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Honoré de BALZAC

(Tours, 20/05/1799 - Paris, 18/08/1850)

Balzac

Balzac. Daguerréotype de Louis-Auguste Bisson (1842).
"Comme on sait, les primitifs ont peur que l'appareil photo ne leur vole une part de leur être. Dans les mémoires qu'il publia en 1900, Nadar raconte que Balzac ressentait de même une « appréhension vague » quand il était photographié." (Susan Sontag, Sur la photographie)

Le plus grand romancier français.

On pourra trouver sa biographie, mieux que je ne saurais le faire, sur wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Balzac ).


eugénie grandet

Eugénie Grandet. 1833. Folio. Edition présentée, établie et annotée par Samuel S. de Sacy. 253 pages.
Le titre est Eugénie Grandet, mais le personnage agissant, c'est son père, un ancien tonnelier.
Comme le fait remarquer Samuel S. de Sacy, le père n'est pas un avare dans le sens de l'homme qui aime contempler son or de façon stérile, au début du roman. Car, même s'il aime le contempler, il préfère en gagner, il est prêt à se séparer d'une partie de son argent pour gagner plus. Son grand plaisir, c'est de tirer des ficelles, étudier la tendance des marchés, faire des coups. Et, bien sûr, ne pas gaspiller l'argent.

Ainsi, lui-même, sa femme, sa fille et la servante - Nanon - ne vivent-ils pas vraiment dans l'opulence.

"Quand Nanon avait lavé sa vaisselle, serré les restes du dîner, éteint son feu, elle quittait sa cuisine, séparée de la salle par un couloir, et venait filer du chanvre auprès de ses maîtres. Une seule chandelle suffisait à la famille pour la soirée. La servante couchait au fond de ce couloir, dans un bouge éclairé par un jour de souffrance. Sa robuste santé lui permettait d'habiter impunément cette espèce de trou, d'où elle pouvait entendre le moindre bruit par le silence profond qui régnait nuit et jour dans la maison. Elle devait, comme un dogue chargé de la police, ne dormir que d'une oreille et se reposer en veillant.
La description des autres portions du logis se trouvera liée aux événements de cette histoire ; mais d'ailleurs le croquis de la salle où éclatait tout le luxe du ménage peut faire soupçonner par avance la nudité des étages supérieurs.
" (page 43-44).
Il y a donc ce qu'il faut pour accueillir correctement les visiteurs, au rez-de-chaussée.

Le Père Grandet a beaucoup d'argent, et une héritière unique : Eugénie. Deux prétendants principaux vont s'opposer, secondés par des partisans. Nous avons ainsi le clan des Cruchotins et celui des Grassinistes.
"Ce jour était un jour de fête bien connu des Cruchotins et des Grassinistes. Aussi les six antagonistes se préparaient-ils à venir armés de toutes pièces, pour se rencontrer dans la salle et s'y surpasser en preuves d'amitié." (page 44). C'est l'anniversaire d'Eugénie... "Aussi, calculant l'heure où le dîner devait finir, maître Cruchot, l'abbé Cruchot et monsieur C. de Bonfons s'empressaient-ils d'arriver avant les des Grassins pour fêter mademoiselle Grandet." (page 44).
"Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraîche de madame des Grassins, la tête martiale du banquier, celle d'Adolphe, le président, l'abbé, le notaire, et se disait intérieurement : « Ils sont là pour mes écus. Ils viennent s'ennuyer ici pour ma fille. Hé ! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-là me servent de harpon pour pêcher ! »" (page 55).

Un cousin va survenir... et semer le trouble dans le coeur d'Eugénie. Mais l'amour romantique ne cadre pas avec les plans du Père Grandet.
Manipulations, appât du gain, illusions perdues, sentiments écrasés par l'argent et la soif de pouvoir, tyrannie d'un homme qui gâche la vie de sa famille et de sa fille, qu'il aime pourtant...

Un roman excellent et vraiment terrible.
Si je puis me permettre de porter un modeste jugement de béotien sur un chef-d'oeuvre de la littérature.

le père goriot

Le Père Goriot. 1834. Folio. Préface de Félicien Marceau. Notice et notes de Thierry Bodin. 436 pages.
Un des romans les plus importants de Balzac.
On y fait la connaissance de nombreux personnages qui vont revenir dans plusieurs ouvrages de la Comédie Humaine.
Comme dans Eugénie Grandet, le personnage-titre n'est pas celui que l'on voit le plus.

Parmi les pensionnaires de la Maison Vauquer (une pension), on a donc le père Goriot, qui paraissait riche lorsqu'il a emménagé mais qui, au fil des années, monte d'étage en étage pour louer des chambres de plus en plus petites et misérables. Que cache-t-il ?
"Vers la fin de la troisième année, le père Goriot réduisit encore ses dépenses, en montant au troisième étage et en se mettant à quarante-cinq francs de pension par mois. Il se passa de tabac, congédia son perruquier et ne mit plus de poudre. Quand le père Goriot parut pour la première fois sans s'être poudré, son hôtesse laissa échapper une exclamation de surprise en apercevant la couleur de ses cheveux, ils étaient d'un gris sale et verdâtre. [...] Ses diamants, sa tabatière d'or, sa chaîne, ses bijoux, disparurent un à un. [...] Il devint progressivement maigre ; ses mollets tombèrent ; sa figure, bouffie par le contentement d'un bonheur bourgeois, se vida démesurément ; son front se plissa, sa mâchoire se dessina. Durant la quatrième année de son établissement rue Neuve-Sainte-Geneviève il ne se ressemblait plus. Le bon vermicellier de soixante-deux ans qui ne paraissait pas en avoir quarante, le bourgeois gros et gras, frais de bêtise, dont la tenue égrillarde réjouissait les passants, qui avait quelque chose de jeune dans le sourire, semblait être un septuagénaire hébété, vacillant, blafard" (pages 53-54).

Parmi les personnages marquants, on trouve un autre pensionnaire : Eugène de Rastignac. On le reverra notamment dans La Maison Nucingen, Splendeurs et misère des courtisanes, etc.
"En ce moment, l'une de ces deux chambres appartenait à un jeune homme venu des environs d'Angoulême à Paris pour y faire son Droit, et dont la nombreuse famille se soumettait aux plus dures privations afin de lui envoyer douze cents francs par an. Eugène de Rastignac, ainsi se nommait-il, était un de ces jeunes gens façonnés au travail par le malheur, qui comprennent dès le jeune âge les espérances que leurs parents placent en eux, et qui se préparent une belle destinée en calculant déjà la portée de leurs études, et les adaptant par avance au mouvement futur de la société, pour être les premiers à la pressurer." (page 31).
Rastignac fait ses débuts dans la société. Il commet des bourdes, mais il apprend, et vite.
"La vicomtesse s'intéressa vivement à l'étudiant pour une réponse d'ambitieux. Le Méridional en était à son premier calcul. Entre le boudoir bleu de madame de Restaud et le salon rose de madame de Beauséant, il avait fait trois années de ce Droit parisien dont on ne parle pas, quoiqu'il constitue une haute jurisprudence sociale qui, bien apprise et bien pratiquée, mène à tout." (pages 105-106).

On rencontre aussi Vautrin, un drôle de type, grand, costaud, dont la quatrième de couverture dévoile le passé qu'on n'apprend normalement que tard dans le livre. Il semble en connaître un bon bout sur la vie et la société, et ne se fait aucune illusion. Il a une attirance pour Eugène de Rastignac, qu'il tente d'amener sur la mauvaise pente : il devrait laisser tomber le droit, il y a des moyens plus rapides et plus sûr de faire de l'argent. Il explique la vie à Rastignac, dans une analyse très lucide.
"Savez-vous comment on fait son chemin ici ? par l’éclat du génie ou par l’adresse de la corruption. Il faut entrer dans cette masse d’hommes comme un boulet de canon, ou s’y glisser comme une peste. L’honnêteté ne sert à rien. L’on plie sous le pouvoir du génie, on le hait, on tâche de le calomnier, parce qu’il prend sans partager ; mais on plie s’il persiste ; en un mot, on l’adore à genoux quand on n’a pas pu l’enterrer sous la boue. La corruption est en force, le talent est rare. Ainsi, la corruption est l’arme de la médiocrité qui abonde, et vous en sentirez partout la pointe. Vous verrez des femmes dont les maris ont six mille francs d’appointements pour tout potage, et qui dépensent plus de dix mille francs à leur toilette."
Rastignac hésite...
Madame de Beauséant, cousine d'Eugène, lui parle ainsi du monde :
"Le monde est infâme et méchant, dit enfin la vicomtesse. Aussitôt qu'un malheur nous arrive, il se rencontre toujours un ami prêt à venir nous le dire, et à nous fouiller le coeur avec un poignard en nous en faisant admirer le manche. [...]
- Eh bien ! monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il mérite de l'être. Vous voulez parvenir, je vous aiderai. Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine, vous toiserez la largeur de la misérable vanité des hommes. Quoique j'aie bien lu dans ce livre du monde, il y avait des pages qui cependant m'étaient inconnues. Maintenant je sais tout. Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous serez craint. N'acceptez les hommes et les femmes que comme les chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faîte de vos désirs. Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n'avez pas une femme qui s'intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante. Mais si vous avez un sentiment vrai, cachez-le comme un trésor ; ne le laissez jamais soupçonner, vous seriez perdu. Vous ne seriez plus le bourreau, vous deviendriez la victime. Si jamais vous aimiez, gardez bien votre secret ! ne le livrez pas avant d'avoir bien su à qui vous ouvrirez votre coeur.
" (page 115).

Parmi les pensionnaires moins importants, on trouve notamment Victorine Taillefer, une jeune fille malheureuse, dont Balzac écrit : "Heureuse, elle eût été ravissante : le bonheur est la poésie des femmes, comme la toilette en est le fard." (page 35). Elle a un père riche, mais qui ne la reconnaît pas. Elle aura une certaine importance dans l'histoire, quasiment malgré elle.

On trouve des notations très actuelles (même si l'on ne peut pas dire que l'arrivisme et la volonté de réussir à tout prix ne soient pas actuels). "Les jeunes gens sont soumis presque tous à une loi en apparence inexplicable, mais dont la raison vient de leur jeunesse même, et de l'espèce de furie avec laquelle ils se ruent au plaisir. Riches ou pauvres, ils n'ont jamais d'argent pour les nécessités de la vie, tandis qu'ils en trouvent toujours pour leurs caprices. Prodigues de tout ce qui s'obtient à crédit, ils sont avares de tout ce qui se paye à l'instant même, et semblent se venger de ce qu'ils n'ont pas, en dissipant tout ce qu'ils peuvent avoir." (page 208).

Eugénie Grandet, c'était un peu de la musique de chambre. Ici, c'est symphonique. L'échelle a changé, les psychologies sont plus diverses, certains personnages vraiment intrigants (Vautrin, plus qu'Eugène de Rastignac ou le père Goriot). C'est un roman sur l'arrivisme, l'égoïsme... et le choix de vie. Eugène de Rastignac - car, au bout du compte, c'est lui le personnage principal, et certains ont parlé, à propos de ce livre, d'une Education sentimentale - doit-il suivre la voie de la vertu, ou bien doit-il faire ce qu'il faut pour arriver, quels qu'en soient les moyens ? (les différents personnages du roman pouvant être mis dans l'une ou l'autre catégorie).
Parfois, le roman fait un peu penser à du théâtre (minutieuse description du décor avant de faire apparaître les personnages). On suit la progression de plusieurs histoires, qui aboutissent toutes en même temps (pauvre madame Vauquer, si l'on peut dire !), créant pour un court moment un effet burlesque quasiment de vaudeville.

C'est vraiment un très grand roman (ce que tout le monde sait, ce n'est pas un scoop), qui est en même temps, en quelque sorte, le début d'un plus long roman, car on a vraiment envie de savoir ce qu'il va advenir de certains personnages. C'est une sorte de portail, l'entrée d'une gare où l'on voit, parfois pour un bref instant, une multitude de personnages, tout un monde.


A titre anecdotique, on notera l'utilisation de mots d'argot, notamment "Sorbonne". La sorbonne est la tête de l'homme vivant, son conseil, sa pensée. La tronche est un mot de mépris destiné à exprimer combien la tête devient peu de chose quand elle est coupée. (page 250). On pourra comparer avec Le dernier jour d'un Condamné (1829), de Victor Hugo : "La tête d'un voleur a deux noms : la sorbonne, quand elle médite, raisonne et conseille le crime ; la tronche, quand le bourreau la coupe. (page 50 dans l'édition de Roger Borderie, chez Folio).

 

le lys dans la vallée

Le Lys dans la vallée. 1836. Folio. Edition d'Anne-Marie Meininger. Préface de Paul Morand. 435 pages.
Balzac aurait dit « Je referai Volupté » (le roman de Sainte-Beuve). "Sur le terrain du style, le duel a dû valoir bien des boursouflures au Lys" (postface, page 336). Mais, plus qu'un remake, le livre de Balzac contient de très nombreux éléments autobiographiques.

Le roman est composé presque entièrement d'un long texte écrit par le narrateur, Félix de Vandenesse, à la femme qu'il aime, la comtesse Natalie de Manerville. Natalie voulait connaître le passé de Félix. Il a longtemps refusé, mais il cède finalement :
"Aujourd'hui tu veux mon passé, le voici. Seulement, sache-le bien, Natalie : en t'obéissant, j'ai dû fouler aux pieds des répugnances inviolées. Mais pourquoi suspecter les soudaines et longues rêveries qui me saisissent parfois en plein bonheur ? pourquoi ta jolie colère de femme aimée, à propos d'un silence ? Ne pouvais-tu jouer avec les contrastes de mon caractère sans en demander les causes ? As-tu dans le coeur des secrets qui, pour se faire absoudre, aient besoin des miens ? Enfin, tu l'as deviné, Natalie, et peut-être vaut-il mieux que tu saches tout : oui, ma vie est dominée par un fantôme, il se dessine vaguement au moindre mot qui le provoque, il s'agite souvent de lui-même au-dessus de moi." (page 15).

Suit le récit de la vie de Félix. Son enfance, malheureuse : contrairement à son frère, il n'est pas aimé par sa mère. Dans sa préface, Anne-Marie Meiniger dit que ce n'est pas cela : ce n'est pas qu'il n'est pas aimé, mais bien qu'il est haï, ce qui est une différence de taille. Il est mis en pension, n'a pas d'argent...
"Les tourments d'une imagination sans cesse agitée de désirs réprimés, les ennuis d'une vie attristée par de constantes privations, m'avaient contraint à me jeter dans l'étude, comme les homme lassés de leur sort autrefois dans un cloître. Chez moi, l'étude était devenue une passion qui pouvait m'être fatale en m'emprisonnant à l'époque où les jeunes gens doivent se livrer aux activités enchanteresses de leur nature printanière. [...] Affecté par tant d'éléments morbides, à vingt ans passés, j'étais encore petit, maigre et pâle." (pages 28-29).
Sevré d'amour, Félix en sera marqué toute sa vie, et aura soif de cet amour (bien avant Freud, il savait déjà que c'était la faute de la mère).
Un jour, Félix est amené à assister à un bal. Il y rencontre une femme, plus âgée que lui (on pourrait encore parler de Freud). C'est Madame de Mortsauf. Il est ébloui :
"Trompée par ma chétive apparence, une femme me prit pour un enfant prêt à s'endormir en attendant le bon plaisir de sa mère, et se posa près de moi par un mouvement d'oiseau qui s'abat sur son nid. Aussitôt je sentis un parfum de femme qui brilla dans mon âme comme y brilla depuis la poésie orientale." (page 33). Il lui déclare sa flamme d'une façon quelque peu originale, qui la scandalise.

Il réussira très vite à la retrouver. On va dire que c'était leur destin, plutôt que de penser qu'il s'agit d'un hasard un tout petit peu tiré par les cheveux.

Notre Félix arrivera-t-il à ses fins ? En effet, madame de Mortsauf est son Lys : elle est toute pure, toute astrale, elle aime se torturer le plus possible pour pouvoir offrir ses souffrances à Dieu. Et, heureusement pour elle, les difficultés abondent : mari insupportable ("En me saluant, monsieur de Mortsauf me jeta le coup d'oeil moins observateur que maladroitement inquiet d'un homme dont la défiance provient de son peu d'habitude à manier l'analyse.", pages 53-54), enfants malades... Elle peut se sacrifier, se dévouer à loisir.

Le texte comporte parfois des descriptions curieuses. A propos de Madame de Mortsauf : "Ses cheveux fins et cendrés la faisaient souvent souffrir, et ces souffrances étaient sans doute causées par de subites réactions du sang vers la tête." (page 47).

A part cela, le roman est plein de larmes : ça pleure toutes les trois pages, ça parle avec exaltation de bonheurs, de malheurs, du devoir, de félicités infinies, de suicide dans le fleuve... la Comtesse est qualifiée d'Ange de Sainteté, etc.
"- Vous avez lu dans mon âme, me dit-elle, mais comment ?
- Nous nous touchons par tant de points ! répondis-je. N'appartenons-nous pas au petit nombre de créatures privilégiées pour la douleur et pour le plaisir, de qui les qualités sensibles vibrent toutes à l'unisson en produisant de grands retentissements intérieurs, et dont la nature nerveuse est en harmonie constante avec le principe des choses ! [...] La sensibilité coule à torrents, il en résulte d'horribles affaiblissements, d'indicibles mélancolies pour lesquelles le confessionnal n'a pas d'oreilles. [...]
Elle tressaillit et sans cesser de regarder le couchant, elle me répondit : - Comment si jeune savez-vous ces choses ? Avez-vous donc été femme ?
" (pages 75-76)
Ah la la...

On me dira que la sensibilité de l'époque était différente de la nôtre. Certes. Mais il n'y a pas toutes ces niaiseries et ces pleurs dans Eugénie Grandet ou le Père Goriot. Et c'est ce qui est étonnant, car le Lys est censé toucher personnellement Balzac, qui y a mis beaucoup de souvenirs, de situations vécues. Mais il est tellement moins fort, moins intelligent, pénétrant, puissant, que les deux romans cités ! Sur la forme déjà, il en fait des tonnes (est-ce volontaire ? s'inscrit-il dans un genre, celui du roman de Sainte-Beuve ?).
Ainsi, on a droit au "sourire des femmes résignées qui fendrait le granit" (page 91), mais on peut aussi lire :
"Deux grosses larmes éclairées par un rayon de lune sortirent de ses yeux, roulèrent sur ses joues, en atteignirent le bas ; mais je tendis la main assez à temps pour les recevoir, et les bus avec une avidité pieuse qu'excitèrent ces paroles déjà signées par dix ans de larmes secrètes, de sensibilité dépensée, de soins constants, d'alarmes perpétuelles, l'héroïsme le plus élevé de votre sexe ! Elle me regarda d'un air doucement stupide." (pages 64-95).
"Je lui pris la main et la baisai. Elle me l'abandonna dans cette confiance qui rend la femme si supérieure à nous, confiance qui nous accable."

Quand Madame de Mortsauf écrit une lettre au narrateur, c'est tout de suite plus intéressant (il faut attendre 150 pages de larmes et autres jolies choses touchantes). Elle lui explique la vie, comme dans Le Père Goriot, Vautrin ou Madame de Beauséant l'ont fait pour Eugène de Rastignac (qui, comme Félix, courtise des femmes plus âgées que lui).
On a, par exemple (pages 159-161) :
"Mais la société, plus marâtre que mère, adore les enfants qui flattent sa vanité. Quant au zèle, cette première et sublime erreur de la jeunesse qui trouve un contentement réel à déployer ses forces et commence ainsi par être dupe d'elle-même avant d'être celle d'autrui, gardez-le pour vos sentiments partagés, gardez-le pour la femme et pour Dieu. […] Vous devez croire la voix qui vous commande la noblesse en toute chose, alors qu'elle vous supplie de ne pas vous prodiguer inutilement ; car malheureusement les hommes vous estiment en fonction de votre utilité, sans tenir compte de votre valeur. […] Comme l'a dit un homme de cette époque : « n'ayez jamais de zèle ! » […] les rois comme les femmes croient que tout leur est dû. [...]
Une des règles les plus importantes de la science des manières, est un silence presque absolu sur vous-même. Donnez-vous la comédie, quelque jour, de parler de vous-même à des gens de simple connaissance ; entretenez-les de vos souffrances, de vos plaisirs ou de vos affaires ; vous verrez l'indifférence succédant à l'intérêt joué ; puis, l'ennui venu, si la maîtresse du logis ne vous interrompt poliment, chacun s'éloignera sous des prétextes habilement saisis. Mais voulez-vous grouper autour de vous toutes les sympathies, passer pour un homme aimable et spirituel, d'un commerce sûr ? entretenez-les d'eux-mêmes, cherchez un moyen de les mettre en scène, même en soulevant des questions en apparence inconciliables avec les individus ; les fronts s'animeront, les bouches vous souriront, et quand vous serez parti chacun fera votre éloge. Votre conscience et la voix du cœur vous diront la limite où commence la lâcheté des flatteries, où finit la grâce de la conversation. […] Les jeunes gens sont sans indulgence, parce qu'ils ne connaissent rien de la vie ni de ses difficultés. Le vieux critique est bon et doux, le jeune critique est implacable ; celui-ci ne sait rien, celui-là sait tout. […] Ne soyez sévère que pour vous-même
."

A part quelques pages qui sont du vrai bon Balzac, le reste est trop long, le style boursouflé. Que de niaiseries, pense-t-on. Mais, à deux reprises, le narrateur se prend de grandes claques qui lui remettent les pendules à l'heure. Un vrai plaisir à lire.
C'est un peu perturbant... qu'en penser ? Finalement, ce n'est pas le roman qui est niais, c'est Félix de Vandenesse. Mais, comme il est censé être l'auteur de 99% du texte, forcément...

Mieux vaut aimer le romantisme exacerbé pour apprécier Le Lys dans la Vallée. Et ce n'est vraiment pas le roman par lequel aborder Balzac. Par contre, si on n'accroche pas avec Eugénie et Goriot, celui-ci aura sans doute sa chance.
Mais peut-être le jeune (enfin... plus vraiment) critique est-il implacable...

une ténébreuse affaire
En couverture : Gérôme, Les Conspirateurs (détail)

- Une ténébreuse affaire. 1841. Folio. Edition de René Guise. 305 pages.
Ce livre est souvent considéré comme un des premiers romans policiers. Le titre ne ment pas, c'est une ténébreuse affaire, et en même temps une histoire sombre.
Au début du roman, nous sommes en 1800, et nous faisons la connaissance d'un dénommé Michu :
"Un homme vêtu d'une veste de chasse en coutil vert, à boutons verts et d'une culotte de même étoffe, chaussé de souliers à semelles minces, et qui avait des guêtres de coutil montant jusqu'au genou, nettoyait une carabine avec le soin que mettent à cette occupation les chasseurs adroits, dans leurs moments de loisir.[...] Quiconque eût pu contempler cette scène, caché dans un buisson, aurait sans doute frémi comme frémissaient la vieille belle-mère de la femme de cet homme. Évidemment un chasseur ne prend pas de si minutieuses précautions pour tuer le gibier, et n'emploie pas, dans le département de l'Aube, une lourde carabine rayée.
- Tu veux tuer des chevreuils, Michu ? lui dit sa belle jeune femme en tâchant de prendre un air riant.
" (pages 23-24).

Ça commence bien ! Michu est le régisseur d'un domaine. Il a occupé ce poste à la suite de l'exécution du marquis et de la marquise de Simeuse. Du vivant de ceux-ci, Michu était garde-général, il avait été "comblé de bienfaits par la marquise"... mais a tout de même assisté à leur exécution. Le titre du premier chapitre s'appelle "Le Judas", on comprend pourquoi. Même si rapidement, on voit que ce n'est pas aussi simple, bien sûr.
Alors que notre Michu s'occupe de sa carabine, deux hommes surviennent, des Parisiens qui ont bien l'air d'espions, des suppôts de Fouché... Michu a un curieux pressentiment.

On fait bientôt la connaissance de Laurence de Cinq-Cygne. "La jeune comtesse avait vu mourir sa mère, tomber l'abbé d'Hauteserre, le marquis et la marquise de Simeuse périr sur l'échafaud ; son frère unique était mort de ses blessures, ses deux cousins qui servaient à l'armée de Condé pouvaient être tués à tout moment, enfin la fortune des Simeuse et des Cinq-Cygne venait d'être dévorée par la République, sans profit pour la République. Sa gravité, dégénérée en stupeur apparente, doit se concevoir." (page 61).
Elle paraît donc un peu stupide. "« J'ai l'air d'un mouton qui rêve » disait-elle quelquefois en souriant." (page 59).

"Mais Laurence avait dans les manières, dans sa voix gutturale, dans son regard impérieux, ce je ne sais quoi, ce pouvoir inexplicable qui impose toujours, même quand il n'est qu'apparent, car chez les sots le vide ressemble à de la profondeur. Pour le vulgaire, la profondeur est incompréhensible. De là vient peut-être l'admiration du peuple pour tout ce qu'il ne comprend pas." (page 62).
Laurence de Cinq-Cygne est calme, posée.
"Elle montait admirablement bien à cheval, et son adresse à la chasse tenait du miracle." (page 61).
Bref, c'est un peu wonderwoman, mais une wonderwoman humaine. Elle est animée d'une très grande volonté, c'est une héroïne. Elle est le personnage principal de l'histoire, et est aimée notamment de ses cousins jumeaux Simeuse (comment se décider pour l'un plutôt que pour l'autre ?).

Balzac recourt à des procédés comme : " Le lieu pittoresque où le régisseur avait amené Laurence devait être si fatal aux principaux personnages de ce drame et à Michu lui-même, que le devoir d'un historien est de le décrire. Ce paysage est d'ailleurs, comme on le verra, devenu célèbre dans les fastes judiciaires de l'Empire." (page 92).

Et la ténébreuse affaire commence, des événements difficilement explicables surviennent, des innocents sont accusés, tout semble les désigner coupables, il y a procès, comme annoncé. L'occasion de voir un peu comment fonctionne la machine judiciaire de l'époque.
"De même que le médecin ne laisse rien voir de ses appréhensions à son malade, de même l'avocat montre toujours une physionomie pleine d'espoir à son client." (page 193).
"En France, tout est du domaine de la plaisanterie, elle y est la reine : on plaisante sur l'échafaud, à la Bérésina, aux barricades, et quelque Français plaisantera sans doute aux grandes assises du jugement dernier." (page 199).

Une ténébreuse affaire est une histoire très sombre, à rebondissements, pas toujours simple (il vaut mieux, contrairement à moi, bien connaître cette époque), inscrite dans les événements politiques de 1800 (Marengo, Napoléon, les complots, les Royalistes, les Républicains....) et se base sur un fait réel, le mystérieux enlèvement d'un sénateur... C'est aussi le beau portrait de Laurence de Saint-Cygne, mais c'est finalement un Balzac quand même moins mémorable que Eugénie Grandet ou le Père Goriot.

Le Chef-d'oeuvre inconnu et autres nouvelles. Edition d'Adrien Goetz. Folio classique. 381 pages.

1/ Le Chef-d'oeuvre inconnu. (1832) 33 pages.
"Vous faites à vos femmes de belles robes de chair, de belles draperies de cheveux, mais où est le sang qui engendre le calme ou la passion et qui cause des effets particuliers ? Ta sainte est une femme brune, mais ceci, mon pauvre Porbus, est d'une blonde ! Vos figures sont alors de pâles fantômes coloriés que vous nous promenez devant les yeux, et vous appelez cela de la peinture et de l'art. Parce que vous avez fait quelque chose qui ressemble plus à une femme qu'à une maison, vous pensez avoir touché le but, et tout fiers de n'être plus obligés d'écrire à côté de vos figures, currus venustus ou pulcher homo, comme les premiers peintres, vous vous imaginez être des artistes merveilleux ! Ha ha !" (page 45).

Il y a la chair, mais il manque l'esprit qui est la vie.

Le Chef-d'oeuvre inconnu parle de la poursuite d'un idéal de peinture. Avec le temps, on a pu le lire comme une critique - ou une apologie, au choix - d'un certain art contemporain (Jackson Pollock). "Saluer en Balzac un prophète de l'art contemporain c'est être contraint d'admettre aussitôt que ce fut malgré lui. « Il est reconnu qu'il [l'artiste] n'est pas lui-même dans le secret de son intelligence », écrit-il, conscient comme toujours de son inconscience, en 1830, dans un article de La Silhouette intitulé Des artistes ." (Adrien Goetz, page 19).

C'est une très curieuse et très intéressante nouvelle, à la chute bien connue. J'aurais bien aimé la lire sans connaître la fin.
"Le Chef-d'oeuvre inconnu a fasciné les peintres. Emile Bernard raconte comment les larmes montaient aux yeux de Cézanne quand il parlait de Frenhofer : « Quelqu'un par qui il était devancé dans la vie, mais dont l'âme était prophétique, l'avait deviné »" (préface, page 10).

Certains y voient un autoportrait de Balzac, qui retouche, retravaille sans cesse ses oeuvres. Bref, on peut y avoir plein de choses, des intentions qu'il a eues, ou bien n'a jamais eues.
C'est un texte qui parle du but de la peinture ("- La mission de l'art n'est pas de copier la nature, mais de l'exprimer ! Tu n'es pas un vil copiste, mais un poète !", page 43), et des moyens d'y parvenir, notamment d'une opposition, mise en exergue dans l'introduction, "entre une manière vive et un faire lisse et académique - pas nécessairement irréconciliable si l'on songe, par exemple, à Frans Hals [...]"). C'est en gros le néo-classicisme face au romantisme. Faut-il avoir un souci de réalisme, ou bien faut-il faire passer une émotion à travers une façon de faire qui ne reproduira pas scrupuleusement la réalité, mais qui l' exprimera mieux ?

2/ L'Elixir de Longue vie (1830). 30 pages.
Nous sommes dans une Italie fantaisiste. "Dans un somptueux palais de Ferrare, par une soirée d'hiver, don Juan Belvidéro régalait un prince de la maison d'Este." Ce don Juan Belvidero festoie en attendant la mort de son père, qui est très vieux. Enfin, don Juan est appelé, son père est très mal.
"Il faut se soumettre à la volonté de Dieu" (page 82), dit don Juan.
"- Dieu, c'est moi, répliqua le vieillard en grommelant. [...]
J'ai découvert un moyen de ressusciter. Tiens ! Cherche dans le tiroir de la table, tu l'ouvriras en pressant un ressort caché par le griffon
" (pages 82-83).

Très bonne nouvelle fantastico-grotesque, avec une jolie fin...


3/ L'Auberge rouge (1831). 42 pages.
Là, on est dans l'enquête policière. 1799, en Allemagne. "Les deux voyageurs étaient Français. A voir leurs uniformes bleus mélangés de blanc, à parements de velours rouge, leurs sabres, surtout le chapeau couvert d'une toile cirée verte, et orné d'un plumet tricolore, les paysans allemands eux-mêmes auraient reconnu des chirurgiens militaires, hommes de science et de mérite, aimés pour la plupart, non seulement à l'armée, mais encore dans les pays envahis par nos troupes." Ces deux jeunes gens vont dormir dans la même pièce qu'un riche négociant...
"Le négociant et les deux sous-aides plaisantèrent sur la nature de leurs oreillers. [...] Nous dormirons tous deux sur notre fortune : vous, sur votre or ; moi, sur ma trousse ! Reste à savoir si mes instruments me vaudront autant d'or que vous en avez acquis" (page 120).

Pas mal. On notera qu'un des protagonistes est un certain M. Taillefer, le père de Victorine, vue dans le Père Goriot.


4/ Maître Cornélius (1831). 73 pages.
Un histoire d'amour, de mystérieux vols, des innocents accusés à tort, Louis XI en enquêteur... Des personnages d'avares, des péripéties un peu tirées par les cheveux... Le lecteur devine assez tôt ce qu'il en est.
Balzac s'amuse aussi un peu : "Malgré la singulière fantaisie que l'auteur de Quentin Durward a eue de placer le château royal de Plessis-lès-Tours sur une hauteur, il faut se résoudre à le laisser où il était à cette époque, dans un fond, protégé de deux côtés par le Cher et la Loire [...]" (page 194-195).
L'auteur des notes n'est pas en reste : à la suite de la phrase "Cette arme nouvelle et terrible se trouvait près de Cornélius" (page 180) se trouve une note, qui indique : "En vertu d'une complète invraisemblance chronologique."

Intéressant, agréable, mais un peu mineur.


5/ Un drame au bord de la mer (1834). 24 pages. C'est un texte très différent des autres.
"Les jeunes gens ont presque tous un compas avec lequel ils se plaisent à mesurer l'avenir ; quand leur volonté s'accorde avec la hardiesse de l'angle qu'ils ouvrent, le monde est à eux. [...]" (page 225)
Le narrateur et son amie, Pauline, se promènent du côté du Croisic. On a droit à de belles descriptions.
"Nous allâmes en silence le long des grèves. Le ciel était sans nuages, la mer était sans rides ; d'autres n'y eussent vu que deux steppes bleus l'un sur l'autre ; mais nous, nous qui nous entendions sans avoir besoin de la parole, nous qui pouvions faire jouer, entre ces deux langes de l'infini, les illusions avec lesquelles on se repaît au jeune âge, nous nous serrions la main au moindre changement que présentaient, soit la nappe d'eau, soit les nappes de l'air, car nous prenions ces légers phénomènes pour des traductions matérielles de notre double pensée." (page 227)

"Près de ce rocher, de tumultueuses pensées ; là, toute une vie employée, là des craintes dissipées ; là des rayons d'espérance sont descendues dans l'âme. En ce moment, le soleil, sympathisant avec ces pensées d'amour ou d'avenir, a jeté sur les flancs fauves de cette roche une lueur ardente ; quelques fleurs des montagnes attiraient l'attention ; le calme et le silence grandissaient cette anfractuosité sombre en réalité, colorée par le rêveur ; alors elle était belle avec ses maigres végétations, ses camomilles chaudes, ses cheveux de Vénus aux feuilles veloutées." (page 228).

Ils rencontrent un pêcheur, qui va leur raconter une histoire fort triste.

Un beau texte, mélancolique.


6/ Facino Cane (1836). 16 pages.
Un étudiant est invité à une noce par sa femme de ménage.
"Le festin, le bal, tout eu lieu chez un marchand de vin de Charenton, au premier étage, dans une grand chambre éclairée par des lamper à réflecteurs en fer-blanc, tendue d'un papier crasseux à hauteur des tables, et le long des murs de laquelle il y avait des bancs de bois." (page 254).

Il remarque un joueur de clarinette, un aveugle. Un type curieux, qui a une bien étrange histoire à raconter, sur sa jeunesse à Venise...
"Je sens l'or. Quoique aveugle, je m'arrête devant les boutiques de joailliers. Cette passion m'a perdu, je suis devenu joueur pour jouer de l'or. Je n'étais pas fripon, je fus friponné, je me ruinai." (page 261). L'or est une passion pour lui...

Une petite nouvelle, intéressante, mais loin d'être un chef-d'oeuvre.


7/ Pierre Grassou (1839). 26 pages.
"Toutes les fois que vous êtes sérieusement allé voir l'Exposition des ouvrages de sculpture et de peinture, comme elle a lieu depuis la Révolution   de 1830, n'avez-vous pas été pris d'un sentiment d'inquiétude, d'ennui, de tristesse, à l'aspect des longues galeries encombrées ?" (page 271)
Balzac parle de peinture, de peintres, fait la description d'un atelier.
"Le poêle participait à ce système de soin hollandais, d'autant plus visible que la lumière pure et peu changeante du nord inondait de son jour net et froid cette immense pièce. Fougères, simple peintre de genre, n'a pas besoin des machines énormes qui ruinent les peintres d'Histoire, il ne s'est jamais reconnu de facultés assez complètes pour aborder la haute peinture, il s'en tenait encore au chevalet." (pages 273-274). On fait donc la connaissance de Pierre Grassou de Fougères, un peintre honnête, à la volonté touchante de bien faire et d'être très conscient de ses limites, qui va connaître un succès bourgeois.

Très bonne chute, très bonne nouvelle.

Globalement, un excellent recueil de nouvelles qui tournent autour de l'art, avec quelques incursions dans le fantastiques. Mais n'y a-t-il pas, par essence, un peu de fantastique dans l'acte créatif ? (ça fait sérieux, comme phrase de conclusion, tiens... une fin ouverte, tout ça...)

le colonel chabert

Le Colonel Chabert. Préface de Pierre Barbéris. Edition de Patrick Berthier. Folio. 192 pages.
"Comme Le Père Goriot, Le Colonel Chabert est l'une des oeuvres les plus célèbres de Balzac, ainsi qu'en témoignent de nombreuses adaptations théâtrales, les plus nombreuses avec La Peau de chagrin [...].
Les thèmes de la vie militaire s'y entrelacent aux thèmes de la vie privée et à ceux de la vie sociale et parisienne, relancés par une intrigue semi-policière qui rappelle celle des mélodrames. Le problème est simple, les couleurs sont tranchées, l'intérêt facile, si le sens n'est pas évident.
" (page 7).
L'histoire commence dans une étude d'avoué (contrairement au film d'Yves Angelo, 1994, qui se débarrasse rapidement de toute ambiguïté), rue Vivienne.

"- Monsieur, lui dit Boucard, voulez-vous avoir la complaisance de nous donner votre nom, afin que le patron sache si...
- Chabert.
- Est-ce le colonel mort à Eylau ? demanda Huré qui n'ayant encore rien dit était jaloux d'ajouter une raillerie à toutes les autres.
- Lui-même, monsieur, répondit le bonhomme avec une simplicité antique. Et il se retira.
" (page 53)
Il insiste pour parler à l'avoué, mais il faut d'abord vaincre la barrière des clercs.

Le vieux Chabert parvient finalement à rencontrer le jeune avoué.

"Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d'une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. [...] Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L'ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu'un homme d'imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. [...] Mais un observateur, et surtout un avoué, aurait trouvé de plus en cet homme foudroyé les signes d'une douleur profonde, les indices d'une misère qui avait dégradé ce visage, comme les gouttes d'eau tombées du ciel sur un beau marbre l'ont à la longue défiguré. [...]
Le vieillard se découvrit promptement et se leva pour saluer le jeune homme ; le cuir qui garnissait l'intérieur de son chapeau étant sans doute fort gras, sa perruque y resta collée sans qu'il s'en aperçût, et laissa voir à nu son crâne horriblement mutilé par une cicatrice transversale qui prenait à l'occiput et venait mourir à l'oeil droit, en formant partout une grosse couture saillante.
" (pages 60-62).

Ce vieillard est-il vraiment le Colonel Chabert, officiellement mort à Eylau ? Ou bien un imposteur, ou encore un fou ?

Il commence à raconter son histoire :
"- Monsieur, dit le défunt, peut-être savez-vous que je commandais un régiment de cavalerie à Eylau. J'ai été pour beaucoup dans le succès de la célèbre charge que fit Murat, et qui décida de la bataille. Malheureusement pour moi, ma mort est un fait historique [...]" (page 64).

 

"J'ai été enterré sous des morts, mais maintenant je suis enterré sous des vivants, sous des actes, sous des faits, sous la société tout entière, qui veut me faire rentrer sous terre !" (page 74).

L'avoué le croira-t-il ? Le Colonel pourra-t-il reprendre sa place dans la société... et qu'en est-il de sa femme ?

"Le revenant sert toujours, plus ou moins, de révélateur à la société qu'il retrouve et qui a continué sans lui. Il peut certes être une ganache qui n'a rien appris et rien oublié : mais il faut alors que le monde dans lequel il revient soit donné comme un monde de droit et de raison. Lorsqu'il s'agit d'un monde de dégradation et d'usurpation, le revenant devient ou peut devenir un vengeur, un porte-parole, un chargé de mission. [...]
Ce thème central se présente sous deux aspects : description de la vie d'une étude de notaire et démontage d'un de ces crimes légaux que constitue, en l'espèce, une transaction.
" (Pierre Barbéris, préface, page 15)

Un texte court, captivant, finalement très sombre.

Le film d'Yves Angelo (1994), lui, a plusieurs handicaps, Gérard Depardieu n'étant pas le moindre de ceux-ci : il ne va pas dans le rôle. Il a trop de force, trop de vie. Il ne semble pas revenir d'entre les morts. Il ressemble plutôt à Depardieu jouant un rôle.

Bref, mieux vaut lire le livre, comme souvent.

le faiseur

- Le Faiseur (1840). Présentation, notes et bibliographie par Philippe Berthier. GF Flammarion. 188 pages.
Comédie en cinq actes et en prose.

"Autant le reconnaître sans ambages : le bilan dramatique de Balzac est fort médiocre." (Philippe Berthier, présentation, page 9)
Le Faiseur est apparemment l'une des très rares pièces de Balzac qui continue à être montée. Pas très souvent, certes, mais elle résiste au temps.

Le "faiseur" du titre, c'est Auguste Mercadet.
"Qu'est-ce qu'un faiseur ? Le mot avait été glosé en 1836 par Vidocq - brigand reconverti bien connu de Balzac - qui en avait fait son gibier d'élection lorsqu'il était chef de brigade de sûreté, dans son ouvrage Les Voleurs. Un faiseur (ou, en argot, un philibert) est un escroc, mais de haut vol [...]" (Philippe Berthier, présentation, page 13)
Il joue en bourse comme on joue en bourse chez Balzac, ou plus exactement à son époque : "c'est à une véritable ruée vers l'or qu'on assiste, à une dilatation exponentielle des prétentions de la sphère financière, qui tend à se confondre avec le gouvernement, dans l'obscénité assumée d'un véritable affairisme d'Etat." (page 11). Heureusement, comme on le constate, les choses ont beaucoup changé depuis le XIX° siècle.
Je plaisante, bien sûr.

Mercadet a été escroqué quelques années auparavant par son associé, un certain Godeau, qui a pris la caisse et est parti aux Indes. Depuis, on attend le retour de Godeau ! (toute ressemblance avec une pièce plus récente ne serait-elle que pure coïncidence ?)
Au moment où la pièce commence, la situation de Mercadet est très mauvaise. Il n'a plus d'argent pour payer qui que ce soit, même pas Brédif, le propriétaire de l'appartement qu'il occupe. Ne plus avoir d'argent est quelque chose, mais avoir du mal à emprunter en est une autre...

"BREDIF - Monsieur, je suis venu pour être payé, non pour m'entendre dire des choses qu'un honnête homme ne supporte point.
MERCADET - Oh, devoir !... Les hommes rendent la dette quelque chose de pire que le crime... Le crime vous donne un asile, la dette vous met à la porte, dans la rue.
" (Acte I, scène 1 ; page 33)
Il est très doué pour retourner la situation en sa faveur. Un créancier qui arrive repartira sans avoir été payé, mais avec l'illusion qu'il aura son argent sous peu.

Même quand Mercadet parle avec sa femme, il se justifie avec des pirouettes :
"Et n'emprunte pas qui veut ! Ne suis-je pas supérieur à mes créanciers ? J'ai leur argent, ils attendent le mien ; je ne leur demande rien, et ils m'importunent. Un homme qui ne doit rien, mais personne ne songe à lui, tandis que mes créanciers s'intéressent à moi !" (Acte I, scène 6 ; page 47).
Mme Mercadet préférerait que son mari n'ait pas de dettes, et vivre une petite vie tranquille en province... Même s'ils sont quasiment ruinés, elle continue toutefois à assister aux spectacles bien habillée, car il faut en imposer pour la galerie... et ainsi pouvoir continuer à emprunter... Personne ne doit savoir qu'ils sont au bord du gouffre.
"MERCADET - Vous vous apitoyez sur mes créanciers, mais sachez donc enfin que nous n'avons dû leur argent qu'à...
MME MERCADET - À leur confiance, monsieur !...
MERCADET - À leur avidité ! Le spéculateur et l'actionnaire se valent ! tous les deux, ils veulent être riches en un instant. J'ai rendu service à tous mes créanciers ; tous croient encore tirer quelque chose de moi ! Je serais perdu sans la connaissance intime de leurs intérêts et de leurs passions : aussi jouai-je à chacun sa comédie.
" (Acte I, scène 7 ; pages 48-49).

Toutefois, si Mercadet peut s'arranger pour que ses créanciers repartent sans le voir, c'est encore mieux. Il peut compter sur ses domestiques (qui, paradoxalement, comme ils ne sont pas payés, lui sont d'autant plus dévoués).

Justin, le valet de chambre, Virginie, la cuisinière, et Thérèse, la femme de chambre, parlent entre eux :
"VIRGINIE - Ah ! j'ai servi dans plusieurs maisons bourgeoises, mais je n'en ai pas encore vu de pareilles à celle-ci ! Je vais laisser les fourneaux, et me présenter à un théâtre pour y jouer la comédie.
JUSTIN - Nous ne faisons pas autre chose ici !...
VIRGINIE - Tantôt il faut prendre un air étonné, comme si l'on tombait de la lune, quand un créancier se présente ici. « Comment, monsieur, vous ne savez pas ?... - Non. - Monsieur Mercadet est parti pour Lyon. - Il est allé ?... - Oui, pour une affaire superbe ; il a découvert des mines de charbon de terre. - Ah ! tant mieux. Quand revient-il ? - Mais nous l'ignorons ! » Tantôt je compose mon air comme si j'avais perdu ce que j'ai de plus cher au monde...
JUSTIN, à part. - Son argent.
[...]
THERESE. - Moi, je n'ai qu'une manière. « Vous demandez monsieur Mercadet ? - Oui, mademoiselle. - Il n'y est pas. - Il n'y est pas ? - Non ; mais si monsieur vient pour mademoiselle... Elle est seule ! » Et ils se sauvent ! Pauvre mademoiselle Julie, si elle était belle, on en ferait... quelque chose.
" (Acte I, scène 2 ; pages 34-35)

Eh oui... comme le dit Mercadet :
"MERCADET - [...] Ah, la pauvre enfant n'est pas notre plus belle affaire...
MME MERCADET - Il y a des hommes sensés qui pensent que la beauté passe...
MERCADET - Il y en a de plus sensés qui pensent que la laideur reste.
[...]
MME MERCADET - Julie est instruite.
MERCADET - Vous voulez dire qu'elle lit des romans ; et, ce qui prouve qu'elle est une fille d'esprit, c'est qu'elle n'en écrit pas. J'espère que Julie, malgré ses lectures, comprendra le mariage comme il doit être compris : en affaire !
" (Acte I, scène 9 ; page 54)

En plus de son goût pour les romans, on se rend vite compte que Julie est loin d'être idiote.
Un jeune homme, Minard, semble s'intéresser à elle. Mais il n'a pas d'argent. Et il la croit riche... y aurait-il un lien de cause à effet ?
Bien sûr, ce n'est pas à lui que Mercadet destine sa fille. Il veut un riche parti.

La situation est de plus en plus critique, les créanciers se montrent pressants.
"MME MERCADET - Je m'imagine toujours que Godeau peut revenir." (Acte I, scène 11, page 62)


Le Faiseur est une comédie enlevée, pleine de traits d'esprit, de rebondissements et de magouilles financières, d'investissements et d'affaires plus ou moins foireux ou extraordinaires, comme souvent chez Balzac (j'ai renoncé à les comprendre depuis longtemps), qui permettent de gagner une fortune ou de perdre encore plus en un tournemain. Tout le monde tente d'escroquer tout le monde. Et même si quelqu'un, exceptionnellement, dit la vérité, tout le monde croira qu'il ment.

Une comédie vraiment très sympathique (même si la fin est un peu moins bonne).

On peut voir la pièce (adaptation de Pierre Franck) dans "Au théâtre ce soir", diffusée en 1977 :

 

 

 


Balzac a également écrit de la poésie. Par exemple, extraite d'un roman de jeunesse, Clotilde de Lusignan (1823).

Stances de Nephtaly.

Que la fleur des champs soit séchée
Par le noir souffle des hivers
Ou que de sa tige arrachée,
    Quand les près encor verts
Sont ornés de sa tête élégante,
Elle soit d'un cruel zéphir
    La victime odorante...
Son sort n'est-il pas de mourir !
Qu'importe la faible durée
De nos trop misérables jours,
Si, du bonheur la main dorée
    N'en fleurit pas le cours !
Périr le front plein de jeunesse
Parés des roses du plaisir,
    Ou flétris de vieillesse...
Ne faut-il pas toujours mourir ?
Que le voyage accomplisse
Sa longue route en peu d'instants,
Et que sa course en réunisse
    Les nombreux accidents ;
Ou que, marchant avec prudence,
De sa peine il fasse un plaisir,
    Pour toute récompense...
Ne faut-il pas toujours mourir ?
Hélas ! mourons, ma douce amie !
Mourons sans répandre des pleurs,
N'avons-nous pas, de cette vie,
    Senti toutes les fleurs ?
Lorsque, dans un charmant bocage,
Les mains n'ont plus rien à cueillir,
    Qu'il n'offre plus d'ombrage...
Alors... n'en faut-il pas sortir ?


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