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KOBAYASHI Takiji

(Odate, 13/10/1903 - Tôkyô, 20/02/1933)

KObayashi Takiji

Kobayashi Takiji était un auteur prolétarien.
Né dans une famille de paysans ruinés, il a pu faire des études grâce à un oncle, que sa famille avait rejoint dans l'île de Hokkaidô. Il écrit très jeune, mais son oncle ne voulait pas qu'il suivît cette voie. Il le fera tout de même, en participant notamment au journal de l'Ecole supérieur de Commerce d'Otaru. Puis il devient employé de la Banque du Défrichement de Hokkaidô. En même temps qu'il constate la dureté des conditions de vie des travailleurs de cette partie du Japon, il travaille donc pour une banque qui exploite d'une certaine façon ces mêmes travailleurs, notamment en s'arrangeant pour mettre la main sur les terres une fois mises en valeur.

"Il doit la chance d'avoir pu faire des études à un oncle qui incarne la réussite individuelle, les succès de la libre entreprise tels que le développement de Hokkaidô les rendaient possibles. Ainsi, si son oeuvre découle de ses expériences vécues, elle entre en contradiction avec ce qui constitue son quotidien. En quelques années, il va résoudre ces paradoxes en faisant le choix de l'engagement." (page 127 - il s'agit de la postface du roman Le Bateau-usine). Il se tourne vers "la mouvance communiste et la littérature prolétarienne."
"Le Bateau-usine (Kanikôsen) et Le Propriétaire absent (Fuzai jinushi), qui paraissent l'année suivante, font de lui la figure majeure de la littérature prolétarienne. La publication du Propriétaire absent, dans lequel il dénonce la responsabilité directe de la banque qui l'emploie à l'égard de la pauvreté des paysans, lui coûte son emploi. Renvoyé à la fin de l'année 1929, il se consacre exclusivement à l'écriture et à l'engagement politique." (pages 128-129).
"Il passe l'année 1930 presque entièrement en prison." (page 129). Il est accusé d'avoir contribué au financement du Parti Communiste. Il est emprisonné une deuxième fois pour "écrit irrévérencieux envers l'empereur", à cause d'un passage du Bateau-usine.
Libéré début 1931, il vit dans la clandestinité, continue à écrire, notamment "Vie d'un militant du Parti (To seikatsu sha), un récit à la première personne décrivant la vie dans la clandestinité." (page 130).
Le 20 février 1933, il est arrêté. Conduit dans un commissariat, il décède en fin de journée, après avoir été torturé. Officiellement, il est décédé d'un arrêt cardiaque.
Sa mort est "notamment dénoncée par l'écrivain chinois Lu Xun, et par Romain Rolland en France." (page 125).

Bateau usine

Le Bateau-usine (Kanikôsen, 1929). Traduit du japonais et présenté par Evelyne Lesigne-Audoly. Editions Yago. 138 pages. La postface (il n'y a pas de présentation avant l'oeuvre) est très intéressante, et a donc le très bon goût d'être après le roman. Elle renseigne sur l'écrivain, les conditions de l'écriture du roman, et présente une courte analyse de l'oeuvre.

"Kobayashi Takiji s'est inspiré de faits véridiques, à propos desquels il s'est documenté avec soin. La pêche au crabe en mer d'Okhotsk est apparue au début des années 1920. Le crabe et le saumon, produits de luxe, comptaient parmi les principales productions destinées à l'exportation. C'étaient donc des ressources permettant d'obtenir des devises étrangères, dont on comprend aisément l'intérêt stratégique dans un contexte de course à l'armement." (page 131).
Kobayashi Takiji a notamment rencontré des pêcheurs, des ouvriers. Le livre est basé sur du réel, et commence ainsi :
"« C'est parti ! En route pour l'enfer ! »
Accoudés au bastingage, deux pêcheurs contemplaient Hakodate. La ville embrassait la mer de son corps d'escargot s'étirant hors de sa coquille. L'un des deux cracha une cigarette fumée jusqu'aux doigts, qui fit plusieurs pirouettes en tombant le long de la haute coque du navire. L'homme puait l'alcool de la tête aux pieds.
" (page 7).

"En regardant le dortoir des ouvriers du haut de l'écoutille, on les voyait s'agiter dans la pénombre du fond de la cale, sortant tour à tour leurs têtes des couchettes superposées, comme des oisillons dans un nid. Tous des gosses de quatorze, quinze ans. [...]
Ils devaient dormir à plusieurs dans des grandes couchettes faites de planches, formant des compartiment superposés. Dans chaque couchette, ils s'étaient regroupés selon leurs régions d'origine.
" (page 8).
C'est la "tanière" des ouvriers. Deux pêcheurs étaient venus les voir, puis en ressortent. "Renfrognés, soudain muets, ils quittèrent hâtivement la tanière des ouvriers pour retourner dans le « nid » des pêcheurs, une cale en forme de trapèze, située plus près de la proue. A chaque fois que l'ancre descendait ou montait, le dortoir se transformait en bétonneuse : les pêcheurs, projetés en l'air, se cognaient les uns aux autres.
Dans la pénombre, des hommes grouillaient comme des porcs. A l'odeur aussi, une odeur à faire vomir, on se serait cru dans une soue
." (page 10).

Les hommes discutent. Cela permet à Kobayashi Takiji de raconter brièvement, mais de manière éloquente, la situation de gens de provenances différentes : paysans, itinérants, mineurs, étudiants...
"Pour leurs employeurs, mettre ensemble ces hommes venus d'horizons si divers était vraiment une bonne aubaine, car cela évitait trop de solidarité dans l'équipage. Il faut dire que pendant ce temps, les syndicats de travailleurs de Hakodate se démenaient pour infiltrer les équipages des bateaux envoyés au Kamchatka. Ils tissaient aussi des liens avec les syndicats des régions du nord de Honshû : Aomori, Akita. Les patrons redoutaient plus que tout la mise en place de ces réseaux." (page 16).

Mais voici que l'intendant (un homme bien pourri, sans scrupules, à la botte du patronat, dont le but est de maximiser le profit, qu'importent les pertes humaines) prend la parole :
" « Comme on a déjà dû vous l'expliquer, vous êtes embarqués sur ce bateau-usine pour des raisons qui dépassent de loin les profits d'une entreprise donnée, n'est-ce pas, c'est une affaire de la plus haute importance pour les relations internationales... Il s'agit de montrer qui est le plus fort : le peuple du Grand Empire nippon, ou les Russkofs. C'est un duel entre eux et nous ! [...] »" (page 17).
Le bateau vogue dans des conditions très rudes, à la limite des eaux russes, dans une mer parfois démontée. L'intendant exploite la fibre patriotique des ouvriers et des pêcheurs... "Mais la plupart retrouvaient en l'écoutant la fierté d'être japonais. Aussi, les mauvais traitements subis jour après jour leur paraissaient du coup héroïques, ce qui était leur unique source de réconfort." (page 68).
Les conditions de travail sont donc exécrables : froid terrible, coups, travail harassant et souvent en dépit du bon sens, saleté repoussante, malnutrition (apparition du béribéri). "Les bateaux-usines étaient des « usines » avant d'être des « navires ». La loi sur la navigation ne s'y appliquait donc pas." (page 28).
Le lecteur est immergé dans la vie des travailleurs (pour reprendre le vocabulaire du livre). Promiscuité pendant des mois...

Le vocabulaire est parfois cru : Kobayashi désigne les choses telles qu'elles sont.
"Quand ils dévêtirent le mort pour la toilette funéraire, l'odeur pestilentielle qui s'en dégageait leur donna la nausée. D'affreux poux blancs et plats couraient de partout. Tout ce corps couvert d'écailles de crasse faisait penser au tronc d'un pin abattu. Sur le torse, on pouvait compter une par une les côtes saillantes. L'état avancé de la maladie ne lui permettant plus de se lever, il avait uriné sur place. Tout son corps puait. Ses sous-vêtements avaient pris une teinte rouille et partirent presque en lambeaux quand ils les soulevèrent du bout des doigts, comme si on avait versé dessus de l'acide sulfurique. On ne voyait plus le nombril, l'orifice était rempli à ras bord de saletés et de crasse. Autour de l'anus, les déjections formaient une croûte sèche accrochée comme de la terre glaise." (page 87)

Il n'y a pas un seul héros à proprement parler, ce qui n'est pas illogique, on est dans une perspective de masse, de peuple qui doit se révolter face à des exploiteurs.
La méthode d'exploitation est bien mise en valeur, notamment la compétition instaurée, et qui ressemble à ce que l'on constate actuellement dans certaines entreprises (surtout d'inspiration anglo-saxonne) : salarié du mois, équipe du mois, récompenses purement honorifiques, mais qui poussent les salariés à se défoncer, sans gagner plus.

En 2008, le livre, remis en valeur au Japon, est devenu un best-seller (500 000 exemplaires vendus). Au-delà de l'histoire simple, du méchant très méchant (et caricatural ? je ne sais franchement pas, parce que dans le Japon des années 1920...), des riches qui festoient pendant que le peuple travaille, il y a des résonances que l'on pourrait dire contemporaines, mais qui en fait n'ont jamais cessé d'être actuelles : la répartition capital/travail, la motivation des gens au travail, etc.

Dans ma boîte (au passage, ce terme - boîte - ressemble à un emprisonnement), il nous a été dit à plusieurs reprises que l'on travaille "pour les actionnaires". Pas pour la société qui nous emploie, non : "pour les actionnaires". Or, ces actionnaires veulent un profit maximal à court terme (avant de, éventuellement, revendre leurs actions et d'aller voir ailleurs), et se désintéressent des perspectives à long terme ("A long terme, nous sommes tous morts", a dit Keynes). Au passage, cette opposition court terme/long terme est le sujet du bon film : La Tour des Ambitieux (Executive Suite, Robert Wise, 1954 - un demi-siècle après, rien n'a changé).
Bref, tout ceci pour dire que l'appât du gain maximal à court terme conduit à des décisions objectivement absurdes, quasiment caricaturales et finalement contre-productives, comme celles que prend l'intendant dans le roman.
Les motivations des hommes restent les mêmes.

Comme le remarque Evelyne Lesigne-Audoly dans sa postface, "l'oeuvre n'est pas alourdie par une rhétorique marxiste trop datée. Cela a sans doute contribué à lui permettre de survivre à son époque." (page 135). Kobayashi Takiji a écrit un roman qui se lit comme un roman, sans doute un peu surligné mais bien écrit, qui communique bien l'envie de révolte, et dont la morale est vraiment évidente : l'union fait la force.


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