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Léon TOLSTOI

(09/09/1828 - 20/11/1910)

tolstoi

L'un des deux plus grands romanciers russes du XIX° siècle, avec Dostoïevski.
C'est une personnalité complexe, qui a (plus que d'autres, sans doute) évolué au cours de sa longue vie.

 

anna karenine
en couverture : L'Inconnue (détail), d'Ivan Kramskoï. Galerie Tretiakov, Moscou.

-Anna Karenine (1873-1877). Préface de Louis Pauwels. Traduction et notes d'Henri Mongault. 909 pages.

Le livre commence par une très bonne introduction (plus à Tolstoï qu'à Anna) de Louis Pauwels.
"Mais, après Anna Karénine, Tolstoï cesse d'être un artiste. Ou, tout au moins, s'y efforce. Quand il échoue, on reçoit encore de belles pages. [...]
« Léon travaille toujours, comme il dit. Mais, hélas, il rédige des discussions philosophiques quelconques... Je souhaite que cela passe comme une maladie » (Mme Tolstoï à sa soeur). [...]
Il écrit des diatribes contre l'art qui nous maintient dans l'égoïsme et l'impureté. Dans la grosse colère contre l'art, il entre toujours quelque haine sourde de la vie, une névrose suicidaire. A la fin de sa vie, Tolstoï appelle le martyre. Il souhaite disparaître dans la vague de sang qui s'annonce et que son angélisme a contribué à gonfler.
" (page IX).

L'histoire se déroule de 1872 à 1876, c'est-à-dire qu'elle est contemporaine à l'écriture.
La première phrase du roman est : "Les famille heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon." (page 3 ; elle semble trouver un écho - mais je me fais peut-être des idées - dans la première phrase du roman L'Horloge sans aiguilles, de Carson McCullers: "La mort est toujours la même, mais chacun meurt à sa façon", traduction de Colette M. Huet).


On commence par faire connaissance avec Stépane Arcadiévitch, le frère d'Anna Karénine.
"Comme il vivait dans une société où une certaine activité intellectuelle est considérée comme l'apanage de l'âge mûr, les opinions lui étaient aussi nécessaires que les chapeaux." (page 10).
Grâce à la protection de son beau-frère (le mari d'Anna), il a un poste bien rémunéré, celui de "président de section dans une administration publique" (page 18).
"Les qualités qui lui valaient cette estime générale étaient, tout d'abord, une extrême indulgence envers ses semblables fondée sur le sentiment de ses propres défauts ; [...] enfin - et surtout - une parfaite indifférence pour les affaires dont il s'occupait, ce qui lui permettait de ne point se passionner et par conséquent de ne point commettre d'erreur." (page 19).

Le début est donc très bon, mais il n'y a pas trace d'Anna. Elle arrive vers la page 70.
Et c'est la rencontre entre l'officier Vronski et Anna. Vronski est venu attendre sa mère à la gare. Il laisse sortir une dame d'un wagon. "Après un mot d'excuse, il se retourna, ne pouvant résister au désir de la regarder encore ; il se sentait arrêté, non point par la beauté pourtant très grande de cette dame ni par l'élégance discrète qui émanait de sa personne, mais bien par l'expression toute de douceur de son charmant visage. Et précisément elle aussi se détourna. Un court instant ses yeux gris et brillants, que des cils épais faisaient paraître foncés, s'arrêtèrent sur lui avec bienveillance, comme s'ils le reconnaissaient ; puis aussitôt elle sembla chercher quelqu'un parmi la foule. [...] Regard et sourire décelaient une abondance de force refoulée ; l'éclair des yeux avait beau se voiler, le demi-sourire des lèvres n'en trahissait pas moins le feu intérieur." (page 72). On sait tout de suite que le feu couve.

Il y a toujours des petites annotations amusantes. "Si la princesse Miagki ne manquait jamais son effet, c'est qu'elle disait avec bon sens, mais pas toujours avec à-propos, des choses fort ordinaires. Dans le monde où elle vivait, ce gros bon sens tenait lieu d'esprit. Son succès l'étonnait elle-même, ce qui ne l'empêchait pas d'en jouir." (page 153).

Ou encore de nombreux passages comme celui-ci, très réjouissants.
"- Nul n'est content de sa fortune, ni mécontent de son esprit, insinua le diplomate, citant un aphorisme français" (page 154). Une note nous apprend qu'il s'agit d'un mot de Mme Déshoulières.

Les notes d'Henri Mongault sont très bonnes. Peu nombreuses, elles ne hachent pas la lecture. Elles expliquent quand il le faut, et citent des lettres de Tolstoï, des mémoires de son entourage. Le lecteur, lorsqu'il a lu un chapitre, peut ensuite savoir quelle en a été la réception à l'époque (ce qui a choqué, ce qui a été critiqué, ce qui a frappé), le livre ayant été publié par épisodes.
Pour continuer dans les aphorismes et autres, à un moment Tolstoï fait référence à un joli dicton, là encore explicité par une la note de la page 425 : "On reçoit des gens d'après leur mise, on les reconduit d'après leur esprit".

A un moment, l'humour est un petit peu facile, lorsque quelqu'un dit à Anna : "Elle voit en vous une véritable héroïne de roman [...]" (page 333).

Le mari d'Anna Karénine (qui a vingt ans de plus qu'elle) est un fonctionnaire de haut vol, très consciencieux et très occupé. C'est un homme qui a le sens du devoir. Il aime sa femme, mais il l'aime plus par devoir que par passion.
"Là, tandis qu'il regardait le bureau d'Anna avec son sous-main en malachite et un billet inachevé, ses idées prirent un autre cours : il songea à elle, se demanda quelles pensées elle pouvait avoir, quels sentiments elle pouvait éprouver. Pour la première fois, son imagination lui présenta la vie de sa femme, les besoins de son esprit et de son coeur : et l'idée qu'elle devait avoir une existence personnelle le frappa si vivement qu'il s'empressa de la chasser. C'était le gouffre qu'il n'osait sonder du regard. Pénétrer par la pensée et le sentiment dans l'âme d'autrui lui semblait une fantaisie dangereuse." (page 163).

Donnons la parole à la défense. C'est Anna qui pense à son mari :
"Ils vantent sa piété, sa probité, son intelligence, mais ils ne voient pas ce que j'ai vu ; ils ignorent que pendant huit ans il a étouffé tout ce qui palpitait en moi, sans jamais s'apercevoir que j'étais une créature vivante et que j'avais besoin d'amour ; ils ignorent qu'il me blessait à chaque pas, et n'en restait que plus satisfait de lui-même. [...] N'ai-je pas fait mon possible pour l'aimer, et quand je n'ai pu y réussir, n'ai-je pas reporté mon amour sur mon fils ?" (page 327).

Dans ces conditions, Vronski va devenir l'amant d'Anna. Anna, de caractère passionné, ne pourra pas se contenter d'un amour à la sauvette, comme tant d'autres femmes.

Mais il n'y a pas que la ville et la bonne société dans le livre. Il y a aussi (et l'on pourrait presque dire surtout) la campagne où vit Constantin Lévine, un personnage aussi important, sinon plus, qu'Anna : il est un peu le Pierre Bezoukhov de La Guerre et la Paix, le représentant de Tolstoï. Il a donc beaucoup de choses à dire, à penser (problèmes de politique, d'économie, d'organisation des campagnes, d'éducation des paysans), autrement plus intéressantes pour le lecteur que les pensées d'Anna. Il a aussi beaucoup de doutes sur le sens de sa vie.

Les pages consacrées à Constantin sont l'occasion de lire de beaux passages sur la campagne.
"On était à ce tournant de l'été où la récolte se dessine, où la fenaison approche, où déjà l'on se préoccupe des semailles. Les épis déjà formés, mais encore légers et d'un gris verdâtre, se balancent au souffle du vent ; les avoines mêlées aux herbes folles sortent irrégulièrement de terre dans les champs semés tardivement ; les premières pousses du sarrasin couvrent déjà le sol ; les jachères, avec leurs mottes quasi pétrifiées par le piétinement du bétail et leurs sentiers où ne mord point l'araire, ne sont encore qu'à demi labourées ; les monticules de fumier mêlent, à l'aurore, leur odeur au parfum de la reine-des-prés ; cependant que dans les fonds s'éploie, impatiente de la faux, la houle verte des herbages, où les tiges déjà dépouillées de l'oseille sauvage font de-ci de-là de grandes taches noires." (pages 270-271)


"La double intrigue, voulue dès le début, qui lui permet d'étudier le mariage de deux points de vue différents (les premiers brouillons étaient intitulés Deux Mariages, Deux Couples), laisse beaucoup de jeu à l'écrivain, créant tout un monde et lui évitant les détours d'une démonstration." (Sylvie Lunneau, Notice, page 873).

Dans cette double intrigue, l'histoire entre Vronski et Anna est, de loin, la moins intéressante. Vronski est "dominé par elle" (page 395), "alors qu'auparavant il aurait pu par un effort de volonté arracher son amour de son coeur, il se sentait maintenant, tout en croyant ne plus la chérir, enchaîné pour toujours à cette femme" (page 398).

Lorsque paraît Anna, tout le monde tombe sous son charme... mais le lecteur a beaucoup de mal à le ressentir, ce charme, cette séduction.
Par contre, on entend bien les pensées d'Anna, et là ce n'est pas très beau. Elle s'imagine souvent qu'on la regarde avec condescendance, ce qu'elle ne supporte pas.
Elle s'imagine également que Vronski ne l'aime plus, elle le traite comme un chien, il part pour la journée, elle se dit : ah la la, mon Dieu, qu'ai-je fait, comment vais-je vivre sans lui ; et puis il revient ; elle est alors tellement soulagée, c'est le bonheur, c'est promis-juré, elle ne recommencera plus avec ses crises de jalousie... et bien sûr c'est reparti pour un tour, elle se remet à l'accuser de ne plus l'aimer. Et encore. Et encore... cette relation amour-haine pathologique est vraiment très lassante.

"Les décrets de la société ne durent qu'un temps ; ce qui intéresse Tolstoï, ce sont les exigences éternelles de la morale. Alors apparaît sa véritable intention morale : l'amour ne peut être exclusivement charnel parce qu'il est alors égocentrique et devient par conséquent destructeur. [...]
Nous chercherions en vain dans les pages d'Anna Karénine les transitions subtiles de Flaubert, d'un personnage à un autre, au sein des chapitres. La structure d'Anna Karénine est d'un genre plus conventionnel, bien que l'ouvrage ait été publié vingt ans après Madame Bovary
" (Vladimir Nabokov, Littératures, Bouquins, page 707)
Mais, comme Nabokov l'écrit plus loin : "Nous noterons toutefois que Tolstoï a sur les bras beaucoup plus de vies que n'en avait Flaubert" (page 765).

"Ainsi, le roman que Tolstoï croyait achevé en mai 1873 restera encore sur le métier pendant plus de quatre ans: la méthode du romancier l'a transformé peu à peu en une fresque de la société russe contemporaine, à l'image de ce que Guerre et Paix voulait être pour l'époque napoléonienne. La multiplicité des personnages n'est pas moindre, et chacun d'eux a tendance à s'émanciper et à vivre d'une vie autonome." (Histoire de la Littérature russe, Le XIX° siècle, volume 2, Fayard, page 1212).

C'est bien vrai, et c'est une grande différence entre ces deux romans : Madame Bovary, c'est surtout l'histoire de Madame Bovary, tandis que Anna Karénine, ce n'est qu'un peu l'histoire d'Anna, et beaucoup l'histoire d'une multitude d'autres personnages.
Mais, autant je peux comprendre Madame Bovary, psychologiquement parlant, autant Anna paraît rapidement peu intéressante, et semble plutôt être un cas de psychiatrie qu'une analyse psychologique fouillée. Heureusement, il y a tous les autres personnages, et on ne voit finalement pas beaucoup Anna.
Anna est la personne la moins complexe, la moins vivante, celle à qui on peut le moins s'intéresser. Tous les autres ont une vraie vie intérieure : Vronski, Stépane Arcadiévitch, Constantin Lévine, Kitty, et tous les autres.


"Anna Karénine est l'oeuvre la plus harmonieuse de Tolstoï, la plus accomplie, parce qu'elle est entièrement soumise au plan humain, à la réalité souple des esprits, des coeurs, des corps, sans cassure théorique, sans intervention démiurgique, sans jugements de valeurs. C'est ici que l'auteur est à son maximum d'humilité", écrit Louis Pauwels dans son introduction (page X). Il fait bien sûr allusion à La Guerre et la Paix qui, surtout dans son deuxième volume, a de nombreux passages de réflexions qui ne sont pas intégrés dans le corps du récit.

Néanmoins, à cause du personnage insupportable d'Anna, je préfère La Guerre et la Paix. Même si Anna Karenine est un très bon livre, bien sûr, malgré Anna.
Ah, si seulement Anna avait été moins pénible, quel livre ça aurait été !

 

Il existe de très nombreuses adaptations d'Anna Karenine :

 

Anna Karenina, 1911, film de Maurice Maître.
Anna Karénine, 1912, film d'Albert Capellani, avec Jeanne Delvair.
Anna Karenina, 1914, film de Vladimir Gardin, avec Mariya Germanova.
Anna Karenina, 1915, film de J. Gordon Edwards, aevc Betty Nansen.
Anna Karenine, 1917, film muet d'Ugo Falena, avec Fabienne Fabrèges.
Anna Karenina, 1918, film muet de Márton Garas,a vec Irén Varsányi.
Anna Karenina, 1919, film muet de Frederic Zelnik avec Lya Mara.
Love, 1927, film muet d'Edmung Goulding, avec Greta Garbo et John Gilbert (Vronski)
love 1927
Anna Karenine, 1935, film de Clarence Brown, avec Greta Garbo, Frederic March (Vronski), Maureen O'Sullivan (Kitty), Basil Rathbone (Karenine).
anna karenine 1935
Anna Karénine, 1948, film de Julien Duvivier, avec Vivien Leigh.
anna karenine 1948   anna karenina 1948
Anna Karenina, 1953, film de Tatyana Lukashevich.
Amor prohibido, 1958, film de Luis César Amadori et Ernesto Arancibia
Ana Karenina, 1960, téléfilm brésilien
Anna Karenina, 1961, film de Rudolph Cartier, avec Claire Bloom et Sean Connery (Vronski)
Anna Karénine, 1967, film d'Aleksandr Zarkhi, avec Tatyana Samojlova.
Anna Karenina, 1974, téléfilm de Sandro Bolchi, avec Lea Massari.
La passion d'Anna Karénine, 1975 téléfilm de Yves-André Huber, avec Ludmilla Tchérina.
Anna Karenina, 1976, film de Margarita Pilikhina, avec Maya Plisetskaya.
Anna Karenina, 1977, mini-série de Basil Coleman, avec Nicola Pagett dans le rôle d'Anna.
Anna Karenina, 1985, un téléfilm de Simon Langton, avec Jacqueline Bisset, Christopher Reeve (Vronsky)
Il grande fuoco, 1996, film de Fabrizio Costa.
Anna Karénine, 1997 : un film de Bernard Rose, avec Sophie Marceau, Ean Ben (Vronsky), Alfred Molina (Levine)
anna karenine 1997
Anna Karenina, 2000, mini-série de David Blair
Anna Karenina, 2009, mini-série de Sergei Solovyov
Anna Karenina, 2012 : un film de Joe Wright (le réalisateur d'Orgueil et Préjugés, Reviens-moi...), 2012. Avec Keira Knightley, Jude Law

 


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