Cranach balance entre l'intelligence d'un regard, la finesse d'un sourire, la fermeté des mains : tel est le politique ; l'homme de Memling est un sanglier qui prie, une chevelure hirsute, un coup large. Le Robert Cheseman de Holbein n'a que la morgue d'un seigneur, le luxe lumineux du costume, la simple intelligence du veneur. Le Condottière est toujours plus que cela. Il les regarde tous les trois. Il pourrait les mépriser, secrètement ou ouvertement. N'importe lequel d'entre eux, un jour ou l'autre, pourra avoir besoin de lui. Il ne les méprise pas, ce serait déjà s'abaisser et sa position est trop forte [...]" (pages 178-179).
melanchthon   memling   holbein
1/ Cranach l'Ancien, Philipp Melanchthon. 1543. Galleria degli Uffizi (il existe plusieurs portraits de Melanchthon par Cranach).
2/ Memling, Portrait d’un homme à la monnaie. 1473. Anvers, Koninklijk Museum.
3/ Holbein le Jeune : Portrait de Robert Cheseman. 1533. Mauritshuis, La Haye.

Le Condottière est une oeuvre bancale, à l'histoire assez faible, il faut bien le dire, et aux longueurs très nombreuses. Mais il a un intérêt indéniable : en plus de bons passages, quand on a dans la tête Un Cabinet d'Amateur, La Vie mode d'emploi, Un Homme qui dort, etc., on voit d'où vient Perec, et à quel point certaines obsessions étaient présentes dès le début.
A noter, également, que la préface de Claude Burgelin est intéressante, mais suppose que l'on connaît déjà les oeuvres principales de l'auteur. Du coup, il mentionne des éléments de certains livres qu'on pourrait aimer ne découvrir qu'en lisant les livres en question.

Ce n'est donc vraiment pas le roman par lequel aborder Perec, il vaut même mieux déjà beaucoup l'apprécier avant de lire ce livre.


Annexe :

Deux faussaires dont il est fait mention plusieurs fois dans Le Condottière : Van Meegeren et Icilio Federico Joni.

meegeren   autoportrait
A gauche, photo de Han Van Meegeren à son procès (il a 57 ans). A droite, son autoportrait, alors qu'il avait à peu près 35 ans.

Quatre oeuvres de Van Meegeren : trois faux Vermeer et un faux Frans Hals :
meegeren       musique     emmaus  hals
1/ Portrait de femme assise à son bureau (1935-1936) ; 2/ Portrait de femme jouant du luth (vers 1933 ; Rijksmuseum). Ces deux toiles, très proches de tableaux connus, ont été retrouvées non vendues dans la maison de Van Meegeren après guerre.
3/ La troisième toile, Les Disciples d'Emmaus (1936), est une oeuvre plus "originale", puisqu'il n'existe pas de vrais Vermeer connus sur des thèmes religieux.
4/ Un faux Frans Hals, car si les faux Vermeer sont les oeuvres les plus connues de Van Meegeren, il ne s'y cantonnait pas.

On pourra faire un petit quizz : "Vermeer ou Meegeren", sur http://reverent.org/vermeer_or_meegeren.html
On pourra aussi voir la petite vidéo ci-dessous.

Icilio Federico Joni (Sienne, 1866-1946) est moins connu. Son créneau à lui, c'était les peintres moins renommés (Sano di Pietro...), ou des oeuvres mineures de grands peintres. Il a écrit une biographie qui brosse un vaste panorama de la vie provinciale de l'Italie à la fin du XIX° siècle (source : http://www.answers.com/topic/i-cilio-f-ederico-joni )

Trois faux de Icilio Federico Joni :
madonna   christ   triptyque
1/ Madonne et enfant, dans le style de Pietro Lorenzetti ; 2/ Christ de douleur entre deux personnes, dans un style proche de Mantegna. ; 3/ Triptyque, dans le style du XV° siècle.
On trouvera plus de reproductions sur : http://www.falsidautore.siena.it/w2d3/v3/view/falsidautore/pagine/sezioni/tre/index_en.html
Sur le même site, on y trouvera aussi des oeuvres d'un autre faussaire, Umberto Giunti, sans doute l'auteur d'un fameux Boticcelli, la Madonne au Voile (probablement peint entre 1920 et 1929 ; acheté par la National Gallery en 1930 ; quatre ans plus tard, le nouveau directeur trouvait que la Madonne avait "un charme particulier, comme une star de film muet", et même qu'elle ressemblait à Jean Harlow. Après guerre, des tests ont pu montrer qu'il s'agissait bien d'un faux, et que les trous de vers du bois avaient été effectués à la perceuse... voir : http://chelseamia.corriere.it/2010/07/ et http://theartofcopies.wikispaces.com/The+Madonna+of+the+Veil%3B+Botticelli%2C+%3F)
madonne au voile

voyage d'hiver

- Le Voyage d'Hiver. 33 pages. La Librairie du XX° siècle. Editions du Seuil.
"C'est à l'occasion du numéro spécial consacré à Georges Perec que le Magazine Littéraire (n°193, mars 1983) a publié Le Voyage d'hiver, une nouvelle inédite parue dans le bulletin Hachette Informations n°18, mars-avril 18-1980.", est-il expliqué en fin du petit ouvrage (ce petit texte est également trouvable dans "Georges Perec, Romans & récits", La Pochothèque, et là, méfiance ! il ne faut surtout pas lire la première page en italique, qui sert de notice : elle raconte tout, dès la première phrase - même pas le temps de fermer les yeux - , c'est très triste et vraiment pas correct pour ceux qui auraient voulu ne pas savoir... cette notice aurait eu sa place en postface...C'est à croire que l'auteur de la notice a peur que, cette notice eût-elle été mise en postface, les lecteurs ne l'eussent point lue !).

C'est l'histoire d'un professeur de lettres, Vincent Degraël, qui passe quelques jours dans la propriété des parents d'un de ses collègues. "La veille de son départ, alors qu'il explorait la bibliothèque de ses hôtes à la recherche d'un de ces livres que l'on s'est promis depuis toujours de lire, mais que l'on n'aura généralement que le temps de feuilleter négligemment au coin du feu avant d'aller faire le quatrième au bridge, Degraël tomba sur un mince volume intitulé Le Voyage d'hiver, dont l'auteur, Hugo Vernier, lui était absolument inconnu, mais dont les premières pages lui firent une impression si forte qu'il prit à peine le temps de s'excuser auprès de son ami et de ses parents avant de monter le lire dans sa chambre." (pages 7-8).
A mesure qu'il lit le texte, Vincent Degraël a une impression de déjà lu... "comme le simple goût d'une gorgée de thé vous ramène tout à coup trente ans avant en Angleterre" (page 15)
Etonnant, non ?
Degraël va faire une découverte énorme...

Un court texte bien dans le style Perec, avec ses obsessions, son vertige.
Très bien.


 

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