Livre.gif (217 octets) Essais Livre.gif (217 octets)



-
dictées
-
littérature
- listes
- liens recommandés


Papillon.gif (252 octets)

-> retour Essais <-




retour
page d'accueil

 


Pierre Vidal-Naquet
(Paris, 23/07/1930 - Nice, 29/07/2006)


pierre vidal-naquet

 

Pierre Vidal-Naquet était un historien et helléniste français.

"Sa famille appartenait à la communauté juive comtadine de Carpentras, près d'Avignon. Il est éduqué dans un milieu laïc et républicain. Son père était un avocat « dreyfusard » qui a très tôt rejoint la Résistance. En juin 1940, la famille s'enfuit pour Marseille [...]
Le 15 mai 1944, ses parents, Lucien et Margot, sont arrêtés à Marseille par la Gestapo, déportés et « engloutis l'un et l'autre à Auschwitz en 1944 ». Après la déportation de ses parents, Pierre Vidal-Naquet se cache dans la maison de sa grand-mère dans la Drôme. Il en profite pour se livrer à des lectures intensives, dont l'Iliade, et y rencontre son cousin, le philosophe Jacques Brunschwig.

Il découvre le surréalisme (André Breton, René Char et Antonin Artaud) et, à l'âge de 18 ans, fonde la revue Imprudence avec Pierre Nora. Lecteur de Marc Bloch, sa vocation d'historien naît. En 1949, le procès de Rajk en Hongrie lui ôte définitivement tout désir de rejoindre le Parti communiste français. [...]

Lecteur de Dumézil et de Lévi-Strauss, il devient membre de l'École de Paris, composée de son ami Jean-Pierre Vernant (avec qui il a écrit quelques livres), de Nicole Loraux et de Marcel Detienne.
" (merci Wikipedia).

 

le miroir brisé

Le Miroir brisé. Tragédie athénienne et politique. (2002). Les Belles Lettres. 94 pages.
Voici le début :
"Les Grecs ont inventé la politique. On peut le dire sans crainte, dans la mesure où la politique implique non seulement le débat - d'autres sociétés l'ont pratiqué -, mais le suffrage, la loi commune écrite, la résolution des antagonismes par des joutes verbales, et le vote de décisions auxquelles on peut donner une forme publique écrite." (page 9).

"Parmi les Grecs, les Athéniens ont inventé la tragédie, ce « fait social total », comme aurait dit Marcel Mauss, à la fois esthétique, littéraire et religieux. Faut-il ajouter : politique ? [...]
Une autre question est celle qui consiste à se demander si une représentation tragique peut être un événement politique. Il en fut indiscutablement ainsi en 492 lorsque Phrynichos, prédécesseur d'Eschyle, fit représenter La Prise de Milet, deux ans après la chute de la cité entre les mains de Darios ; le peuple-spectateur, à ce que raconte Hérodote (VI, 21), fondit en larmes à l'évocation de cette infortune, mais le peuple-législateur « frappa le poète d'une amende de 1 000 drachmes pour avoir évoqué un malheur national, et défendit à l'avenir toute représentation de sa pièce ».
C'était là affirmer avec vigueur le principe de la mise à distance, du moins quand il s'agissait d'un malheur. Il n'en fut pas de même en 472, lorsque Eschyle fit représenter les Perses, qui évoquaient non la défaite, mais le triomphe d'Athènes. Encore faut-il noter que cette dernière pièce est la seule dans l'ensemble des oeuvres qui nous ont été conservées à évoquer un événement contemporain. Partout ailleurs le monde est celui de l'épopée, des poèmes homériques, bien entendu, mais tout autant des épopées perdues, du cycle troyen ou du cycle thébain.
" (pages 10-11)

"Giraudoux parlait des Cinq Tentations de La Fontaine. J'aurais tendance à parler des trois tentations majeures qui menacent l'interprète des tragédies athéniennes." (page 12)

Une partie importante de l'essai va être consacrée à l'étude de ces trois tentations.

1/ La tentation du « réalisme » : "Peut-on dire pourquoi Œdipe, lorsqu'il rencontre Laïos, le frappe avec son bâton de marche (skêptron, œdipe-Roi, 816), alors qu'il aurait été si naturel qu'il soit muni d'une épée ?" (pages 12-13).

2/ La tentation de l'« actualisation politique ». Peut-on déduire les positions politiques d'Eschyle à partir de ses pièces ?
Après une analyse de la pièce Les Perses : "Eschyle a su habilement respecter l'équilibre entre le triomphe d'Athènes et celui de la Grèce toute entière. [...] Eschyle n'est pas Hérodote. Il est un politique, il n'est pas un historien, même si son récit de Salamine est pour nous, historiens, une source fondamentale. Eschyle n'a pas fait représenter sa tragédie à notre intention." (page 22).
Suivent une analyse de l'Orestie, les Euménides...

On apprend que les Grenouilles (406) d'Aristophane, est un "texte capital puisqu'il nous prouve que, dès cette date, il y a trois grands tragiques et trois seulement : Eschyle, Sophocle et Euripide." (page 26).
Concernant Euripide: "Que son théâtre soit farci d'allusions politiques beaucoup moins détachées que celles de ses prédécesseurs est au moins vraisemblable." (page 28).
Mais il est parfois difficile de déterminer ses intentions, et il est par contre facile d'en trouver là où il n'y en a pas forcément. Troie peut symboliser Athènes, etc.

"Cela dit, il est vrai qu'Euripide écrit tantôt comme un sophiste, échangeant des arguments pour et contre avec un autre sophiste, tantôt comme un prodigieux reporter qui met en scène l'actualité. Il est vrai aussi qu'il nous donne parfois des informations que les historiens, Hérodote, Thucydide, Diodore, ne nous donnent pas. À l'inverse, du reste, Thucydide ne cite pas une seule fois les grands tragiques, et Hérodote mentionne une seule fois Eschyle (II, 156). Il faudra attendre les orateurs du IV° siècle pour trouver, dans la prose attique, des citations d'Euripide.
Reste que l'on peut utiliser Euripide pour tracer une histoire politique d'Athènes.
" (pages 30-31). Suivent une analyse et des interrogations.
"Il y a plus troublant : nous ne savons à peu près rien des joutes électorales qui se déroulaient à Athènes. Nous savons que Périclès perdit sa fonction de stratège après les premiers échecs de la guerre du Péloponnèse, mais nous ignorons tout du scrutin qui le démit de ses fonctions, comme d'ailleurs de celui qui l'y rétablit. Il est rare que nous entendions un bruit de foule." (page 35).

Et Sophocle ? "[...] Sophocle est précisément le seul qui ait fait ce que nous appellerions aujourd'hui une carrière politique. Elu stratège, il prit part aux côtés de Périclès à la répression de l'insurrection de Samos." (page 40)
"Quelque chose de ce cursus passe-t-il dans son oeuvre tragique ? A mon grand regret, je dois répondre que non, ou si peu." (page 42).
"Euripide reporter et auteur tragique a multiplié les allusions, même si on lui en a prêté trop et si la distanciation ne lui était pas étrangère. Il y a chez Sophocle une hauteur de ton qui rend pratiquement impossible toute interprétation actualisante." (page 45).

3/ La troisième tentation : celle de « l'actualisation moderne ».
"Elle comporte une part d'inévitable. Comme le savent tous les historiens, le dialogue avec le passé suppose toujours un départ à partir du présent. On n'interroge pas le passé de la même façon en 1830 et en 2000." (page 45)
"Rien n'égale cependant le destin incroyable d'Antigone. Il importe peu que j'aie lu cette pièce à une époque où les « lois » de Créon étaient celles de l'occupant nazi. Il importe beaucoup que, de traductions plus ou moins fidèles en adaptations plus ou moins libres, on puisse faire à travers l'Antigone l'histoire de la conscience européenne." (page 47).

"Oserai-je le dire ? Ce qui, à mes yeux, fait écho à la tragédie athénienne, n'est pas telle ou telle pièce de théâtre, mais bien cette série de représentations politiques à l'usage des masses que furent les procès de Moscou dans les années 1936-1938 ou de Budapest, Sofia et Prague, sans oublier Tirana, à la fin des années 40 et au début des années 50." (page 50)

Puis, Pierre Vidal-Naquet change de perspective en étudiant la représentation des institutions politiques dans les tragédies.
Il étudie les assemblées : le Conseil (Boulè), et l'assemblée du peuple (Ekklésia), et leur représentation (ou non représentation, d'ailleurs) dans le théâtre. L'Ekklésia apparaît deux fois : dans les Suppliantes d'Eschyle et l'Oreste d'Euripide.
"Le cas du Conseil, de la Boulè, est complexe. [...] On est parfois tenté d'identifier avec le Conseil le choeur, au moins lorsqu'il n'est pas, comme c'est souvent le cas, composé de femmes, déesses, citoyennes ou esclaves. [...]
Ce qui est surtout frappant, c'est l'impuissance politique du choeur, quelle que soit sa composition. Il accompagne les héros, il ne les devance pas. Très souvent, par exemple dans l'Antigone de Sophocle, il dit aux uns et aux autres qu'ils ont très bien parlé.
" (pages 54-55).

Un seul Conseil prend une décision : c'est l'Aréopage dans les Euménides d'Eschyle (page 57).

Après quoi, Pierre Vidal-Naquet étudie la cité grecque "telle que peut la voir un anthropologue" (page 60).
"[..] l'ordre - ou le désordre - tragique met en question ce que dit et croit la cité. Il conteste, déforme, renouvelle, interroge, un peu comme le rêve, selon Freud, procède avec la réalité. La tragédie, dans son essence même, est passage à la limite." (page 61).
Il étudie aussi la place de l'étranger dans les tragédies.
"Si nous prenons l'ensemble du corpus, on constate qu'il n'est pas un seul drame où l'opposition entre Grecs et Barbares ou entre citoyens et étrangers ne joue pas un rôle significatif." (page 72).

"La tragédie est une crise, négative ou positive, après laquelle personne parmi les héros n'est semblable à lui-même. Le Créon qui réunit le Conseil après la mort d'Antigone, de Hémon et d'Eurydice dans la pièce d'Anouilh est inconcevable dans une tragédie athénienne." (page 86).

Un essai très intéressant, qui ouvre des perspectives, et auquel on peut revenir (je suis bien loin d'avoir lu toutes les pièces auxquelles il fait référence...).

 


- Retour à la page Essais -

Toute question, remarque, suggestion est la bienvenue.MAILBOX.GIF (1062 octets)