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VALDES Zoé
(La Havanne, Cuba, 1959 -)

 

Zoé Valdés est une poétesse, romancière et scénariste. Elle est née à Cuba mais vit en France depuis 1995.

l'éternité de l'instant

- L'éternité de l'instant. (Galimard, traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan). 353 pages.

Le roman commence en Chine. Il s'agit d'une histoire inspirée de la famille de l'auteur (les photos de ses ancêtres figurent dans le livre).

"Mei leva les yeux ; le soleil resplendissait après la nocturne tempête de neige." (page 30)
Le lecteur est prévenu : c'est de la Littérature. Si vous et moi avions écrit cette phrase, nous aurions écrit "tempête de neige nocturne". Là, non.

Mei est la fille de son père, et son père, c'est M. Xuang. Il est veuf, et se consacre à l'éducation de sa fille. M. Xuang est lettré, du coup sa fille "lisait depuis l'âge de trois ans, et écrivit à partir de trois ans et demi. Son père le lui avait appris, en l'instruisant au moyen des commentaires aux Poèmes canoniques ou Livres des Odes, la plus ancienne anthologie de poésies chinoises, composée de trois cent cinquante pièces lyriques, réunies entre 770 et 476 avant notre ère" (page 28).

Ce qui est drôlement reposant, dans ce livre, c'est que le lecteur n'a pas à lire des notes de bas de page, tout est dans le texte. Il n'y a quasiment pas un bâtiment, pas un livre dont on ne nous précise de quand il date (à force, c'est pénible ; on n'est pas dans un Guide du Routard, quand même !). Et "avant notre ère", cela s'adresse bien sûr au lecteur occidental.

De toute façon, on l'avait bien compris. C'est une Chine rêvée, fantasmée par un occidental - ou, ici, une occidentale.

C'est très joli, il y a des jolis flocons, des papillons, d'élégants caractères, des discussions très très profondes. Ici, personne ne dira "passe-moi le sel". On n'ouvre la bouche que pour s'interroger sur la Poésie, le Sens de la Vie, etc. Pour la Chine, la vraie, mieux vaut ouvrir un livre chinois.
Mais bien sûr, le propos de Zoé Valdès n'était pas d'écrire un livre chinois.
Parfois, c'est drôle. Le père parle à un disciple. "Avez-vous lu Li Yu ? Son équivalent occidental est Molière". (page 31). Ah oui, le disciple comprend tout de suite mieux. Li Yu, ça ne lui causait pas des masses, mais Molière, bien sûr !

En parlant de Molière, on peut craindre que cette référence ne soit mise ici pour flatter le lecteur occidental, et plus particulièrement français (Zoé Valdès vit en France, elle y a un lectorat important). Crainte confirmée au fur et à mesure du roman : on aura Gargantua et Pantagruel, Seurat, Coco Chanel, Baudelaire, etc.

Revenons à l'histoire. La jolie petite Mei s'éprend d'un joli chanteur d'opéra, Li Ying, qui l'aime aussi. Ca tombe bien. Ils se rencontrent officiellement :
"La pièce s'emplit d'une brume opaline. Dehors, il neigeait à gros flocons. Li Ying avança à genoux jusqu'à elle, prit sa main fine entre les siennes et baisa le bout de ses doigts.
La lumière nacrée s'élevait entre eux.
- Mei Xuang, bientôt Mei Ying, les nuages sont descendus pour nous saluer." (page 42).

On notera que le directeur de la photo a fait du bon boulot, ainsi que les accessoiristes (envoie un peu moins de fumée, tu veux les étouffer ou quoi ?).

"J'aime les enfants, mais cela me fait peur de mettre au monde des enfants sur une planète qui se détruit lentement, soupira-t-elle" (page 44). Pour rappel, nous sommes en 1902, dans la Chine profonde. On croirait la phrase écrite il y a peu...

Page 45 : "Les boutons des fleurs de lin et de chanvre sur le point d'éclore évoquaient des touches pointillistes sur un paysage de Georges Seurat [....]". Hum. Il est certes mort en 1891. Et sa notoriété s'est rapidement répandue dans toute la Chine, jusqu'au village de nos héros. Certes, on me dira qu'il s'agit d'une description. Mais pourquoi mêler Seurat à tout ça ?

Passage obligé : les scènes de sexe. Elles sont assez crues, et souvent marrantes.
"Ses mains flottèrent avides sur le Grand Océan, le ventre, tels deux nénuphars à la dérive. Sa tête alla à la rencontre du Mont éternel, le pubis ; sa langue dessina un sillage de souffles sur la Porte sombre, la vulve. [...] Arquée comme une chatte en chaleur et les yeux chavirés, Mei geignit en interminable orgasme. Puis son corps s'étrécit peu à peu jusqu'à recouvrer la position foetale, les mains sur le sexe." (page 49).

Pourquoi, à chaque fois qu'elle utilise une image, Zoé Valdés se croit-elle obligée de nous expliquer de quoi elle veut parler ? Pour ceux qui n'auraient pas compris de quoi il s'agit (voyons... la Porte sombre, qu'est-ce donc...) ? C'est un peu prendre les lecteurs pour des lents de la comprenette...

Bref, la nature suit son cours, il va y avoir des enfants, dont l'un sera le vrai héros de l'histoire.

Il y a d'autres scènes amusantes.
"- As-tu reçu des nouvelles récentes de Weng Bu Tah, ton frère ?" (page 65).
Notez le naturel de la formulation, et la nécessité du rappel du lien de parenté, qui s'impose vraiment (oui... pour le lecteur !). Deux lignes plus loin :
"- Ton cousin ? Oui, bien sûr, maman a reçu une ou deux lettres".

Ce que c'est maladroit de la part de Zoé Valdés, l'écrivaine !

A un autre moment, on est à Shanghai. Il y a des gratte-ciel. Evidemment, c'est moche, les maisons traditionnelles sont tellement plus jolies, et le gratte-ciel, c'est le début de la modernité, donc la mort de la poésie.

Bref. On est devant ce gratte-ciel. On peut lire dans le bouquin : "Quelle absurdité cette idée de gratter le ciel ! sourit-il, ironique." (page 85). Ce "ironiser", utilisé également à la page 146, est totalement hors de propos. Le Robert dit : "Manière de se moquer (de qqn ou de qqch.) en disant le contraire de ce qu'on veut faire entendre)." Que faut-il comprendre, alors ? Que Zoé Valdés (ou bien le traducteur, Albert Bensoussan, mais là, j'ai du mal à la croire) ne sait que ce que ironiser veut dire ? Ou bien qu'en fait Zoé Valdés voulait faire croire au lecteur de base que le personnage était contre les gratte-ciel, alors que le lecteur qui sait chercher dans le dictionnaire comprend qu'en fait il se déclare en faveur des gratte-ciel ?

Détail, me dira-t-on. Mais très agaçant. On ne cesse de nous parler de la poésie, des mots, que tout se perd... effectivement. Ce livre en est une illustration flagrante.

Qu'a-t-on encore dans ce roman   ? Une fille qui saute de toit en toit (on est là en plein Tigre et Dragons, ou bien dans un Tsui Hark). Cela fait couleur locale, et franchement, ça n'a pas grand chose à faire dans le livre.

Dans une discussion, il est dit : "Celui qui ne parle pas sait, celui qui parle trop ignore le plus important, écouter les autres" (page 122). J'imagine que ça a dû beaucoup apporter à l'interlocuteur, ultra-cultivé, qui aura bien sûr reconnu un passage du Tao Te King de Lao Tseu (moi, oui, alors lui, j'espère bien) : "Celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne parle pas".

Ah, j'oubliais, c'était destiné au lecteur occidental qui, lui, n'est pas supposé savoir que cette phrase si profonde est repompée d'un classique chinois de Lao Tseu, un philosophe du VI° siècle avant J.-C. (je le fais presque aussi bien que Zoé Valdés).

Et l'histoire, au fait ? En gros, à cause de la crise économique, un père va en direction de l'Amérique, vers Cuba. Son fils part à sa recherche. Sur le chemin, il n'arrête pas de rencontrer des gens qui savent qu'il a un long chemin à faire. Ce sont des sages, sans doute (pourtant, eux parlent... donc ils ne savent pas ?).
Par exemple : "[....] tu voyageras dans un monde captivant, tu verras, je te le promets." (page 179)
Mais le pire : "tu dois accepter ton destin" (page 207). Ah la la... Le cliché éculé... l'horreur.

Zoé Valdés parle, à propos d'une chanteuse, de sa "voix de fausset" (page 207). Bizarre. Les femmes, généralement, n'ont pas de voix de basse.

Sinon, quoi d'autre ?
On peut lire "Nous sommes aujourd'hui le 8 février mille neuf cent deux, articula-t-il." (page 53).
Amusant. Le calendrier grégorien a été adopté en Chine en 1912. Et encore, il a fallu du temps pour qu'il se répande partout en Chine. Le village du Sichuan est décidément en avance sur son temps.

Parfois, ça paraît tellement idiot qu'on se dit que ce n'est pas possible, c'est forcément de l'humour.
Ainsi, page 298 : "Cependant, sa passion dura moins de temps qu'il n'en faut pour le dire : quelques mois après que le cinquième rejeton eut vu le jour, [...]".
C'est vrai, à peine le temps de le dire, hop ! elle a cinq enfants. Si c'est de l'humour, ce n'est pas vraiment drôle...

Allez, pour finir, page 318 : le héros "mémorisait ce bref et impressionnant épisode de son interminable voyage, il voulut la rebaptiser du nom d'Aziyadé, comme l'héroïne du roman de Pierre Loti, tant apprécié par les prostituées françaises du quartier de Colon".

Mémoriser un souvenir, en voilà une nouveauté ! Remémorer, là, je comprendrais. Albert Bensoussan devait vraiment être à bout. Je parierais qu'il n'a pas apprécié le livre. D'ailleurs, il n'a sans doute pas relu la fin du bouquin. Déjà, à la page 216, on lit "[...] de la période comprise entre 699 et 759 avant JC". En général, on écrit le contraire, en mettant la date la plus ancienne en premier.

Quelqu'un a-t-il relu ce livre ?

En tout cas, la prochaine fois que j'irai dans les bouges de Colon, j'emmènerai les oeuvres complètes de Loti, je pourrai échanger mon point de vue avec les prostituées françaises. Il faut que quelqu'un le signale au Guide du Routard et au Lonely Planet.

En conclusion : un roman trop long, linéaire dans la première partie, bizarrement construit dans la deuxième, sans vraie nécessité. Une histoire pas formidable, desservie par un style très maladroit, des références calculées, de la pseudo-sagesse éculée depuis plus de 2000 ans.

J'espère vraiment qu'il ne s'agit pas du meilleur livre de l'auteur. Mais comment le savoir ? Ce n'est pas demain la veille que je retenterai.



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