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Contes de l'Egypte ancienne

(1994 avant J.-C. - 1000 avant J.-C.)

contes de l'egypte ancienne
En couverture : fragment de peinture murale d'une tombe de Deir el-Médineh. Musée du Louvre.

- Contes de l'Egypte ancienne. Traduits de l'égyptien ancien et présentés par Pierre Grandet. Hachettes Littératures. 193 pages.

"Le présent ouvrage rassemble des traductions de la presque totalité des contes égyptiens de l'époque pharaonique." (page I).
Les oeuvres ont été écrites entre le début de la XII° dynastie et le milieu de la XXI°, soit entre 1994 et 1000 avant J.-C.
Un millier d'années à l'histoire tourmentée qui aboutit à la production de deux cents pages de fiction littéraire...
"C'est peu. C'est moins qu'un seul de nos romans. Cette rareté est-elle l'effet du hasard ? Trouvera-t-on demain dans des fouilles - la chose s'est vue par le passé - un lot de papyrus qui, d'un seul coup, multipliera par deux ou par trois le nombre des textes connus ? Ce n'est pas impossible. Cependant, nous ne croyons pas (nous aimerions nous tromper) que la rareté de la littérature égyptienne de fiction s'explique seulement par l'ignorance de textes encore à découvrir. Nous croyons plutôt qu'elle s'explique par des facteurs propres au milieu qui l'a produite.
Ce milieu, c'est celui des scribes, ce groupe social investi du privilège presque exclusif de fournir ses cadres à la société égyptienne, et dont les membres étaient les seuls, parmi leurs concitoyens, à lire et à écrire. On dit souvent à juste titre, que l'art pharaonique était « utilitaire ». En d'autres termes, que la production artistique y possédait une fonction prédéfinie, mise en oeuvre par son appartenance à un genre, et excluant toute recherche formelle ne servant pas ce dessein. Or, s'il en était ainsi dans le domaine des arts plastiques, comment n'en serait-il pas allé de même pour la littérature ? Considéré de ce point de vue, il semble évident que le texte égyptien de fiction n'a pas fondamentalement vocation à distraire, mais à instruire ; tant par sa forme, qui initie l'apprenti scribe à la lecture et à l'écriture, que par son contenu, qui vise à le pénétrer de l'état d'esprit propre au groupe auquel il espère s'agréger. Un état d'esprit fait à la fois de soumission à l'autorité (voir Les Aventures de Sinouhé), de mise en pratique de la justice dans les rapports avec les administrés (c'est l'un des thèmes du Paysan éloquent), et de la conscience orgueilleuse d'appartenir à une élite.
" (pages II-III).

Les contes étant très minoritaires parmi les écrits égyptiens qui nous sont parvenus, Pierre Grandet se demande si les contes les plus simples n'étaient pas réservés au niveau le plus élémentaire des études scribales.

scribe
Le « Scribe accroupi » du Louvre. IVe ou Ve dynastie d'Égypte, 2600-2350 av. J.-C. Saqqara

Après la très intéressante introduction qui nous a présenté la fonction du conte en Egypte, on commence par un prologue, qui comporte plusieurs textes, notamment "Sois un scribe !", qui est une apologie du travail du scribe ("la condition de scribe était, si nous en croyons ces écrits, l'un des rares moyens d'ascension sociale que connaissait l'Egypte des pharaons", Introduction, page III) :

"Sois un scribe ! Cet état te sauvera du labeur et te protégera de tout travail. Il t'empêchera de porter la houe et la pioche, de sorte que tu ne porteras pas le panier. Il s'interposera entre toi et manier l'aviron, te préservera de la férule, de sorte que tu ne seras pas soumis à de nombreux maîtres ou d'innombrables supérieurs.
En effet, à peine sorti du ventre maternel, l'homme est lié à son chef. L'enfant suit le soldat, l'adolescent est un guerrier, le vieillard est affecté au travail des champs, et l'homme fait, voué à être un soldat. [..]
Le boulanger passe son temps à cuire et à placer le pain dans le feu, sa tête étant à l'intérieur du four, de sorte que son fils doit le retenir par les pieds. Une faiblesse dans la main de son fils, le voilà dans le brasier !
Mais le scribe, c'est lui qui dirige tous les travaux du pays entier !
" (pages 12-13).

Puis viennent les contes du Moyen Empire (-2065 à -1781)

papyrus
Fragment de papyrus contenant une partie de l'histoire de Sinouhé, vers 1850 avant J.-C.

Le premier d'entre eux est le plus connu : Les Aventures de Sinouhé (qui a notamment inspiré le fameux roman de Mika Waltari).
Sinouhé raconte :
"Je suis un suivant qui escorte son maître, un serviteur du harem royal de la princesse digne des plus hauts éloges, l'épouse royale de Sésostris, dans Khénemsout, et fille d'Amenemhat, dans Qanéfrou, Néférou, dame de vénération." (page 17).
Le Pharaon décède (il s'agit d'Amenenhat Ier) ; des messagers, porteurs de la nouvelle, en informent le Prince (le futur Sésostris Ier), qui guerroyait alors contre les pays étrangers. Le Prince part immédiatement. La mort du Pharaon doit rester secrète (en fait, il a été assassiné, ce qu'on ne nous dira jamais dans le texte). Or, Sinouhé, qui se trouvait à proximité, a tout entendu.
"Et comme je me trouvais là, j'entendis sa voix, tandis qu'il parlait et que j'étais à proximité, mais à l'écart. Mon esprit fut plongé dans la confusion. J'en restai bras ballants, tout le corps saisi d'un tremblement. Puis je m'éloignais en prenant la poudre d'escampette, pour me chercher un lieu d'où voir sans être vu !" (page 18)
Il s'enfuit donc. Mais pourquoi, au juste ?
Dans Contes et légendes de l'Egypte ancienne, édition pour enfants de Marguerite Divin la bien nommée (chez Nathan - mon vieil exemplaire de 1984 - ou Presse Pocket), on lit : "Il y allait de ma vie : la moindre indiscrétion me serait attribuée si quelqu'un apprenait quelque chose et je serais condamné pour avoir découvert ce qui doit rester secret et ce que je devais ignorer."

divin

Si on réfléchit deux minutes, on se dit que c'est un peu léger : Sinouhé a entendu, certes, mais personne ne s'en est rendu compte, et il s'est tout de suite éloigné. En cas de fuite, qui saurait qu'il avait entendu la nouvelle ? Mais c'est une explication qui a le mérite de la simplicité. De façon générale, les contes dans la version de Marguerite Divin sont explicites, compréhensibles, et souvent les fins manquantes sont inventées (plusieurs pages pour Le Prince prédestiné) : c'est un livre de contespour enfants, pas un travail scientifique, et le texte est très agréables à lire.
Dans la version de Pierre Grandet, on a le texte, tout le texte, rien que le texte (et des notes). Et il faut parfois s'accrocher pour comprendre, car ce qui est évident pour un Egyptien d'il y a trois ou quatre mille ans ne l'est pas forcément pour nous.
Alors, pourquoi Sinouhé s'est-il enfui ? Une note de l'introduction nous livre l'hypothèse de Pierre Grandet : "Sinouhé fuit simplement parce qu'il apprend la mort du roi avant son annonce officielle, et se juge par conséquent coupable d'avoir surpris un secret d'Etat." (page VI).

Beaucoup plus tard, à un moment, Sinouhé reçoit une lettre du Pharaon. "Ce n'est qu'après m'être mis à plat ventre, avoir touché le sol du front, puis l'avoir placée ouverte sur ma chevelure, qu'elle me fut lue." (page 28). Une note précise qu'il se prosterne comme s'il s'agissait du Pharaon lui-même, en signe de soumission, et que : "cette attitude était encore observée au XIX° siècle par les fonctionnaires égyptiens lorsqu'ils recevaient une lettre du pacha." (page 168). C'est fascinant comme une tradition peut perdurer dans un pays, au-delà des siècles et des religions : il y a un fond d'habitudes ancestrales qui persiste et peut ressurgir très longtemps après, en dépit des changements apparents (ce que Federico Zeri dit souvent dans ses livres).

Un conte très curieux. J'ai du mal à comprendre son immense célébrité. Quelque chose m'a échappé. Bien sûr, il y a le thème de la soumission au Pharaon, ça n'est pas rien, et puis quelques aventures (mais peu), un duel...

Pour finir ce trop long commentaire, on note que "des effigies de l'horizon" (page 33) sont des miroirs ; et que lorsque Sinouhé revient en Egypte, pays civilisé, on l'épile et "la crasse, vêtement des Bédouins, fut laissée au désert." (page 33).

bateau
Navire égyptien sur la Mer Rouge, vers 1250 avant J.-C. (Reproduction du bas-relief de Deir el-Bahari - cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Navigation_en_mer_dans_l%27Égypte_antique )

Le Naufragé est un Robinson Crusoé des temps Egyptiens (analyse en anglais sur : https://en.wikipedia.org/wiki/Tale_of_the_Shipwrecked_Sailor )
"Une tempête s'est levée alors que nous étions en mer, avant que nous eussions touché terre. S'étant mis à souffler, et toujours redoublant, le vent souleva une vague de huit coudées de haut, dont seul un espar me préserva. Alors le navire sombra, et de ceux qui s'y trouvaient, pas un ne survécut.
Je fus dépose dans une île par une vague de la mer et passai trois jours absolument seul, avec mes pensées pour toute compagnie, allongé sous l'abri d'un arbre, car j'avais cherché avidement de l'ombre. Enfin, j'allongeai les jambes, afin de rechercher de quoi me remplir la bouche
[...]" (page 36).
Les hommes étaient des durs, à cette époque : je pense que j'aurais commencé à avoir faim et soif bien avant le troisième jour... Mais je suppose qu'il y a plein de symbolisme là-dedans (en plus du fait que le pluriel commence à 3 en Egyptien : il existe le duel, comme en grec ancien, notamment).
Un petit conte bien sympathique et compréhensible.
A un moment, quelqu'un dit :
"- Ne fais pas l'intéressant, mon ami, pourquoi donner de l'eau à une volaille à l'aube, pour la tuer dans la matinée ?" (page 40)
Une note intéressante vient commenter ainsi cette phrase : "Nous dirions : à quoi bon donner un dernier verre au condamné ? L'égyptologue H. Satzinger a découvert qu'un dicton analogue, mot pour mot, à la phrase égyptienne, se disait en Union soviétique, à l'époque des purges staliniennes, des gens que Staline invitait à sa table." (page 170).

Le Paysan éloquent :
"Dans un cadre narratif qui n'a guère plus de consistance que celui des dialogues de Platon, cette oeuvre éblouissante, véritable manuel de stylistique égyptienne, offre un traité très fouillé des rapports de la justice absolue, d'institution divine, et la justice relative des hommes. Mais l'on y met en valeur la puissance de la rhétorique, fille de l'instruction [...]" (Introduction, page V).
Un conte dont la trame est très amusante. On en trouvera le résumé sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Conte_du_Paysan_éloquent .

papyrus westcar
Papyrus Westcar, qui contient les contes de Khéops et les magiciens. Fin de la XVIIe ou début de la XVIIIe dynastie.

Khéops et les magiciens : c'est un ensemble de plusieurs petits contes très compréhensibles.


Puis, viennent les contes du Nouvel Empire (-1150 à -1069)

La Prise de Joppé. Il s'agit d'un texte très court (trois pages) du fait de lacunes, qui raconte l'astuce du général Djéhouty pour s'emparer de Joppé (le port de Jaffa).

Le Prince prédestiné. Il était une fois le fils d'un roi. Après sa naissance, les Hathor (sept déesses "prédisant le destin du nouveau-né, comme les marraines de nos contes", note page 175) déclarent :
"- C'est par le crocodile, par le serpent ou par le chien qu'il mourra !" (page 89).
Tadam ! Comment faire pour échapper au Destin ? Il est bien dommage que la fin du conte soit perdue...

les deux frères
Page du conte Les Deux frères, Papyrus d'Orbiney, fin de la XIX° dynastie (vers 1185 avant J.-C)

Les Deux frères. Deux frères se brouillent (la cause en est une méchante femme), et la suite est pour le moins étrange, mais intéressante. Réusumé sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conte_des_deux_frères .

Vérité et mensonge. C'est l'histoire de deux frères, un bon (c'est Vérité) et son méchant cadet (c'est Mensonge). Le méchant va causer du tort au gentil, bien sûr... Une bonne petite histoire.

L'Ennéade d'Héliopolis. Le lecteur va assister au conflit qui oppose Horus et Seth pour prendre en charge les fonctions d'Osiris. Qui l'emportera ?
Le conflit est verbal, mais aussi physique : il y a même une tentative de viol de Seth sur Horus ! "Pendant la nuit, Seth se provoqua une érection, et introduisit son sexe entre les cuisses d'Horus. Mais celui-ci se plaça les mains entre les cuisses et y reçut la semence de Seth. Horus alla donc appeler sa mère Isis à l'aide :
- Au secours, Isis, maman ! Viens voir ce que m'a fait Seth
!" (page 131). La suite est assez amusante...
Note : "Les Egyptiens méprisaient le partenaire passif d'un rapport homosexuel masculin [...], mais admettaient qu'un homme de tempérament violent, comme Seth, pût y jouer le rôle actif. Les textes militaires du Nouvel Empire, notamment, où les ennemis sont souvent traités d'«hommes-femmes», impliquent que le viol du prisonnier pût faire partie, au même titre que le butin, de la récompense du soldat." (page 179).


Puis vient la dernière partie, La fin d'une époque, avec deux contes moins intéressants.

Mésaventures d'Ounamon
. Il arrive des tonnes de mésaventures au pauvre Ounamon, et encore, on n'a pas la fin... (on en trouvera le résumé sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_d%27Ounamon ).

Malheurs d'Ourmaï. Une pluie de malheurs s'abat sur le pauvre Ourmaï. Du point de vue de l'histoire, ça n'est pas passionnant, mais le texte est important, car il offre "le plus ancien exemple d'emploi du cadre épistolaire pour narrer une fiction littéraire." (Introduction, page X).


Et on finit par un petit texte qui loue le beau métier de scribe.
"Un homme est mort ; son cadavre est poussière ; toute sa famille a disparu. C'est un récit qui fait que l'on s'en souvient par la bouche de celui qui récite. Plus utile est un livre qu'une maison bien construite ou une chapelle à l'Occident !" (page 162).


Dans tous ces textes, il y a énormément d'éléments qui échappent au lecteur de base du XXI° siècle : les histoires ne sont pas toujours très limpides et il faut recourir à des notes fréquentes pour ne pas être perdu. Mais cet inconvénient est finalement la conséquence d'un grand intérêt : on est proche du texte d'origine, il n'y a pas d'adjonction de folklore moderne. On est plongé dans l'Egypte ancienne - un monde très différent du nôtre -, via des textes qui ne nous étaient pas destinés.

 

 

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