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ABE Kôbô

(Tôkyô, 07/03/1924 - Tôkyô, 22/01/1993)

abe kobo

Abé Kôbo (Abé Kimifusa de son vrai nom) a écrit des poèmes, romans, nouvelles, pièces de théâtre. Il était également photographe et compositeur (il possédait un synthétiseur).
Il est généralement considéré comme un des auteurs majeurs de la deuxième moitié du XX° siècle au Japon.


Fils de médecin, il passe son enfance à Mukden (Mandchourie) où son père est professeur de médecine. Il retourne au Japon en 1941, entre à l'Université en 1943. Il est dispensé du service militaire à cause d'une maladie respiratoire (il a été atteint de tuberculose, ce qui l'a obligé à arrêter ses études pendant un an, qu'il a mis à profit pour lire tous les livres qui se trouvaient chez lui).
Pendant la guerre, il retourne en Mandchourie. "Lorsque le Japon capitula, l'Empire Mandchoue disparut. Les pionniers japonais, chassés par l'Armée Soviétique et attaqués par la guérilla, devinrent des réfugiés et se volèrent la nourriture les uns aux autres. De nombreux vieillards furent laissés sur place, dans le désert Mandchoue, et de nombreuses femmes se suicidèrent avec leurs enfants. Dans ce chaos, le père d'Abé mourut de choléra et Abé Kôbo réussit à regagner le Japon à la fin de 1946." (traduction de : http://www.horagai.com/www/abe/xbioabe.htm).
Abé Kôbo est diplômé de médecine en 1948 (Université de Tôkyô). Il renonce à exercer la médecine le jour même où il y est habilité (il paraîtrait qu'il aurait obtenu son diplôme à la condition qu'il n'exerce pas) et se consacre à l'écriture.
Il adhère à un groupe littéraire dont le but était la fusion entre le marxisme et le surréalisme (le marxisme était en vogue à l'université, en réaction au militarisme - "En exagérant un peu, en dehors de Mishima Yukio, presque tous les jeunes écrivains de l'époque avaient rejoint le parti communiste, pour en être exclus plus tard lors des purges", a dit sa fille, Abe Neri, cf http://www.horagai.com/www/abe/xneri.htm).

Ses oeuvres sont rapidement publiées avec succès : Les Murs, (Prix Akutagawa 1951), Le Cocon rouge (Prix de Littérature de l'après-guerre), La Femme des Sables (1962, Prix du Yomiuri), qui remporte un grand succès dans le monde entier, et qui est adapté en film.
1962 : Il est exclu du parti communiste pour déviation trotskiste. La Femme des Sables ne répondit apparemment pas aux Canons du Parti.

Abé Kôbô dirige sa propre troupe théâtrale, qui lui prend l'essentiel de son temps pendant les années 70.


"Dans ces nombreuses oeuvres se retrouve un même parcours : à la suite d'un événement imprévu, un homme d'âge et de statut social moyen est brutalement arraché à la routine, part et ne revient plus. Une fois déclenché le processus de rupture, le héros, selon une logique burlesque et déroutante, développe les conséquences du postulat initial. L'espace dans lequel il erre est le plus souvent clos et/ou souterrain : trou dans la dune, souterrains labyrinthiques, grotte... Le parcours est susceptible de lectures plurielles car Abe joue simultanément avec des genres différents : roman policier, conte fantastique, conte philosophique, quête initiatique, auto-analyse, science-fiction..." (A. Cecchi, dans le Dictionnaire de littérature japonaise, sous la direction de jean-Jacques Origas, PUF-Quadrige, page 2).

femme des sables

- La Femme des sables (Suna no onna, 1964, Le Livre de poche biblio, 318 pages, traduit en 1967 par Georges Bonneau).
Concernant le contenu du roman, l'éditeur, dans son avant-propos, dit que les analyses faites précédemment par la critique américaine, qui avait parlé d'"aliénation d'identité", étaient un peu hâtives (références à Beckett, Camus, Sartre, Kafka).
"Sur la foi du texte d'Abé Kôbô, l'éditeur pense, avec le traducteur, que le roman n'est pas d'une désintégration, mais d'une lente ascension de la personne humaine ; qu'il n'est pas une dialectique, mais une symbolique de l'existence ; qu'il n'est pas une métaphysique, mais une morale provisoire, à notre seule mesure, avec nos seuls moyens, dans le seul monde où nous sommes jetés. Toute évasion appelle une punition : mais, surmontée l'épreuve, s'ouvre le sentier d'une joie très haute." (page 10).


Le roman commence ainsi : "En plein mois d'août un beau jour, il advint qu'un homme s'évanouit sans laisser de traces. A la faveur d'un congé, il avait pris le train pour passer au bord de la mer une seule demi-journée ; et c'était la dernière certitude que l'on eût à son sujet : après, rien, nulle nouvelle. Requêtes aux fins de recherche, petites annonces dans les journaux, tout fut vain, tout s'éteignit." (page 13).
"Supposition la plus naturelle, tout un chacun, dès l'abord, s'était plu à imaginer qu'il ne pouvait pas ne pas s'agir d'un amour secret liant deux êtres. Mais (bien qu'il vécût seul dans une chambre de pension) l'homme était marié ; et interrogée, sa femme déclara que le voyage n'avait d'autre but que de rechercher des spécimens d'insectes : si bien que le policier chargé de l'enquête, lui et ses collègues du Commissariat, restèrent dans le vague sentiment que les choses, quelque peu, leur échappaient." (page 14).

Que s'est-il passé ?

L'homme était bien descendu à la gare de S., avec tout son attirail : une grande boîte en bois et bidon d'eau potable. Puis, il avait pris l'autobus jusqu'au terminus, un coin perdu, près de la mer.
"Dans les parties basses, des rizières aux compartiments étroits, avec, dans les intervalles, çà et là, quelque peu surélevés en manières d'îlots, des champs plantés d'arbres à kakis. L'homme, sans s'y arrêter, traversa un village, et, sur un terrain blanchâtre qui, peu à peu, s'allait desséchant, en direction de la mer continua sa marche." (pages 16-17).
On a déjà là un aperçu de la lourdeur du texte, l'abondance hoquetante des virgules, qui se finit sur une expiration sans virgule, mais avec le verbe placé d'une façon vraiment pas naturelle ( "en direction de la mer continua sa marche").

"L'homme se retourna vers le hameau, attachant son regard à la profondeur des grands trous creusés près de la crête des dunes, puis, plus loin, à tous les autres trous qui, face au centre du hameau, alignaient leurs gradins : on eût dit d'une ruche dont les alvéoles eussent été en partie brisés. Sur les dunes, le village se présentait en couches superposées ; ou, si l'on veut, c'étaient les dunes qui, au-dessus du village, se présentaient superposées. A coup sûr, en tout cas, paysage irritant d'où nul calme n'émanait, nulle paix possible pour l'être humain.
L'homme, malgré tout, avait enfin touché son but : les dunes. Et cela lui suffisait. Il but une gorgée de l'eau de son bidon, puis, à pleine bouche, aspira l'air : mais cet air même, qui lui avait paru si transparent et pur, lui donna dans la gorge la sensation d'une râpe.
" (pages 19-20).

Globalement, le style du roman est horriblement lourd. A cause de la présence de trop nombreuses virgules... mais également parfois à cause de leur absence. Par exemple, lorsque l'homme, à la recherche de ses insectes, arrive "au bord d'une falaise donnant sur un creux profond" :
"Sur l'extrême bord, il avança un pied, timide, puis laissa son regard plonger : l'intérieure obscurité du trou tranchait à ce point sur la clarté de son pourtour que l'annonce était là présente de la déjà proche chute du jour.
Tout au profond de l'obscur, son extrême faîtage enfoncé d'un côté, obliquement, dans la paroi de sable, une petite maison, enveloppée de silence, gisait, sombrée.
" (page 29).

Waou. Sans rire.

Bref, il y a trois causes de lourdeur :
1/ Abondance invraissemblable de virgules :
" « Bon, se dit l'homme : en plus de la crème insecticide, je vais, avant de me coucher, mettre, sans faute, un collyre ! »" (page 37).
"Que conclure, sinon que, vraisemblablement, pour ce qui était du sable, tout se passait, en apparence du moins, comme s'il existait, pour ainsi dire, un angle de pente constant." (pages 93-94).
"Le problème, cependant, n'en était pas, pour autant, résolu." (page 213).
etc.

2/ Absence de virgules et charabia :
"L'excessive intensité même de leur aspiration vers une vie dont leur seul caprice serait le seul maître fait qu'ils ne peuvent souffrir de voir personne autre agir selon sa propre et libre fantaisie sans aussitôt le prendre en haine !..." (page 105).
C'est cela, oui...

3/ Interversions diverses, de l'adjectif ou du verbe, à croire que c'est Yoda (le grand sage de Star Wars, bien sûr) qui écrit. Exemple entre mille, page 37 : "une rouge inflammation".

Tout semble fait pour renforcer l'artificialité, la lourdeur. Conjuguons les virgules et les interversions, on aura (toujours le syndrôme Yoda) :
"Mais de rester à rêver, l'homme ne pouvait se le permettre. Autant que possible, il lui fallait, avant la tombée de la nuit, mener à bien son projet." (page 92).

Alors, est-ce que cette lourdeur du style est voulue, pour renforcer l'effet d'engluement dans le sable, la chaleur, etc. ?
C'est pourtant ce que l'éditeur appelle (page 10) : "un style d'une extraordinaire polychromie qui déborde les écoles, suscite les contrastes, crée son propre mouvement."
Si l'on veut.

L'homme du roman, une sorte de scientifique, est décrit avec la froideur analytique, accompagnée de quelques commentaires, comme justement un scientifique décrirait les atermoiements d'un rat de laboratoire confronté à un piège, à un labyrinthe ou à toute autre expérience issue des méninges de professeurs un peu sadiques.


L'histoire - le peu qu'il y en a - ne manque pas d'originalité, d'étrangeté. Elle est intéressante, intellectuellement. On sent qu'il y a du Symbole là-dedans. Reste à savoir de quoi c'est le Symbole, et là, on peut tout y voir.
A. Cecchi, dans le Dictionnaire de la littérature japonaise (sous la direction de Jean-Jacques Origas) suggère que les dunes de sable sont peut-être une réminiscence de l'enfance en Mandchourie de l'auteur.
Ça, c'est clair. Voyons maintenant ce qu'en dit l'éditeur du roman - après avoir avalé une aspirine, c'est plus prudent :

"Mais ce sur quoi on n'insistera jamais assez, c'est que, si notre pensée à nous tend toujours à se condenser et à se fixer dans l'Idée, la pensée japonaise, quant à elle se meut et se développpe naturellement dans le Symbole, substituant ainsi à notre Connaissance de Raison, laquelle procède par propositions systématisées, une Connaissance de Méditation, descente continue vers l'interne profondeur, et que chaque âme conduit selon sa propre spiritualité. C'est assez dire que la valeur du Symbole ne s'apprécie point à l'universel de sa cohérence intellectuelle, mais à la seule richesse des suggestions qu'il suscite dans l'individuelle durée." (pages 316-317).
Aïe, on aura noté le bonheur qu'il y a à intervertir le nom et l'adjectif... l'"individuelle durée", ça rend rudement mieux la complexité du propos que la "durée individuelle", c'est sûr.
En gros, l'Européen essaye d'analyser objectivement, alors que le Japonais y voit un symbole dont il tente de résoudre la signification à la lumière de son expérience. "Ce qui se conçoit bien", etc.

On pourra, donc, dire que, sans doute, il s'agit d'une intéressante lecture, dans sa profonde complexité, sa polychromie stylistique et inter-textuelle.
Désolé, ça m'a échappé. Mais c'est ça : un roman intellectuellement intéressant.

Par contre, dire qu'il s'agit d'une lecture agréable serait un mensonge. Vanter le style du roman, en tout cas dans sa traduction, serait avoir une conception particulièrement perverse du style. D'où une grave question : qu'en est-il du style original ?


Pour finir, deux extraits de Regards d'encre - Ecrivains japonais 1966-1986, de Jean Pérol (Edition La différence,1995, 253 page).

1/ Tout d'abord, une interview :
"- [Abé Kôbô] : C'est Monsieur Georges Bonneau qui traduit. C'est un homme déjà âgé, si bien que la traduction n'avance pas beaucoup. Je le regrette un peu, parce qu'on pourrait mieux saisir cette différence entre les films et les livres qui, je le répète, ne peuvent être jugés d'après les films.
Jean Pérol : - [...] Faut-il croire à cette valeur symbolique de vos oeuvres ?
- [Abé Kôbô] : La littérature japonaise a baigné, et baigne encore, dans le naturalisme. Formés ou déformés par lui, les lescteurs sont incapables de lire un roman tel qu'il est. Ne pouvant l'admettre, ils veulent le compliquer. Ils désirent à tout prix y mettre une valeur allégorique. Et je pense que c'est une tendance fâcheuse, très fâcheuse. Maintenant, à propos de mes romans, force m'est de constater que la caméra a passé par-dessus les livres, et que les gens s'en font une idée en fonction de ce qu'ils ont vu au cinéma. Or il y a une grande différence entre mes romans et les films qui en ont été tirés." ( pages 201-202).

2/ Voici maintenant une analyse de La Femme des sables (attention, ce qui suit en dit beaucoup sur le roman...) :
"L'homme est dans son trou, manie la pelle, regarde en haut, veut s'échapper, crie son angoisse et sa révolte devant tant d'absurdité qui l'entoure et le tient prisonnier, dans ce trou de sable de village, dans ce trou de sable de vie. [...] Cette valeur allégorique, nul besoin de la mettre à tout prix dans son roman, elle s'impose d'elle-même, elle réaffleure sans cesse. [...]
En effet, avec Abé Kobo, on passe à la conception occidentale de l'art orchestral, on abandonne le koto ou cette flûte, solitaires et poignants, de l'art d'un romancier comme Kawabata Yasunari. Voici cette fois les cuivres, les dizaines de violons, les cymbales, les hautbois, etc., et le chef d'orchestre. L'harmonie, peut-être, mais l'harmonie dans le volume et la force. Ce n'est plus un instant de la vie humaine éternisé et épuisé dans sa vibration, c'est l'existence humaine en son entier. Sans doute est-ce aussi pour cela que les jeunes Japonais s'intéressent tant à Abe Kobo, pour une tonalité, une plénitude, une force, voire même une cinglante crudité, qu'ils trouvent dans ces pages et qui les changent de ce fugace, de ce mélancolique et de cet exquis dont ils ont été, croient-ils, surnourris.
Avec abondance donc (une abondance qui frise parfois le bavardage), Abé Kobo se livre dans ce roman à un véritable inventaire de notre condition humaine. La faiblesse, le désarroi, la violence, le mariage, la sexualité, les paperasses, les préservatifs ("alors, lui disait la femme, pour toute ta vie tu gardes ton chapeau ?"), l'ordre, la mort, l'espérance, le couple, le temps, la solitude [...], l'histoire, les journaux, le rire, l'action, le travail, le désespoir, la cruauté, le dérisoire, le cocasse, la bonté, le plaisir, tout est charrié dans des pages foisonnantes de pensées, de réflexions, d'images baroques et inattendues, parfois de véritable poésie. [...]
La morale du livre se prépare, elle arrive, elle est là [...]. Il reste. Il est maintenant d'ici, non plus victime des éléments, mais les dominant, non plus prisonnier des autres et à leur merci pour un peu d'eau et de nourriture, mais utile, pouvant donner à son tour. Ce qu'il vient de gagner, ce bonheur du corps et du coeur, en comparaison de sa vie de petit bourgeois perdue, l'emporte de loin dans son esprit. Son épouse insipide comme on les fait à la chaîne (ses attitudes de cinéma et ses propos libres sur le sexe), ses collègues étriqués, l'horaire du lycée, les journaux, sa blennorragie mentale, tout cela disparaît, dérape à tout jamais derrière lui ; sans regret. Le voici du village des sables, avec un don pour les autres au creux de ses mains." (pages 215-218)

 


Autres livres disponibles en français :
- Les Murs (recueil de nouvelles).
- Rendez-vous secret (Mikkai, 1977)
- L'Homme Boîte (Hako otoko, 1973)
- La Face d'un autre (Tanin no kao, 1964)
- Mort Anonyme (Mukankei na shi, 1964). Nouvelles.
- Cahier Kangourou (Kangaruu noto, 1991)
- Le Plan déchiqueté

Films d'après son oeuvre :
- Kabe atsuki heya (1953), réalisé par Kobayashi Masaki, le réalisateur de Kaidan et Seppuku.
- Okuman choja (1954), réalisé par Ichikawa Kon (le réalisateur de la Harpe de Birmanie, notamment).
- Le Traquenard (Otoshiana, 1962), réalisé par Teshigahara Hiroshi.
otoshiana
- La Femme des Sables (Suna no onna, 1964), également réalisé par Teshigahara Hiroshi. Deux nominations aux Oscars : meilleur film et meilleur réalisateur. Prix Spécial du Jury à Cannes.
Un excellent film. Abé a écrit les dialogues du film.
dunes
- Ako (1965), encore réalisé par réalisé par Teshigahara Hiroshi. Il s'agit d'un format court (29 minutes).
- Tanin no kao (1966), réalisé par... Teshigahara Hiroshi (surprise !).
- Moetsukita chizu (1968), réalisé par Teshigahara Hiroshi (eh oui).
- Friends (1988), réalisé par Kjell-Åke Andersson, avec notamment Stellan Skarsgård et Lena Olin.
- L'Homme Boîte (The Box Man, 2002), court-métrage d'animation réalisé par Nirvan Mullick (né en 1975). Prix du meilleur court métrage animé au Cleveland International Film Festival en 2003. On peut voir ce très curieux film sur youtube :


Anecdote :
Abé Kôbo a été semble-t-il le premier écrivain japonais à utiliser un traitement de texte. On peut voir la disquette contenant le texte de Cahier Kangourou sur http://www.horagai.com/www/abe/xtadu.htm




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