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Olivier Roy

(La Rochelle, 30/08/1949-)


olivier roy

"Né le 30 août 1949, à La Rochelle, marié (deux enfants), agrégé de Philosophie et diplômé de l'INaLCO en persan (1972), Olivier Roy a enseigné la philosophie au lycée de Dreux de 1973 à 1981, tout en voyageant tous les ans dans le Moyen-Orient.

En 1981, il se met en disponibilité pour se consacrer à l'étude de la guerre d'Afghanistan (18 mois de séjour avec les Moudjahidines en 8 voyages de 1980 à 1988) : de cette expérience sortira "Afghanistan, Islam et modernité politique" (Le Seuil 1985). Il a effectué sa dernière mission durant la guerre en Afghanistan comme consultant pour une agence de l'ONU.

Olivier Roy s’est consacré après son entrée au CNRS en 1985 (section Science du politique) à l'étude des mouvements politiques islamistes, en effectuant des études de terrain d'abord en Afghanistan, en Iran, puis en Asie centrale ex-soviétique. [...] De ces recherches de terrain sont issus « La nouvelle Asie centrale ou la fabrication des nations » Le Seuil, 1997, « Iran : comment sortir d’une révolution religieuse ? » (avec Farhad Khosrokhavar), Seuil 1999.
Olivier Roy a aussi travaillé sur la théorisation des phénomènes de radicalisation islamique : L'Echec de l'Islam politique (Le Seuil, 1992) et Généalogie de l’islamisme (Hachette, 1995), ainsi que sur la géostratégie du Moyen-Orient (Les illusions du 11 septembre, Le Seuil 2002, Le Croissant et le Chaos, Hachette 2007).

En croisant l’étude des phénomènes de radicalisation sur le terrain des sociétés musulmanes avec l'évolution de l’islam en Occident, il est ensuite passé à une approche globale des questions de l’Islam contemporain (L’islam mondialisé, Le Seuil, 2002. La laïcité face à l’islam, Stock, 2004) et enfin à une étude comparative des phénomènes de revivalisme religieux dans le monde contemporain (La Sainte ignorance, Le Seuil 2008).
Olivier Roy a enseigné à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et dirige un séminaire à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. En 2002, Olivier Roy a été « research fellow » au Center for transregional studies, en février-mai 2002 (Université de Princeton) En 2008-2009, il est «visiting professor » à l’université de Berkeley. Depuis la rentrée 2009 il est professeur à l'Institut Universitaire Européen de Florence (Italie), où il dirige le Programme Méditerranée [...].
" (http://cetobac.ehess.fr/index.php?102 ) .

orient perdu
Couverture : avec un combattant du Jamiat-iIslami, Ghalmin, province de Ghor, Afghanistan, août 1983. (c) Chantal Lobato.

En Quête de l'Orient perdu. (2014) Entretiens avec jean-Louis Schlegel. Seuil. 314 pages.
Il s'agit d'un livre d'entretiens dans lequel Olivier Roy se raconte, à peu près chronologiquement : ses voyages, ses recherches, ses rencontres.
Voici le début :
"Mai 1969 : vous êtes en khâgne à Louis-le-Grand, vous avez dix-neuf ans et vous passez l'écrit du concourt de Normale sup'. Vous n'attendez pas les résultats : début juin, vous partez en auto-stop en Afghanistan, avant l'oral. Vous aviez prévu de ne pas être admis à l'oral ou vous êtes parti sans vous soucier de la suite ?

Sans m'en soucier. j'avais fait une croix sur l'oral, donc sur le concours... Je voulais juste l'écrit pour valider mes deux années d'études. Quand j'ai appris que j'étais admis à passer l'oral, en bonne position, j'étais déjà à Kaboul.
" (page 17).

"Quand un Turc me prenait en stop, il m'invitait systématiquement à manger au restaurant, mais jamais chez lui. En Iran, c'est l'inverse : les gens ne vivent pas vraiment dans les lieux publics, et donc j'ai dormi dans des familles." (page 23)
Olivier Roy raconte souvent des anecdotes, qui contribuent à rendre le livre vivant. On apprend par exemple l'existence du bozkachi (d'accord, si j'avais lu Les Cavaliers, de Joseph Kessel, je l'aurais connu avant) : "une sorte de football à cheval, où le ballon est remplacé par une chèvre décapitée, et où tous les coups sont permis, sans limite de terrain." (page 29).

bozkachi
Une partie de bozkachi

Mais revenons un peu en arrière. Olivier Roy est entré à Louis-le Grand en septembre 67... rapidement, c'est Mai 68 :
"Je garde plutôt le souvenir d'un moment de grande violence, plus symbolique que physique, d'ailleurs. Un temps sensible aux délires révolutionnaires de la Gauche prolétarienne, j'ai vite réalisé comment, jeune, on pouvait se radicaliser jusqu'à l'absurde, du fait de l'effet de groupe. Je n'ai pas été dupe longtemps de la dynamique de groupe puissante dans ces petits cercles radicaux, et de leur schizophrénie par rapport à la société réelle, aggravée d'un zeste de paranoïa... le tout pouvant conduire jusqu'au terrorisme. Cette expérience me servira plus tard pour comprendre la logique des jeunes qui rejoignent Al-Qaïda." (page 35).

N'étant pas présent pour l'oral du concours de Normal Sup', il choisit d'aller à l'université. Il fait de la philo, du chinois, du persan... Et, tous les étés, il part.

"Que cherchiez-vous vraiment dans cette compulsion à voyager ?

Au début, j'ai partagé l'illusion culturaliste, c'est-à-dire que j'allais dans un autre monde, une autre société, où régnaient une mentalité et une culture spécifiques, uniques, exotiques en un mot... [...] J'étais sensible à la culture en toc ; fumer le narguilé à Istanbul au-dessus de la Corne d'Or, traverser un bout de désert en chameau, boire le thé brûlant en échangeant des salamalecs avec un Bédouin grisonnant sous le turban... J'avais avalé tous les clichés des récits de voyage et des bandes dessinées. [...] Mais, évidemment, à un moment donné, soit le cliché ne fonctionne plus, soit la répétition crée l'ennuie. Ainsi, après le Yémen, j'avais organisé une soirée photos à la Cité universitaire, et on amie algérienne, Amina [...], me dit en regardant les clichés (aux deux sens du terme) que je projetais sur le mur blanc : « Mais c'est complètement raciste, ton truc ! Des femmes voilées, des Bédouins en armes, des chameaux, des bateaux à voile, et pourquoi pas des pirogues et des crocodiles... » En fait, j'aurais bien aimé les pirogues et les crocodiles... Cette remarque m'a fait réfléchir. En regardant de nouveau mes clichés, j'ai compris qu'elle avait raison : je voyageais dans un Orient imaginaire.
" (pages 67-68).

Deux ans plus tard, en 1973, le revoici à Istanbul. Mais, cette fois, il ne va pas dans les quartiers touristiques, il discute avec des étudiants de gauche, boit du Coca avec eux, va manifester contre la guerre du Viêtnam...
"J'avais quitté les cartes postales. La vraie vie commençait. Ce sera une constante dans mes recherches : ne jamais être prisonnier de l'illusion culturelle et chercher, pour mieux comprendre une société, sa banalité.

On voit bien votre évolution intérieure mais, concrètement, elle menait à quoi ?


Je me trouvais confronté, pour le coup de manière très concrète, à un problème de fond qui a fait l'objet de toute une littérature dans les sciences humaines : qu'est-ce qui relève d'une problématique universelle, commune à l'humanité entière, et qu'est-ce qui relève d'une culture particulière ? Le marxisme était en ce sens « humaniste » : c'est la classe et pas la culture qui détermine l'individu, alors que l'anthropologie, tout antiraciste et progressiste fût-elle à l'époque (chez Lévi-Strauss, par exemple), privilégiait par définition la spécificité culturelle. Comment penser la culture au-delà des cultures ?
" (pages 68-69)

Olivier Roy parle de la disparition de l'intellectuel savant au profit de l'expert, de l'apparition d'une véritable économie politique de la recherche : la consultance et l'expertise.
"Cela a contribué à casser les hiérarchies universitaires en permettant à de jeunes chercheurs d'engranger argent et parfois notoriété en contractant avec un pouvoir dont ils se sentiraient, bien à tort d'ailleurs, proches au point de s'imaginer être en position d'influencer ses décisions." (page 85).
Il y a des "recompositions de la relation entre savoir et pouvoir". "Cela posait d'autres questions : peut-on (et doit-on) être neutre politiquement dans ses travaux universitaires ? Quel usage politique l'Etat pouvait-il en faire pour ses politiques « sociales »" (pages 85-86).

La vague humanitaire arrive avec la guerre du Biafra (1967-1970) : "la famine passait de conséquence malheureuse au statut d'événement en soi. Bref, le malheur n'était plus la conséquence d'un événement politique : il était l'événement. [...] En fait, l'irruption de l'humanitaire comme pratique (on part faire de l'humanitaire, comme d'autres allaient rejoindre une guérilla ou, encore avant, devenaient missionnaires) et comme idéologie marque le même tournant que celui de l'arrivée des nouveaux philosophes : le jugement de valeur remplace l'analyse politique. Il y a toujours un « bon » et un « mauvais » , comme dans la pensée de gauche, mais cette fois le « bon » n'est plus ce qui va dans le sens de l'Histoire : c'est plutôt ce qui répond à un système de valeurs." (pages 87-88).

Il parle de beaucoup de choses, notamment de Dreux, où il habite et enseigne au lycée.

afghanistan

On arrive à la décennie 1980 : c'est la guerre d'Afghanistan de 1979 à 1989.
"Quand les Russes ont envahi l'Afghanistan, le 27 décembre 1979, j'ai compris que la porte s'entrouvrait et que ma vie allait changer. Je sus tout de suite que l'invasion était un événement majeur. Quelles que soient leurs intentions ou leur politique, les pays occidentaux auraient besoin de suivre et de comprendre la situation. Or, peu de gens connaissaient le pays et peu parmi ceux qui y travaillaient déjà resteraient sur place. Il faudrait des experts, et j'en serai." (pages 103-104).
Pour entrer en Afghanistan, il y a deux possibilités : humanitaire et militaire. Cela tombe bien, Bernard-Henri Lévy imagine, "ayant bien sûr en tête le film qu'on pourrait en tirer" (page 106), une caravane de chameaux et de chevaux portant vivres et médicaments. Mais c'est plus facile à imaginer qu'à réaliser... Olivier Roy finit par être contacté ; avec un ancien condisciple de BHL, il se rend à Peshawar où il est amené à loger dans un vrai hôtel : "l'humanitaire ne doit pas tomber dans le misérabilisme, nous a-t-on précisé" (page 106). Jolie formule...

Olivier Roy fera plusieurs séjours dans l'Afghanistan envahie par les Soviétiques, y entrant clandestinement.
"On marchait à pied, à cheval, à dos de chameau, pendant des jours, voire des semaines. Je m'y suis perdu, abîmé les pieds, j'ai été retenu des jours et des jours, pour des raisons souvent indéchiffrables, par de petits commandants trop hospitaliers ou trop paranos. J'ai acheté des chevaux, appris à les soigner, passé de nuit à travers les lignes ennemies, j'ai été pris pour un espion soviétique, abandonné par mes guides, confié par eux à des gens pas très recommandables, sauvé par des inconnus, nourri et logé par de pauvres gens, ou parfois reçu comme un pacha par d'étranges notables, dont on ne savait pas trop quel camp ils avaient choisi." (pages 109-110).
Les gens sont méfiants, et on les comprend. "Je méprise la lâcheté, mais je respecte la peur." (page 113).
Ainsi, il est en contact direct avec les moudjahidines, il peut discuter avec eux, comprendre leur vie et leurs choix. Ses livres à venir sont issus de tout cela.
"Mais je dirais surtout que j'ai évité de partir d'un modèle conceptuel et d'une méthodologie définie a priori par les sciences sociales, pour privilégier le contact. Or, aujourd'hui, dans l'université, on fait le contraire : on définit un modèle théorique et on va vérifier, le plus brièvement possible, comment ce modèle entérine ou non (mais il vaut mieux qu'il fonctionne si on veut être reçu) la théorie définie par les maîtres." (page 123).
On en vient à l'islam politique, dont Olivier Roy est le spécialiste : c'est "un mouvement politique moderne qui construit l'islam comme une idéologie politique, dans une perspective étatique - mettre en place un Etat islamique - et pas seulement juridique - instaurer la charia." (page 146).
"Concrètement, l'islam politique n'a de beaux jours devant lui que dans l'opposition, mais il ne peut qu'échouer dès qu'il prend le pouvoir, comme le montrent bien les cas de la Tunisie et de l'Egypte. Ou plutôt : l'exercice du pouvoir marque l'échec non seulement de l'idéologie islamique, mais de l'idée même que la religion est un programme de gouvernement. En effet, l'exercice du pouvoir revient à séculariser la religion, parce que, je le répète, la politique décide de la place du religieux et non l'inverse, y compris et surtout dans une prétendue théocratie." (page 147). Ennahda a finalement voté la constitution la plus laïque du monde arabe ; de leur côté, les « libéraux » laïques en Egypte n'ont "jamais vraiment été des démocrates : au lieu de laisser les islamistes s'enfoncer dans la (mauvaise) gestion du pouvoir, ils leur ont offert une cure d'opposition." (page 147) ; et l'Iran des mollah a conduit à une chute de la pratique religieuse.

politique

Olivier Roy parle aussi des services de renseignements :
"Le problème, en effet, n'est pas tant la collecte de l'information que son analyse. Or tous les services que j'ai connus interdisent à l'analyste d'aller sur le terrain. Il travaille donc à partir de rapports de seconde main et remet son papier à un supérieur hiérarchique qui, lui, doit l'insérer dans la doxa de la maison et veiller avant tout non à la compréhension du terrain mais à la cohérence de la doctrine de l'agence, où le renseignement en fait doit conforter les présupposés de la maison." (page 184).

Entre autres anecdotes, il parle des Yézidis, "ou « adorateurs du Diable», dont mon futur beau-père résumait ainsi la théologie : « Si Dieu est bon et parfait, alors il n'y a pas besoin de le prier, cela n'ajoute rien à ce qu'il est ; par contre, pour que la justice règne sur terre, il faut convaincre l'ange déchu, le diable, de revenir à Dieu, et donc c'est lui qu'il faut prier. » Enfin, une théologie rationnelle !" (page 237).

Parmi les différences culturelles parfois étonnantes qu'il cite: "un village [qui] fait venir en pleine nuit et à cheval le médecin étranger pour un vieillard qui tousse, tout en ne le réveillant pas pour un nourrisson qui meurt dans la maison d'à côté (réponse faite au médecin qui s'indignait : « Il faut neuf mois pour faire un bébé et quatre-vingt dix ans pour faire un vieillard »)" (page 251). Là encore, c'est logique, d'une certaine façon...

Et, bien sûr, il parle du terrorisme.

"Votre analyse du terrorisme apparaît comme plus existentielle, pour répondre en termes satrtiens, que politique.

[...] En comparant Al-Qaïda à des organisations comme la Gauche prolétarienne en France dans les années 1970, je savais de quoi je parlais : je voyais en effet très bien la logique de radicalisation et de folie qui peut régner dans un milieu de jeunes en rupture de ban. Pour comprendre le cheminement qui peut conduire à Al-Qaïda, je n'ai jamais pensé que je devais chercher les causes du côté du Coran. Le Coran est ici une hypothèse inutile, qui ne mène à rien ou qui égare. Pourquoi ce serait seulement dans les années 1980, quatorze siècles après la Révélation, que terroristes et experts découvriraient soudain une justification théologique du terrorisme que personne n'avait remarquée jusqu'ici ? Mais Al-Qaïda n'est pas non plus une conséquence d'une crispation religieuse, ce n'est pas non plus une « révolte identitaire», l'expression de la colère des musulmans face aux agressions occidentales. Car, justement, les radicaux ne viennent pas du « coeur » des sociétés arabo-musulmanes, mais bien de leurs marges. [...] Pour en revenir à Al-Qaïda, par exemple, l'explication est à chercher non plus dans le vertical (du Coran à Ben Laden, en passant par Ibn Taymiyya et Sayyid Qutb), mais dans l'horizontal : l'individualisation, la crise de la référence culturelle, l'autonomisation du religieux et sa déculturation, une nouvelle crise générationnelle.
" (pages 249-250)

Il évoque encore beaucoup de souvenirs, et parle de nombreux autres sujets : la laïcité, la religiosité ("on a peu travaillé sur ce que j'appelle la « religiosité », le rapport personnel du croyant à sa foi et sa manière personnelle de s'inscrire dans le monde.", page 276), ainsi que les thèses de ses différents livres : Afghanistan, Islam et modernité politique (1985), L’Échec de l'Islam politique (1992), L’Islam mondialisé (2002), La Sainte ignorance (2008)...


C'est un livre très intéressant. Bien sûr, pour les sujets traités plus en profondeurs, on ira lire ses autres livres.

On trouvera de nombreuses interviewes de l'auteur sur le net, par exemple : http://www.telerama.fr/monde/olivier-roy-politologue-un-peu-tintin,118746.php


 

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