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JAMES Henry
(New York, 15/04/1843 - Chelsea, 28/02/1916)


henry james
Vers 1900. Photo de William M. Vander Weyde (1871-1929). George Eastman House Collection

 

Un des plus grands auteurs américains (ou anglais) du XX° siècle.
Sa découverte en France fut tardive du fait d'une erreur de jugement de Gide qui trouva les personnages de James trop "mondains" (à noter qu'il avait rencontré James en 1912). Et James alla rejoindre Proust dans la liste des refusés de Gallimard.

"En prononçant, en 1920, un avis négatif face à l'hypothèse de la traduction en français de nouvelles de Henry James et de leur possible parution dans la toute-puissante NRF, André Gide rendit à l'écrivain américain un service paradoxal : celui d'avoir considérablement retardé sa découverte et sa reconnaissance en France. De sorte que, considéré dans le monde anglo-saxon comme le dernier grand écrivain du XIXe siècle, éventuellement le romancier précurseur du XXe siècle naissant, Henry James (1843-1916) est lu ici, chez nous, comme un parfait moderne, surgi dans le paysage au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ayant fait irruption comme un prodigieux continent englouti émergeant des eaux. Un monde en soi, où l'air même qu'on respire est à nul autre comparable. Un monde n'affichant en outre aucun stigmate de l'obsolescence qu'aurait pu induire le décalage chronologique imputable au jugement éminemment discutable de Gide.
Est-ce pour cela qu'aujourd'hui encore on a l'impression d'en être, avec Henry James, au stade de l'exploration, de la découverte – bien davantage qu'à celui de la relecture, certes féconde, mais confortable, d'un quelconque classique de la littérature mondiale ? Sans doute. Les traductions de ses romans, de ses nouvelles, se sont multipliées depuis quelques décennies, mais autour de son œuvre demeure comme une opacité, comme une énigme à lever. Ce secret, tout ensemble magnifique et effrayant, est au cœur même de cette œuvre, en est le noyau, la respiration propre, mais tient aussi à ce caractère presque de nouveauté absolue qui persiste autour de l'écrivain.
" Télérama n&°3172, 30 octobre 2010.

A part ça, on pourra bien sûr lire une vraie biographie sur wikipedia.

jeffrey aspern

- Les Papiers de Jeffrey Aspern (The Aspern Papers,traduit de l'anglais par M. Le Corbeiller). Bibliothèque cosmopolite, Stock. 147 pages.
Le roman commence ainsi :
"
J'avais mis Mrs Prest dans ma confidence : à la vérité, sans elle, j'aurais bien peu avancé mes affaires, car l'idée féconde qui conduisit toute l'entreprise me vint par ses lèvres amies. [...]
Mrs Prest ne savait rien des papiers, mais s'intéressait à ma curiosité, comme à toutes les joies et tous les chagrins amis. Tandis que nous allions, glissant dans sa gondole au toit sociable, l'étincelant tableau vénitien s'encadrant à droite et à gauche dans la petite fenêtre mobile, je vis que mon ardeur l'amusait vraiment beaucoup et qu'elle considérait mon intérêt dans un butin possible comme un beau cas de monomanie.
" (pages 7-9 ; la traduction paraît un peu bizarre... la volonté de "faire vieux", peut-être ?).

Le narrateur cherche à mettre la main sur un paquet de lettre de Jeffrey Aspern, un poète.
"
Elle affecta de traiter légèrement son génie et je ne pris aucune peine pour défendre mon dieu : son dieu est par soi-même sa propre défense. D'ailleurs, aujourd'hui, après sa longue période d'obscurité relative, il brille haut au firmament de notre littérature, ainsi que chacun peut le voir ; il est une part de la lumière qui éclaire notre chemin. Tout ce que j'en dis fut que, sans doute, ce n'était pas un poète de femmes ; ce à quoi elle répondit assez heureusement qu'il avait été celui de miss Bordereau." (pages 9-10).
Miss Bordereau, c'est la vieille femme (mais avant d'être vieille, longtemps, très longtemps auparavant, elle fut jeune, et aimée de Jeffrey Aspern) qui possède ces fameux papiers, et qui ne veut pas les montrer aux exégètes du grand poète. Qui sait ce que contiennent ces papiers ! Et que c'est rageant de savoir que pas bien loin, quasiment à portée de main, se trouvent peut-être des oeuvres inédites, ou du moins des textes qui pourraient éclairer d'une lumière inédite les oeuvres du poète...
La vieille vit recluse avec sa nièce dans un vieux palais de Venise.
"
La gondole s'arrêta, le vieux palais était devant nous ; c'était une de ces maisons qui, à Venise, portent ce noble nom jusque dans la plus extrême décrépitude. « Que c'est joli ! ce gris et ce rose ! » s'écria ma compagne ; c'était la description la plus juste qu'on eût pu faire. Le palais n'était pas remarquable par son ancienneté, il datait seulement de deux ou trois cents ans ; et sa vue ne donnait pas tant l'idée de de décadence que celle d'un découragement paisible, comme s'il avait en quelque sorte manqué sa carrière. Mais sa large façade, avcc son balcon de pierre régnant d'un bout à l'autre du piano nobile - ou premier étage avait une bonne allure architecturale grâce à ses pilastres et ses arcades diverses ; et le stuc, dont ses murs avaient autrefois été enduits, était d'un ton rosé en cet après-midi d'avril. [...]
« Je ne sais pourquoi.... il n'y a pas de pignons de briques, dit Mrs Prest, mais ce coin m'a déjà paru plus hollandais qu'italien plutôt Amsterdam que Venise. Il est anormalement propre pour quelque raison personnelle ; et, bien qu'il soit possible d'y passer à pied, c'est à peine si quelqu'un pense jamais à le faire. C'est aussi négatif - étant donné le lieu - qu'un dimanche protestant.
" (pages 13-14).
C'est vraiment bien écrit...

Comment notre héros va-t-il réussir à s'introduire dans la maison de cette vieille dame revêche ? Réussira-t-il à mettre la main sur ces fameux papiers ? Jusqu'où osera-t-il aller pour parvenir à ses fins ?

Un court texte vraiment très bon. La vieille dame et la nièce sont très bien "dessinées", la nièce un peu naïve à la jeunesse sacrifiée, et la vieille à la logique parfois impénétrable, mais pleine d'avarice. En gros.

 

L'élève   pavans   nouvelles pléiade

- L'Elève. 221 pages. 10/18.
Contient trois nouvelles majeures de James : L'Elève, L'Image dans le tapis et La Bête dans la jungle.

Il va y avoir, dans ce qui suit, de nombreuses comparaisons de versions, sans doute trop.
Mais cela peut permettre, à ceux intéressés par l'achat d'une intégrale des nouvelles, de se déterminer entre les deux concurrentes en présence : la version Jean Pavans et celle de La Pléiade.

1/ L'Elève (The Pupil, 1891). Traduction de Pierre Leyris. 69 pages.
Il y existe de nombreuses traductions de ce texte.
Nous allons en comparer trois : celle de Pierre Leyris chez 10/18, celle de Jean Pavans (Editions La Différence, Nouvelles, volume 3) et celle de François Piquet (La Pléiade, Nouvelles, volume 3).
De plus, on pourra trouver le texte en anglais sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/1032

Le point de départ de la nouvelle est simple : un jeune homme va devenir le précepteur de Morgan, un petit garçon à l'esprit très éveillé (on n'aura toutefois jamais de vrais exemples, de première main pour ainsi dire, de cette intelligence), mais à la santé fragile.
La famille de l'enfant n'est pas bien fiable, comme notre héros va rapidement s'en rendre compte.
La notice de La Pléiade (notamment, car Pierre Leyris, dans la version 10/18, le fait également très bien) précise les sources du texte : en Italie, un ami avait parlé à James d'"« une extraordinaire famille américaine », un « clan bizarre, aventureux, extravagant » et « dont le membre le plus intéressant était un petit garçon »" (La Pléiade, volume 3, page 1364).

Voici notre jeune homme lors de son entretien d'embauche :

Version originale
Pierre Leyris (10/18)
Jean Pavans (La Différence)
François Piquet (Pléiade)
The poor young man hesitated and procrastinated: it cost him such an effort to broach the subject of terms, to speak of money to a person who spoke only of feelings and, as it were, of the aristocracy. Yet he was unwilling to take leave, treating his engagement as settled, without some more conventional glance in that direction than he could find an opening for in the manner of the large affable lady who sat there drawing a pair of soiled gants de Suède through a fat jewelled hand and, at once pressing and gliding, repeated over and over everything but the thing he would have liked to hear. He would have liked to hear the figure of his salary; but just as he was nervously about to sound that note the little boy came back—the little boy Mrs. Moreen had sent out of the room to fetch her fan. He came back without the fan, only with the casual observation that he couldn’t find it. "Le pauvre jeune homme hésitait, temporisait : il lui en coûtait tant d'aborder le sujet des honoraires, de parler d'argent à une personne qui ne parlait que de sentiments et, apparemment, de l'aristocratie. Il répugnait pourtant à prendre congé et à traiter du même coup son engagement comme conclu sans avoir reçu à cet égard des éclaircissements plus formels qu'il ne parvenait à en obtenir avec les façons de cette dame imposante, affable qui, assise en face de lui, tirait une paire de gants de Suède sur une main dodue chargée de bagues et, pressante et évasive tout ensemble, répétait à satiété toutes sortes de choses, hormis celle qu'il eût voulu entendre. Il eût voulu entendre le chiffre de son salaire ; mais juste au moment où il allait pincer nerveusement cette corde, le petit garçon revint - le petit garçon que Mrs. Moreen avait envoyé hors de la chambre lui chercher son éventail. Il revint sans l'éventail, déclarant d'un ton détaché qu'il ne l'avait pas trouvé." (page 21). "Le pauvre jeune homme hésitait et tergiversait : cela lui coûtait un tel effort d'aborder le sujet des conditions, de parler d'argent à une personne qui ne parlait que de sentiments et, pour ainsi dire, d'aristocratie. Mais il ne voulait pas prendre congé, et faire comme si son engagement était décidé, sans avoir dans ce domaine un aperçu plus conventionnel que celui que lui offraient les façons de la femme affable et corpulente assise devant lui, en ajustant une paire de gants de suède* souillés sur des mains grasses et couvertes de bijoux, et qui, tout à la fois pressante et évasive, répétait encore et encore les choses, sans dire celle qu'il aurait aimé entendre. Il aurait aimé entendre le montant de son salaire ; mais juste au moment où il allait nerveusement évoquer cette question, le petit garçon revint : le petit garçon que Mrs Moreen avait envoyé chercher son éventail. Il revint sans cet objet, en déclarant simplement, d'un ton dégagé, qu'il n'avait pas pu le trouver." (page 309). "Le pauvre jeune homme hésitait, tergiversait tant il lui coûtait d'en venir à la question de ses appointements, de parler d'argent à une personne qui ne parlait que de sentiments et, apparemment, de l'aristocratie. Il était pourtant réticent à l'idée de prendre congé et de tenir son engagement pour une affaire entendue sans avoir reçu sur ce chapitre des assurances plus formelles qu'il n'en découvrait dans le flot d'amabilités de cette dame imposante qui, assise en face de lui, faisait glisser une paire de gants de suède* défraîchis dans sa main potelée, chargée de bagues, et qui, insistante et évasive à la fois, répétait à satiété toutes sortes de choses sauf celle qu'il eût voulu entendre. Il aurait voulu entendre le montant de ses émoluments ; mais au moment même où il allait timidement aborder le sujet réapparut le jeune garçon que Mrs. Moreen venait d'envoyer chercher son éventail dans une autre pièce. Il revint sans l'éventail, se contentant de déclarer d'un ton impertinent qu'il ne l'avait pas trouvé." (page 313)

On notera que la version 10/18 ne précise malheureusement jamais quand les mots sont en français dans le texte... Dommage.
De plus, elle utilise des expressions bien vieillottes ("pincer la corde" ; "mordre" - pour "comprendre", page 31). Plus loin, "philistins" est traduit par "gens posés"...
On peut y trouver du charme ou non, cela va dépendre de chacun. Après tout, le texte anglais date de 1891, pourquoi alors ne pas utiliser ces expressions vieillottes ? Cela peut se justifier.

"« Tout ce que j'ai donné dans L'Elève » (écrit James dans la préface au volume XI de la New York Edition) « est la vision troublée du petit Morgan reflétée dans la vision, également assez troublée, de son ami dévoué. »" (Jean Pavans, présentation, page 12).

Version originale
Pierre Leyris (10/18)
Jean Pavans (La Différence)
François Piquet (Pléiade)
As for Pemberton’s own estimate of his pupil, it was a good while before he got the point of view, so little had he been prepared for it by the smug young barbarians to whom the tradition of tutorship, as hitherto revealed to him, had been adjusted. Morgan was scrappy and surprising, deficient in many properties supposed common to the genus and abounding in others that were the portion only of the supernaturally clever. One day his friend made a great stride: it cleared up the question to perceive that Morgan was supernaturally clever and that, though the formula was temporarily meagre, this would be the only assumption on which one could successfully deal with him. He had the general quality of a child for whom life had not been simplified by school, a kind of homebred sensibility which might have been as bad for himself but was charming for others, and a whole range of refinement and perception—little musical vibrations as taking as picked-up airs—begotten by wandering about Europe at the tail of his migratory tribe. "Quant au jugement qu'il portait lui-même sur son élève, Pemberton fut assez long à le mettre au point, fort mal préparé qu'il était à ce propos par les jeunes barbares avantageux auxquels il avait appliqué jusqu'alors les normes traditionnelles du préceptorat. Morgan était décousu, surprenant, il manquait d'un grand nombre de qualités supposées communes à l'espèce, mais abondait en dons qui étaient l'apanage d'une intelligence extaordinaire. Un jour son ami fit un grand pas : il comprit une fois pour toutes que Morgan était bien, en effet, extraordinairement intelligent et que, si squelettique, que fût cette formule; elle constituait la seule assertion sur laquelle on pût s'appuyer pour réussir auprès de lui. Il avait en général le tempérament d'un enfant pour qui la vie n'a pas été simplifiée par le collège, une sensibilité modelée à la maison, qui risquait de lui porter préjudice mais qui était charmante pour autrui, tout un clavier enfin de sensibilités et de raffinements - petites vibrations musicales aussi prenantes que des ritournelles ramassées çà et là - qui lui venaient d'avoir erré à travers l'Europe à la suite de sa tribu nomade." (page 33) "Quant à l'idée personnelle que Pemberton se fit de son élève, elle fut longue à se former, tant il y avait été peu préparé par les petits barbares prétentieux pour qui avait été conçue la tradition des précepteurs, telle qu'il l'avait découverte. Morgan était déficient et surprenant, dénué de plusieurs qualités supposées communes à l'espèce et doué d'autres qui étaient le lot des intelligences surnaturelles. Un jour Pemberton franchit un grand pas : il régla la question en décidant que Morgan était en effet surnaturellement intelligent, et que, même si cette formule étant [sic] encore insatisfaisante, c'était la seule base sur laquelle on pouvait correctement traiter avec lui. Il avait la nature d'un enfant pour qui la vie n'avait pas été simplifiée par l'école, avec une sorte de sensibilité qu'il s'était formée tout seul, et qui risquait d'être mauvaise pour lui, mais qui était charmante pour les autres, et toute une gamme de perceptions raffinées, de petites vibrations musicales captivantes comme un refrain envoûtant, et produites par des errances à travers l'Europe, dans le sillage de sa tribu migratoire." (page 315). "Quant au jugement qu'il portait sur son élève, Pemberton fut assez long à l'arrêter, fort mal préparé par les jeunes barbares imbus d'eux-mêmes pour qui semblaient faites tout exprès les règles traditionnelles du préceptorat, telles qu'elles s'étaient à ce jour révélées à lui. Morgan était déroutant, le résultat d'une surprenante combinaison : il présentait des lacunes et un grand nombre de qualités supposées communes à l'espèce lui faisaient défaut ; mais il avait bien d'autres dons qui étaient l'apanage d'une intelligence hors du commun. Son ami franchit un cap décisif le jour où il saisit une bonne fois pour toutes que Morgan était d'une intelligence hors du commun et que, sans l'ombre d'un doute, c'était le seul postulat (si schématique qu'il fût dans l'immédiat) sur lesquel s'appuyer pour communiquer avec lui. Il avait le tempérament d'un enfant pour qui la vie n'avait pas été simplifiée outre mesure par le collège, une sensibilité qui, parce qu'elle avait été modelée au foyer familial, aurait pu lui porter préjudice mais qui s'avérait charmante pour son interlocuteur, tout un clavier enfin de perceptions raffinées, petites vibrations musicales aussi prenantes que des ritournelles glanées çà et là qui lui venaient d'avoir erré à travers l'Europe à la suite de sa tribu migrante." (page 322).


La Pléaide note que "comme ses frères, James était un habitué des hôtels, et il gardait un souvenir vivace des angoisses engendrées par le manque d'argent, en particulier pendant la crise américaine de 1856-1857 [...]. Rien de surprenant, donc, dans l'acuité avec laquelle James perçut toutes les ambiguïtés de la situation de cet autre petit garçon précoce, comme il fut lui-même, à une expérience perturbante mais combien exaltante d'étrangéisation, la nécessité de recréer l'illusion de la sécurité morale et affective dans la solitude des hôtels meublés et le tête-à-tête obligé avec gouvernantes et précepteurs - véritables substituts parentaux." (notice, page 1364).

Les deux versions les plus littéraires sont celles de Jean Pavans et celle de François Piquet (La Pléiade).
Toutefois, la traduction de Jean Pavans est parfois à la limite de l'incompréhensible. Par exemple, à un moment, le précepteur et son tout jeune élève peuvent acheter des livres d'occasion :

Version originale
Pierre Leyris (10/18)
Jean Pavans (La Différence)
François Piquet (Pléiade)
Such occasions helped them to live, for their books ran low very soon after the beginning of their acquaintance. "Ces aubaines les aidaient à vivre, car ils s'étaient trouvés à court de lecture fort peu de temps après le début de leur relation." (page 41). "C'étaient des occasions qui les aidaient à vivre, car leurs lectures s'achevaient très vite après qu'ils avaient ouvert leurs livres." (page 318). "Ces occasions les aidaient à vivre, car ils s'étaient trouvés à court de livres fort peu de temps après le début de leurs relations." (page 328).

Mais un des défauts majeurs de la version Pavans (en plus du fait qu'il oublie parfois les points d'interrogation à la fin des phrases interrogatives... problème de relecture ? c'est probable, vu qu'il reste aussi quelques bouts de phrases comme "[...] avait quelque chose avoir [sic] avec [...]", page 330) est que le précepteur tutoie son élève ! Je veux bien que, en anglais, ça reste "you". Mais pas en français.
Imagine-t-on un précepteur dans une famille "bien", à la fin du XIX° siècle, qui tutoierait son élève ? Bien sûr que non : il le vouvoie.
Pourquoi avoir choisi le tutoiement ? Uniquement pour montrer la complicité entre le précepteur et son élève ? Quand même pas, je l'espère...


L'Elève est une bonne nouvelle, finalement assez claire, donc moins sujette à interprétations que d'autres textes, par exemple le suivant dans l'édition 10/18 (l'Image dans le Tapis).

Olivier Schatzky l'a adaptée en 1996, avec Vincent Cassel (impeccable), Jean-Pierre Marielle, et Caspar Salmon, qui n'a pas fait carrière. J'avais trouvé bien à l'époque... il faudrait que je le revoie.

l'élève

 

L'élève   la leçon du maître   le motif dans le tapis   pavans   nouvelles pléiade
Couverture version Points : G. Clausen : La Visite (détail), collection particulière ; version Babel : Félix Vallotton, Bouquet (détail), 1919. Musée d'Art et d'Histoire, Genève.

2/ L'Image dans le tapis (The Figure in the carpet, 1896) Traduction de Marie Canavaggia. 58 pages en version 10/18.
Il s'est trouvé que j'avais sous la main de nombreuses traductions différentes de ce texte, d'où un comparatif sans doute un peu excessif, mais qu'importe...

La nouvelle est parfois intitulée Le motif dans le tapis.
"Il convient ici de remarquer que le titre anglais, « The Figure in the carpet », contient le terme figure, impossible à restituer littéralement dans la traduction française, mais qui présente l'intérêt, dans la langue originelle, de contenir une ambiguïté, figure désignant non seulement un « chiffre », ou un « motif », mais aussi une silhouette." (La Pléiade, notice, page 1467)
James a écrit ce texte après l'échec de sa pièce Guy Domville, en 1895. C'est important.

Le narrateur est un jeune journaliste littéraire. Il apprécie beaucoup les oeuvres d'un grand écrivain, Vereker. Or, il est invité pour un week-end chez des gens, à la campagne, et il sait que cet écrivain va également s'y trouver.
A table, Vereker parle (car il a été interrogé à ce sujet) de l'article que notre journaliste a écrit sur son dernier roman.
"- Oh, c'est très bien ! Les fadaises habituelles." (page 261).
Le problème, dit-il, c'est que l'auteur de l'article "Ne voit rien du tout."
Mais ne voit pas quoi ?

Le narrateur parvient à parler avec Verdeker en tête-à-tête. Le romancier lui parle des articles littéraires des journaux :

Texte original
Marie Canavaggia, 1957 (10/18)
Michel Gauthier et/ou John Lee et/ou Benoît Peeters (Points)
Elodie Vialleton, 1997 (Babel)
Pavans, 2004 (La Différence)
Pierre Fontaney (Pléiade)
But I used to read them sometimes—ten years ago. I dare say they were in general rather stupider then; at any rate it always struck me they missed my little point with a perfection exactly as admirable when they patted me on the back as when they kicked me in the shins. Whenever since I’ve happened to have a glimpse of them they were still blazing away—still missing it, I mean, deliciously. You miss it, my dear fellow, with inimitable assurance; the fact of your being awfully clever and your article’s being awfully nice doesn’t make a hair’s breadth of difference. It’s quite with you rising young men,” Vereker laughed, “that I feel most what a failure I am!” "mais il m'arrivait de les lire il y a dix ans. Je dois dire qu'en ce temps-là ils étaient en général plus ineptes qu'à présent. En tout cas, ils me faisaient toujours l'effet de passer à côté de ma trouvaille avec une perfection aussi admirable lorsqu'ils me donnaient dans le dos de petites tapes d'encouragement que lorsqu'ils m'envoyaient des coups de patte. Depuis, toutes les fois qu'il m'est arrivé de jeter un coup d'oeil à leur prose, les critiques m'ont fait l'effet de continuer leur feu roulant en pure perte, je veux dire de passer à côté du principal en ignorant à merveille son existence. Vous êtes, vous, mon cher, passé à côté avec une assurance inimitable ; le fait que vous faisiez preuve d'infiniment d'intelligence et de gentillesse n'y changeait rien. C'est quand j'ai affaire à des jeunes gens d'avenir, conclut Vereker en riant, que je mesure toute l'étendue de mon échec !" (pages 104-105) "[...] mais je les lisais de temps à autre voici dix ans. Je crois bien qu'en général ils étaient encore plus stupides à cette époque ; en tout cas, il me semblait toujours qu'ils passaient à côté de ma petite astuce avec une perfection aussi remarquable lorsqu'ils me gratifiaient des claques d'encouragement dans le dos que lorsqu'ils m'envoyaient des coups de pied dans les tibias. Depuis, chaque fois qu'il m'est arrivé de jeter un coup d'œil sur leurs textes, ils continuaient à manquer la cible, à la manquer avec délectation. Vous-même l'avez manquée, mon cher, avec une inimitable assurance ; le fait que vous soyez terriblement intelligent et que votre article soit terriblement aimable ne change rien à l'affaire. C'est d'abord avec vous, jeunes gens pleins d'avenir, conclut Vereker en riant, que je sens à quel point j'ai échoué !" (pages 263-264).

"Mais je les lisais de temps en temps autrefois... il y a dix ans. Je dois dire que, d'une manière générale, ils étaient relativement plus stupides à l'époque ; quoi qu'il en soit, j'ai toujours été frappé de constater qu'ils passaient à côté de mon petit propos avec une perfection tout aussi admirable lorsqu'ils me complimentaient que lorsqu'ils me critiquaient. Depuis, chaque fois que j'ai eu l'occasion de jeter un coup d'oeil à l'un d'eux, j'ai vu qu'ils n'avaient pas perdu leur ardeur - je veux dire qu'ils passaient toujours délicieusement à côté. Vous aussi, mon cher, vous passez à côté, avec une assurance inimitable ; que vous soyez terriblement intelligent et que votre article soit terriblement gentil ne changent rien à l'affaire. C'est exactement avec vous autres, jeunes gens en pleine ascension, dit Vereker en riant, que je me rends compte de l'étendue de mon échec." (pages 20-21)

"Mais je les lisais parfois... il y a dix ans. Je dirais qu'ils étaient en général plus stupides que maintenant ; en tout cas, j'avais toujours l'impression qu'ils manquaient très ponctuellement ma petite intention, aussi bien lorsqu'ils me tapotaient l'épaule que lorsqu'ils me donnaient un coup dans les tibias. Depuis, chaque fois que j'y jette un coup d'oeil, je constate qu'ils brillent de la même façon... je veux dire qu'ils manquent mon intention avec toujours autant d'exactitude. Vous l'avez manquée, mon cher garçon, avec une assurance inimitable ; le fait que vous soyez terriblement intelligent et que votre article soit terriblement bon ne fait pas la moindre différence. C'est vraiment avec des jeunes gens prometteurs comme vous, fit en riant Vereker, que je sens à quel point je suis un raté !" (page 822) "Mais il m'arrivait parfois de les lire, il y a de cela une dizaine d'années. Je crois pouvoir dire qu'ils étaient en général plus stupides à cette époque-là, ou du moins il m'a toujours semblé qu'ils passaient à côté de la petite idée que je voulais exprimer, et ceci avec une perfection tout aussi confondante lorsqu'ils me tapotaient gentiment le dos que lorsqu'ils me donnaient des coups de pied dans les tibias; Toutes les fois où il m'est arrivé depuis d'y jeter un coup d'oeil, c'était pour trouver qu'ils continuaient à discourir... et à passer délicieusement à côté d'elle, mon cher ami, avec une inimitable assurance ; le fait que vous soyez extrêmement fin et que votre article soit extrêmement aimable ne fait pas l'ombre d'une différence. C'est vraiment avec vous autres, jeunes gens qui montez, dit Vereker en riant, que je mesure le mieux mon échec ! »" (page 1127)

Ce qui est frappant, lorsque l'on met à côté ces différentes versions, est la traduction du fameux "little point", qui est le pivot de la nouvelle. On a cinq traducteurs, et cinq traductions différentes, pour un mot en apparence extrêmement banal : ma trouvaille, ma petite astuce, mon petit propos, ma petite intention, ma petite idée.
Incroyable, non ? Comme si chaque traducteur/traductrice avait jeté un oeil sur les copies de ses petits camarades pour être certain de ne pas traduire de la même façon... Cela montre en tout cas bien l'ambiguïté, la difficulté à saisir ce "little point".

Deux autres remarques anecdotiques, avant de continuer : dans la version Pavans, "bon" est ambigu : il peut très bien être compris comme "excellent", alors que James voulait dire "gentil". C'est un détail, bien sûr. De plus, c'est le seul chez qui on tapote l'épaule au lieu du dos...

Verdeker précise un peu son propos :

Texte original
Marie Canavaggia, 1957 (10/18)
Michel Gauthier et/ou John Lee et/ou Benoît Peeters (Points)
Elodie Vialleton, 1997 (Babel)
Pavans, 2004 (La Différence)
Pierre Fontaney (Pléiade)

[...] there’s an idea in my work without which I wouldn’t have given a straw for the whole job. It’s the finest fullest intention of the lot, and the application of it has been, I think, a triumph of patience, of ingenuity. I ought to leave that to somebody else to say; but that nobody does say it is precisely what we’re talking about. It stretches, this little trick of mine, from book to book, and everything else, comparatively, plays over the surface of it. The order, the form, the texture of my books will perhaps some day constitute for the initiated a complete representation of it. So it’s naturally the thing for the critic to look for. It strikes me,” my visitor added, smiling, “even as the thing for the critic to find.”

This seemed a responsibility indeed. “You call it a little trick?”

“That’s only my little modesty. It’s really an exquisite scheme.”

“And you hold that you’ve carried the scheme out?”

“The way I’ve carried it out is the thing in life I think a bit well of myself for.”

"Il y a dans mon oeuvre une idée sans laquelle je ne me serais pas soucié le moins du monde du métier d'écrivain. Une intention précieuse entre toutes. La mettre en oeuvre a été, me semble-t-il, un miracle d'habileté et de persévérance. Je devrais laisser aux autres le soin de le dire ; mais le fait que personne ne le dit constitue précisément le sujet de notre conversation. Il poursuit sa carrière, mon petit tour de passe-passe, à travers tous mes livres et le reste en comparaison n'est que jeux en surface. L'ordonnance de mes livres, leur style, leur contexture en donneront peut-être un jour une image complète aux initiés. C'est donc naturellement ce que devrait chercher le critique, c'est même à mon avis, ajouta-t-il en souriant, ce que le critique devrait trouver.
C'était là une rude tâche en perspective.
- Vous dites que c'est un petit tour de passe-passe ?
- Seulement par modestie. Il s'agit en réalité d'un thème ravissant.
- Et vous estimez que vous avez réussi à le traiter ?
- La façon dont je l'ai traité est la seule chose au monde qui me permette de penser un peu de bien de moi.
" (pages 105-106)
"[...] il y a dans mon oeuvre une idée sans laquelle je ne me serais pas soucié le moins du monde de ce métier. C'est la plus fine et la plus dense des intentions qu'elle contient, et son application a été, je crois, un chef-d'oeuvre de patience et d'ingéniosité. Je devrais laisser à quelqu'un d'autre le soin de le dire, mais le fait que personne ne le dise est précisément ce qui nous occupe. Il s'étend d'un livre à l'autre, mon petit tour de passe-passe, et tout le reste, en comparaison, ne fait que jouer à la surface. L'agencement, la forme, la texture de mes livres en donneront peut-être, quelque jour, aux initiés, une complète illustration. Ainsi, c'est de toute évidence la chose que le critique devrait chercher. Elle m'apparaît même, ajouta mon visiteur en souriant, comme la chose que le critique devrait trouver.
Cela semblait en effet une sorte de devoir.
- Vous la qualifiez de petit tour de passe-passe ?
- Uniquement par coquetterie. En réalité, il s'agit d'un projet exquis.
- Et vous maintenez que vous avez réalisé le projet ?
- La manière dont je l'ai réalisé est, dans ma vie, la seule chose qui me permette de penser un peu de bien de moi.
" (page 265).

[...] Il y a dans mon oeuvre une idée sans laquelle je n'aurais jamais éprouvé le moindre intérêt pour ce travail. C'est le dessein le plus subtil, le plus abouti de tous, et je crois que son exécution a demandé des trésors de patience, d'ingéniosité. Je devrais laisser quelqu'un d'autre le dire ; mais le fait que personne ne le dise est précisément ce dont nous parlons. Elle s'étend, ma petite ruse, de livre en livre, et tout le reste, en comparaison, n'est qu'en surface. L'ordre, la forme, la texture de mes livres en constitueront peut-être un jour pour les initiés une représentation parfaite. Aussi est-ce tout naturellement ce que les critiques doivent rechercher. Cela me semble même être, ajouta mon visiteur en souriant, ce que les critiques doivent trouver.
Cela paraissait en effet être une grande responsabilité.
-Vous appelez cela une petite ruse ?
- C'est seulement à cause de ma petite modestie. En fait, c'est un plan exquis.
- Et vous maintenez que vous avez réalisé ce plan ?
- La façon dont je l'ai réalisé est ce qui me permet d'avoir un peu d'estime pour moi-même.
" (page 23)

"[...] il y a dans mon oeuvre une idée sans laquelle je n'aurais pas fait le moindre cas d'un pareil travail. C'est la plus belle et la plus solide intention de toutes, et il m'a fallu pour la mener à bien, je crois, faire des merveilles de patience et d'ingéniosité. Je devrais laisser dire cela à d'autres ; mais le fait que personne d'autre ne le dise est justement le sujet de notre discussion. Il s'étend, ce petit truc à moi, de livre en livre, et tout le reste, comparativement, joue à la surface. L'ordre, la forme, la texture de mes livres en constitueront peut-être un jour pour les initiés une représentation complète. C'est donc naturellement la chose que doivent chercher les critiques. Il me semble même, ajouta mon visiteur avec un sourire, que c'est la chose que doivent trouver les critiques. » C'était peut-être en effet notre responsabilité. « Vous appelez cela votre petit truc ? - Oh, c'est seulement par petite pudeur. Il s'agit vraiment d'un canevas exquis. - Et vous affirmez que vous avez exécuté ce canevas ? - La façon dont je l'ai exécuté est la chose de ma vie qui me fait penser un peu de bien de moi-même.»" (page 823) "[...] il y a dans mon oeuvre une notion sans laquelle je ne donnerais pas deux sous de toute l'affaire. C'est la plus belle, la plus dense des notions, et l'appliquer a été, je crois, un triomphe de patience, d'ingéniosité. Je devrais laisser à quelqu'un d'autre le soin de dire ce qu'elle est, mais que personne ne le dise est précisément ce dont nous parlons en ce moment. Ce petit truc à moi passe de livre en livre, et tout le reste, relativement, ne fait que jouer à sa surface. L'ordre, le style, la texture de mes livres composeront peut-être un jour pour les initiés sa représentation complète. Aussi est-ce naturellement la chose que le critique doit rechercher. J'ai le même sentiment, ajouta mon visiteur en souriant, que c'est ce que le critique doit trouver. »
Vaste responsabilité, en vérité ! « Et vous appelez cela "un petit truc" ?
- Uniquement par l'effet de ma petite modestie. En réalité, c'est un projet raffiné.
- Et vous estimez que vous avez accompli ce projet ?
- La manière dont je l'ai accompli est la chose dans ma vie qui me permet d'éprouver un brin d'estime pour moi-même.»
" (page 1128).


Et, un peu plus loin :
"
- Je vis presque pour voir s'il sera, quelque jour, découvert." (page 267).

Notre journaliste s'obstine, demande même n'importe quoi : serait-ce par exemple une préférence pour la lettre "P" ? (ce qui donnera lieu, par les exégètes du texte, à des interprétations d'ordre sexuel) ; il tente d'obtenir des indices.

Texte original
Marie Canavaggia, 1957 (10/18)
Michel Gauthier et/ou John Lee et/ou Benoît Peeters (Points)
Elodie Vialleton, 1997 (Babel)
Pavans, 2004 (La Différence)
Pierre Fontaney (Pléiade)

“Should you be able, pen in hand, to state it clearly yourself—to name it, phrase it, formulate it?”

“Oh,” he almost passionately sighed, “if I were only, pen in hand, one of you chaps!”

“That would be a great chance for you of course. But why should you despise us chaps for not doing what you can’t do yourself?”

“Can’t do?” He opened his eyes. “Haven’t I done it in twenty volumes? I do it in my way,” he continued. “Go you and don’t do it in yours.”

“Ours is so devilish difficult,” I weakly observed.

“So’s mine. We each choose our own. There’s no compulsion.

 

"Vous serait-il possible, plume en main, demandai-je, de mettre, vous-même, noir sur blanc, de quoi il retourne au juste ? À l'aide d'une dénomination, d'une définition, de commentaires ?
- Ah ! soupira-t-il passionnément, si j'étais seulement, plume en main, un de vous autres !
- Ce serait très heureux pour vous bien sûr. Mais pourquoi nous méprisez-vous de ne pouvoir faire, nous autres, ce que vous ne pouvez pas faire vous-même ?
- Ce que je ne peux pas faire ? (Il ouvrit de grands yeux.) Seigneur ! Ne l'ai -je pas fait en vingt volumes ? Je le fais à ma manière, poursuivit-il, continuez de ne pas le faire à la vôtre.
- C'est que notre tâche est bigrement difficile, fis-je valoir faiblement.
- La mienne l'est aussi. Nous choisissons chacun la nôtre. Il n'y a aucune contrainte.
" (page 109).
"- Seriez-vous en mesure, plume en main, de l'énoncer vous-même, en langage clair - par un mot, une phrase ou une explication ?
- Oh, soupira-t-il presque passionnément, si seulement j'étais, plume en main, l'un de vous autres !
- Ce serait une grande chance pour vous, bien sûr. Mais pourquoi faut-il que vous nous méprisiez, nous autres, de ne pas faire ce que vous-même ne pouvez faire ?
- Ce que je ne peux pas faire ?
Il ouvrit grand ses yeux :
- Ne l'ai-je pas fait en vingt volumes ? Je le fais à ma façon, continua-t-il, vous ne le faites pas à la vôtre.
- La nôtre est diaboliquement difficile, fis-je observer faiblement.
- Tout comme la mienne. Nous choisissons chacun la nôtre. Il n'y a pas de contrainte...
" (pages 268-269)

"Cette chose, seriez-vous capable, plume en main, de l'exprimer, de l'énoncer, de la formuler ?
- Oh, soupira-t-il, presque avec passion, si seulement, plume en main, je pouvais être l'un d'entre vous !
- Ce serait certes une grande chance pour vous. Mais pourquoi nous mépriseriez-vous parce que nous ne faisons pas ce que vous-même n'ête pas capable de faire ?
- Ce que je ne suis pas capable de faire ? Il écarquilla les yeux. Ne l'ai-je pas fait, en vingt volumes ? Je le fais à ma façon, poursuivit-il. Allez-y, et ne le faites pas à la vôtre.
- La nôtre est si diablement difficile, observai-je sans conviction.
- La mienne aussi ! Nous choisissons chacun la nôtre. Il n'y a aucune contrainte.
" (page 27)

"« Est-ce que vous seriez vous-même capable, plume en main, de le définir clairement... de le nommer, de le désigner, de le formuler ?
- Oh, si seulement, plume en main, j'étais un de vous autres ! soupira-t-il avec ardeur.
- Ce serait une grande chance pour vous, évidemment. Mais pourquoi nous mépriser, nous autres, de ne pas faire ce que vous-même ne pouvez pas faire ?
- Que je ne peux pas faire ? »Il écarquilla les yeux. « Ne l'ai-je donc pas fait tout au long de vingt volumes ? Je le fais à ma façon, continua-t-il. Vous, vous ne le faites pas à la vôtre.
- La nôtre est diablement difficile, déclarai-je piteusement.
- La mienne aussi. Chacun a fait son choix. Personne n'y a été forcé.
" (pages 824-825)
"Seriez-vous capable, plume en main, d'énoncer vous-même clairement de quoi il s'agit... de lui donner un nom, de le formuler, de l'expliciter ?
- Oh ! » et il poussa un soupir presque fervent, « si seulement je pouvais être, plume en main, l'un de vous !
- Ce serait naturellement une chance à ne pas laisser passer. Mais alors, pourquoi nous mépriser, nous autres, parce que nous ne faisons pas ce que vous êtes incapable de faire vous-même ?
- Ce que je suis incapable de faire ? » Il ouvrit grand les yeux. « Ne l'ai-je pas fait dans vingt volumes ? Je le fais à ma manière, continua-t-il. Vous, vous ne réussissez pas à le faire à la vôtre.
- La nôtre est diablement difficile, observai-je faiblement.
- Et la mienne aussi. Chacun choisit la sienne. Personne ne vous y oblige.
" (page 1131)

 

Dans le Dictionnaire des Oeuvres (Bouquins), on peut lire que l'idée de cette nouvelle "cristallisait la propre expérience de James, vingt ans de travail et autant de livres ne lui ayant valu que de vagues considérations banales de la part de la critique. Cependant au lieu d'en faire le thème de quelque plainte poignante, James inverse la donnée : ce n'est pas l'écrivain de génie qui souffre de l'incompréhension dont il est l'objet, mais le critique qui désespère de saisir son secret."


Notre journaliste arrivera-t-il à percer le secret ? (indice : c'est une nouvelle de James...). Son obstination, à lui ainsi que celle d'un collègue, est très amusante (si l'on peut dire) à suivre : y a-t-il vraiment quelque chose de caché ? Tout cela n'est-il pas une mystification ?

C'est un texte dans lequel on peut y avoir une multitude d'intentions.
"Philippe Sollers l'analyse dans son article « Le Secret ». Le critique Tzvetan Todorov la prend comme point de départ de son étude de quelques nouvelles de Henry James, « Le secret du récit : Henry James ». Il conclut : « La quête du secret ne doit jamais se terminer car elle constitue le secret lui-même. »" (Wikipedia)

"La force de ce récit tient au fait que, sous des allures banales, Henry James pose la question fondamentale : « Qu'est-ce que la littérature ?»" (Lecture par Jacques Leenhardt, Babel, page 83)


Vraiment très bon.


On trouvera le texte original sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/645

La traduction de Jean Pavans est également disponible en poche Garnier-Flammarion, ainsi qu'en poche Minos-La Différence.

On note un "[...] bondi sur lui comme une tigresse hors de la jungle." (version Point, pages 282-283)... C'est quasiment le titre de la nouvelle suivante du recueil chez 10/18.

L'élève   la bête dans la jungle   nouvelles, pléiade, tome 4

3/ La Bête dans la jungle. (The Beast in the Jungle, 1903). Traduction de Marc Chadourne. 69 pages en version 10/18.
Un homme, John Marcher, rencontre une femme, May Bartram. Il se rend compte qu'il l'avait déjà rencontrée dix ans auparavant, en Italie... Il l'avait totalement oubliée, mais voilà que, maintenant, en fouillant dans sa mémoire, il s'en souvient.

Texte original
Marc Chadourne (10/18)
Fabrice Hugot (Points)
Evelyne Labbé (Pléiade)
They looked at each other as with the feeling of an occasion missed; the present would have been so much better if the other, in the far distance, in the foreign land, hadn’t been so stupidly meagre. There weren’t, apparently, all counted, more than a dozen little old things that had succeeded in coming to pass between them; trivialities of youth, simplicities of freshness, stupidities of ignorance, small possible germs, but too deeply buried—too deeply (didn’t it seem?) to sprout after so many years. Marcher could only feel he ought to have rendered her some service—saved her from a capsized boat in the bay or at least recovered her dressing-bag, filched from her cab in the streets of Naples by a lazzarone with a stiletto. "Ils se regardaient l'un l'autre comme avec le sentiment d'une occasion manquée. Le présent eût tellement mieux valu si le passé, à cette distance, dans ce pays étranger, n'avait pas été si absurdement pauvre. Le compte en était vite fait de ces petites choses qui avaient trouvé moyen de se passer entre elle et lui, autrefois ; guère plus d'une douzaine assurément : banalités de jeunesse, naïvetés d'enfance, sottises d'ignorances, petits germes possibles, mais trop profondément enfouis - trop profondément, n'est-ce pas ? - pour pousser après tant d'années ?... Marcher sentait qu'il eût dû, en ce temps-là, rendre à la jeune femme quelque signalé service - la repêcher de quelque naufrage dans la baie ou, tout au moins, retrouver son nécessaire de toilette soustrait de sa voiture par quelque lazzarone à stylet, dans les rues de Naples." (page 158) "Aussi se regardaient-ils avec le sentiment d'une occasion manquée. La rencontre d'aujourd'hui aurait été tellement plus merveilleuse si la première dans ce lointain passé, là-bas, n'avait pas été si sottement banale. Il n'y avait pas eu entre eux, tout bien compté, plus d'une dizaine de petits événements, de ces petits riens de la jeunesse empreints de simple candeur et d'ignorante gaucherie, petits faits prometteurs peut-être, mais trop profondément ensevelis pour pouvoir jamais, semblait-il, revenir éclater à la surface, après toutes ces années. Marcher se disait qu'il aurait dû lui rendre alors quelque grand service comme de la sauver d'un naufrage dans la baie de Naples ou au moins récupérer son nécessaire de toilette arraché en plein Naples par un quelconque lazzarone armé d'un stylet." (page 21). "Ils se regardaient comme avec le sentiment d'une occasion manquée ; l'occasion présente eût été tellement meilleure si la précédente, déjà si lointaine et en terre étrangère, n'avait pas été aussi stupidement indigente. Tout bien compté, apparemment, c'est à peine si l'on pouvait dénombrer une douzaine de petites choses anciennes qui avaient réussi à se produire entre eux : vétilles de jeunesse, ingénuités candides, naïves inepties, menues graines en puissance, mais trop profondément enfouies (à ce qu'il semblait, n'est-ce pas ?) pour pouvoir germer après tant d'années. Marcher se disait qu'il aurait dû lui rendre quelque service - la sauver d'un bateau retourné dans la baie, ou tout au moins récupérer son nécessaire de toilette qu'un lazzarone armé d'un stylet avait arraché de son fiacre dans les rues de Naples." (page 849)

"Pourtant, oubliant son titre, James ouvre son roman par une véritable apothéose, car quoi de plus étourdissant et de plus heureux que, tout à la fois, ces retrouvailles et ce coup de foudre merveilleux entre John Marcher et May Bartram, entre ce jeune homme distingué et cultivé, entouré d'amis et cette jeune femme plus solitaire, impérieusement belle mais douce et modeste [..]
Cette ouverture en forme de « happy end » est une des plus belles scènes d'amour que James ait écrites, une des plus simples, un moment parfait que rien ne gâte, rien sauf le sentiment étrange qu'ils s'agit plus d'une fin que d'un début et que cette belle scène est fragile car sur elle pèse peut-être toute la menace du titre.
" (Présentation de Fabrice Hugot, page 1, Points)

De plus, ce qui est bien étrange, c'est que May Bartram se souvient de leur première rencontre nettement mieux que John Marcher... D'ailleurs, elle lui dit qu'elle n'a pas oublié, depuis ces dix ans, ce qu'il lui avait confié sur un bateau...

Texte original
Marc Chadourne (10/18)
Fabrice Hugot (Points)
Evelyne Labbé (Pléiade)

“I judge,” he finally said, “that I know what you mean. Only I had strangely enough lost any sense of having taken you so far into my confidence.”
“Is it because you’ve taken so many others as well ? ”
“I’ve taken nobody. Not a creature since then.”
“So that I’m the only person who knows ?”
“The only person in the world.”
“Well,” she quickly replied, “I myself have never spoken. I’ve never, never repeated of you what you told me.”

"Je pense, dit-il enfin, que je sais ce que vous voulez dire. Mais, c'est assez étrange, je n'avais pas gardé la moindre idée de vous avoir à ce point mise dans mes confidences.
- Vous seriez-vous donc confié ainsi à d'autres gens ?
- À personne. Absolument personne depuis lors.
- De telle sorte que je suis la seule qui sache ?
- La seule au monde !
Eh bien, répliqua-t-elle promptement., je n'ai jamais répété ce que vous m'avez dit...
" (page 163)
"« Je pense que je vois que ce vous voulez dire, finit-il par répondre, mais, chose curieuse, je ne me rappelais pas vous avoir fait une si grande confidence.
- Est-ce parce que vous l'avez faite à beaucoup d'autres personnes ?
- Pas du tout. A personne.
- Je suis donc la seule à savoir.
- La seule personne au monde.
- Eh bien ! enchaîna-t-elle aussitôt, je n'en ai jamais parlé. Je n'ai jamais répété ce que vous m'aviez confié.
" (page 26).
"« A la réflexion, finit-il par dire, je pense que je sais de quoi vous parlez. Seulement j'avais perdu, de façon plutôt curieuse, toute conscience d'être allé aussi loin en me confiant à vous.
- Est-ce parce que vous vous êtes confié à beaucoup d'autres également ?
- Non, à personne. Pas à une seule âme depuis lors.
- De sorte que je suis la seule personne à savoir ?
- La seule au monde.
- Eh bien, répliqua-t-elle aussitôt, je n'ai, de mon côté, jamais parlé non plus.
" (page 852).

Eh oui, il a totalement oublié cet épisode ! Il a pourtant révélé son secret !
Le lecteur peut croire un moment qu'il ne saura jamais pas en quoi consiste ce terrible secret, mais il n'en est heureusement rien.
C'est un secret qui le rend différent des autres hommes.
May Bartram va l'assister.

Texte original
Marc Chadourne (10/18)
Fabrice Hugot (Points)
Evelyne Labbé (Pléiade)

“Our habit saves you, at least, don’t you see ? because it makes you, after all, for the vulgar, indistinguishable from other men. What’s the most inveterate mark of men in general ? Why the capacity to spend endless time with dull women—to spend it I won’t say without being bored, but without minding that they are, without being driven off at a tangent by it ; which comes to the same thing. I’m your dull woman, a part of the daily bread for which you pray at church. That covers your tracks more than anything.”

"- Nos habitudes nous sauvent, vous au moins, ne trouvez-vous pas ? C'est grâce à elles, après tout, qu'aux yeux du vulgaire vous ne vous distinguez en rien des autres hommes. Quelle est la caractéristique la plus invétérée des hommes en général ? N'est-ce point la capacité qu'ils ont de passer indéfiniment leur temps avec des femmes ennuyeuses, de le passer, je ne dirai pas sans s'ennuyer, mais, ce qui revient au même, sans prendre garde qu'ils s'ennuient, sans en être incommodés jusqu'à chercher à prendre la tangente. C'est moi qui suis votre femme ennuyeuse, une part de ce pain quotidien pour lequel vous priez à l'église. Et voilà qui couvre vos voies mieux que n'importe quoi." (page 177) "« Nos habitudes vous sauvent, vous, en tout cas. Qu'en dites-vous ? Elles vous rendent tout pareil aux autres hommes. Car enfin, quel est le propre des hommes en général ? Eh bien ! la capacité de passer des heures entières avec des femmes ennuyeuses et d'y arriver, je ne dirais pas sans s'ennuyer, mais sans faire attention qu'ils s'ennuient ou sans songer à prendre le large pour leur échapper, ce qui revient au même. Et moi, je suis votre femme ennuyeuse. Je suis un peu de ce pain quotidien pour lequel vous priez à l'église. Et c'est comme cela que vous trompez l'ennemi." (page 43). "« Au moins, notre habitude vous sauve, ne le voyez-vous pas ? parce qu'en fin de compte, aux yeux du vulgaire, elle vous permet de ne pas vous distinguer des autres hommes. Quelle est, chez les hommes en général, la caractéristique la plus invétérée ? Eh bien, la capacité de passer un temps infini en compagnie de femmes insipides - de le passer, je ne dirais pas sans s'ennuyer, mais sans se soucier de leur ennui, sans chercher à prendre la tangente en conséquence, ce qui revient au même. Je suis donc votre femme insipide, une partie du pain quotidien pour lequel vous priez à l'église. Voilà ce qui, mieux que tout, couvre vos traces." (page 863)

Mystérieux, n'est-ce pas ? Mais on aura des explications.

Une histoire de vie gâchée, deux êtres qui auraient pu être heureux ensemble, qui sont quand même souvent ensemble tout en étant nettement moins heureux qu'ils n'auraient pu l'être, à cause de ce secret...

Une bonne nouvelle, mais il me semble moins riche de possibilités que l'Image dans le Tapis.


Il y a une certaine parenté thématique avec la nouvelle l'Autel des Morts (1895). D'ailleurs, François Truffaut est censé s'être inspiré de ces deux nouvelles (ainsi que de Les Amis des Amis, dit Wikipedia, mais cela semble surprenant) pour son film La Chambre Verte (on y reconnaît quasiment uniquement l'Autel des Morts).
En fait, Trauffaut n'a pas vraiment précisé :
la chambre verte

On trouvera le texte en anglais sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/1093

l'autel des morts   pavans   nouvelles pléiade

- L'autel des Morts Ce livre, chez Stock, comporte deux nouvelles : L'Autel des Morts et Dans la Cage.
1/ L'Autel des Morts (The Altar of the Dead, 1895). 75 pages.

Le personnage principal de cette nouvelle s'appelle George Stransom. Il a été marqué par le décès, dû à une fièvre maligne, de Mary Antrim, la jeune fille qu'il devait épouser.

Texte original
Diane de Margerie (Stock)
Jean Pavans (La Différence, tome III)
François Piquet (Pléiade, tome III)
He had not been a man of numerous passions, and even in all these years no sense had grown stronger with him than the sense of being bereft. He had needed no priest and no altar to make him for ever widowed. He had done many things in the world—he had done almost all but one: he had never, never forgotten. He had tried to put into his existence whatever else might take up room in it, but had failed to make it more than a house of which the mistress was eternally absent. "Il n'avait pas connu beaucoup de passions, et on peut même dire qu'au cours de toutes ces années aucun sentiment ne s'était plus enraciné en lui que celui d'être dépossédé. Il n'avait fallu ni prêtre ni autel pour faire de lui un veuf. Il avait accompli bien des choses en ce monde, à une exception près : il n'avait jamais oublié. Il avait tenté par tous les moyens de combler le vide de son existence, sans parvenir à en faire autre chose qu'une maison dont la maîtresse était éternellement absente." (page 10) "Il n'avait pas été du genre à cultiver de nombreuses passions, et malgré le nombre des années aucun sentiment en lui n'avait surpassé le sentiment d'être abandonné. Il n'avait eu besoin ni de prêtre ni d'autel pour devenir veuf à jamais. Il avait fait plusieurs choses au monde ; il avait fait presque toutes les choses, sauf une : il n'avait jamais oublié. Il avait essayé d'introduire dans son existence tout ce qui pouvait y trouver une place, mais il n'en avait jamais rien fait d'autre qu'une maison dont la maîtresse était éternellement absente." (page 761) "Il n'avait pas été l'homme de nombreuses passions et il n'était pas de conviction qui se fût au fil de toutes ces années, plus profondément enracinée en lui que celle d'avoir été dépossédé. Il n'avait été besoin ni de prêtre ni d'autel pour faire de lui à tout jamais un veuf. Il avait accompli bien des choses en ce monde ; en fait, il n'avait pratiquement connu que des réussites, à une exception près : il n'était jamais parvenu à oublier. Il s'était évertué à meubler le vide de son existence, sans parvenir à en faire autre chose qu'une maison dont l'hôtesse était perpétuellement absente." (pages 1077-1078).


Les morts vont occuper une place de plus en plus importante dans sa vie, du moins dans son temps libre.

Texte original
Diane de Margerie (Stock)
Jean Pavans (La Différence, tome III)
François Piquet (Pléiade, tome III)
There were other ghosts in his life than the ghost of Mary Antrim. He had perhaps not had more losses than most men, but he had counted his losses more ; he hadn’t seen death more closely, but had in a manner felt it more deeply. He had formed little by little the habit of numbering his Dead: it had come to him early in life that there was something one had to do for them. They were there in their simplified intensified essence, their conscious absence and expressive patience, as personally there as if they had only been stricken dumb. When all sense of them failed, all sound of them ceased, it was as if their purgatory were really still on earth: they asked so little that they got, poor things, even less, and died again, died every day, of the hard usage of life. "D'autres fantômes que celui de Mary Antrim peuplaient sa vie. Il n'avait peut-être pas eu plus de deuils que la plupart des hommes, mais ils avaient compté davantage. Il n'avait pas vu la mort de plus près, mais il l'avait sentie plus profondément. Il avait pris, peu à peu, l'habitude de compter ses morts. L'idée lui était venue, assez tôt dans la vie, que l'on devait faire quelque chose pour eux. Ils survivaient dans une essence plus simple et plus intense, dans une absence inconsciente, dans une patience significative, et leur existence restait individuelle, comme s'ils n'étaient que frappés de mutisme. Quand tout sentiment de leur présence avait disparu, quand on cessait d'entendre leur voix, il semblait que le purgatoire commençât pour eux sur cette terre. Ils demandaient si peu, les pauvres morts, qu'ils obtenaient moins encore, et ils mouraient chaque jour, sous le dur traitement de la vie." (pages 11-12) "Il y avait dans sa vie d'autres fantômes que le fantôme de Mary Antrim. Il n'avait sans doute pas subi davantage de pertes que la plupart des hommes, mais il les avait davantage comptées ; il n'avait pas vu la mort de plus près, mais il l'avait d'une certaine manière, plus profondément sentie. Il avait peu à peu acquis l'habitude de dénombrer ses morts ; et il en était venu, assez tôt dans sa vie, à se dire qu'on devait faire quelque chose pour eux. Ils étaient là dans leur essence simplifiée et intensifiée, dans leur absence consciente et leur patience expressive, aussi attentifs que s'ils étaient brusquement devenus muets. Quand on n'avait plus de pensée pour eux, ils ne faisaient plus aucun bruit, et c'était comme si leur purgatoire était vraiment encore sur terre : ils demandaient si peu, et par là ils obtenaient, les pauvres êtres, encore moins : ils mouraient de nouveau, mouraient tous les jours, de la dure usure de la vie." (page 762) "Il était dans sa vie d'autres fantômes que celui de Mary Antrim. Il n'avait peut-être pas connu plus de deuils que la plupart des hommes, mais ils avaient pesé plus lourd. Il avait pris, petit à petit, l'habitude de dénombrer ses Morts. Raisonnablement tôt dans son existence, il lui était apparu qu'il fallait faire quelque chose pour eux. Ils se trouvaient là, voués à une essence plus simple et plus intense, avec leur absence délibérée et leur patience lourde de sens, leur personnalité aussi présente que s'ils n'avaient été frappés que de mutisme. Quand tout conscience de leur présence s'effaçait, quand leur voix n'était plus du tout perceptible, c'était en réalité comme si leur purgatoire se prolongeait en ce bas monde ; ils demandaient si peu, les malheureux, qu'ils obtenaient moins encore et mouraient de nouveau, mouraient chaque jour sous la dure loi de la vie." (page 1078)

Il communique finalement mieux avec les morts qu'avec les vivants...

Texte original
Diane de Margerie (Stock)
Jean Pavans (La Différence, tome III)
François Piquet (Pléiade, tome III)
There were hours at which he almost caught himself wishing that certain of his friends would now die, that he might establish with them in this manner a connexion more charming than, as it happened, it was possible to enjoy with them in life. In regard to those from whom one was separated by the long curves of the globe such a connexion could only be an improvement: it brought them instantly within reach.[...] There was a strange sanctification in death, but some characters were more sanctified by being forgotten than by being remembered. The greatest blank in the shining page was the memory of Acton Hague, of which he inveterately tried to rid himself. For Acton Hague no flame could ever rise on any altar of his. "À certains moments, il se surprenait presque à souhaiter la mort de certains de ses amis, afin de pouvoir établir avec eux une relation plus séduisante que celle qu'il connaissait alors. Pour ceux qui étaient distants à travers l'univers, une telle relation ne pouvait opérer qu'un rapprochement : ils se trouvaient tout à coup dans un voisinage immédiat. [...] Il y avait une étrange sanctification dans la mort, mais certains étaient plus sanctifiés par l'oubli que par le souvenir. Le manque le plus flagrant, dans cette page étincelante, était le souvenir d'Acton Hague, qu'il essayait obstinément de chasser. Pour Acton Hague, aucune flamme ne pourrait jamais s'allumer sur son autel." (pages 30-31) "Par moments, il en venait presque à souhaiter la mort de certains de ses amis, afin d'établir avec eux un lien plus délicieux que celui qu'il pouvait cultiver dans la vie. Avec ceux dont on était séparé par les longues courbes du globe, un lien pareil ne pouvait être qu'un progrès : il les mettait instantanément à portée de main. [...] La mort opérait une étrange sanctification, mais certains personnages étaient d'avantage sanctifiés en étant oubliés qu'en étant célébrés. Le plus grand vide dans cette page scintillante était le souvenir d'Acton Hague, dont il essayait obstinément de se débarrasser. Pour Acton Hague, aucune flamme ne pourrait jamais s'élever sur son autel personnel." (page 768) "À certains moments, il se surprenait à presque souhaiter la mort immédiate de quelques-uns de ses amis afin qu'il puisse de la sorte établir avec eux une relation plus charmante que celle qu'il lui était possible de goûter de leur vivant. Pour ceux dont le séparait la longue courbure du globe, une telle relation ne pouvait constituer qu'un progrès : elle les mettait instantanément à votre portée. [...] La mort opérait une étrange sanctification, mais certains étaient plus sanctifiés par l'oubli que par la mémoire. L'absence la plus manifeste dans cette page étincelante concernait le souvenir d'Acton Hague, dont il tentait avec obstination de se défaire. Jamais aucune flamme ne pourrait s'allumer sur son autel pour Acton Hague." (pages 1088-1089).

 

Acton Hague est presque son ennemi personnel, en fait plutôt quelqu'un qui l'a beaucoup déçu, et à qui il ne peut pas pardonner.

De façon assez similaire à La Bête dans la Jungle, George Stransom va faire la connaissance d'une femme...

Une très bonne nouvelle, sombre - une réflexion sur la mort et la survie après la mort - , qui se déroule dans un monde qui ne paraît pas tout à fait réel, presque déserté, dans laquelle il ne se passe pas grand chose, mais qui laisse néanmoins une impression durable.
La notice de la Pléiade ouvre des pistes de réflexion très intéressantes, notamment en rapport avec la vie privée de James, qui avait commencé à écrire cette nouvelle quelques mois après la mort de son amie Constance Fenimore Woolson. La femme de la nouvelle et Constance Fenimore Woolson ont de nombreux points communs....

On pourra trouver le texte en anglais sur : http://www.gutenberg.org/ebooks/642

François Truffaut a adapté cette nouvelle et l'a située en France. C'est La Chambre Verte (1978).
Dès le début, le film est placé sous le signe de la mort.
la chambre verte

Ici, avec la jeune femme, interprétée par Nathalie Baye.
la chambre verte

2/ Dans la cage (In the Cage, 1898). 194 pages.

Voici le début de cette nouvelle :

Texte original
François-Xavier Jaujard (Stock)
Aurélie Guillain (La Pléiade, volume 3)
It had occurred to her early that in her position—that of a young person spending, in framed and wired confinement, the life of a guinea-pig or a magpie—she should know a great many persons without their recognising the acquaintance. That made it an emotion the more lively—though singularly rare and always, even then, with opportunity still very much smothered—to see any one come in whom she knew outside, as she called it, any one who could add anything to the meanness of her function. Her function was to sit there with two young men—the other telegraphist and the counter-clerk; to mind the “sounder,” which was always going, to dole out stamps and postal-orders, weigh letters, answer stupid questions, give difficult change and, more than anything else, count words as numberless as the sands of the sea, the words of the telegrams thrust, from morning to night, through the gap left in the high lattice, across the encumbered shelf that her forearm ached with rubbing. "Elle avait vite compris que dans sa situation - celle d'une jeune femme en cage pour la vie derrière la grille d'un guichet, comme un cobaye ou une pie - elle connaîtrait beaucoup de gens sans être connue d'eux. Il suffisait qu'entrât à la poste quelqu'un qu'elle « connaissait du dehors », comme elle disait, pour que son coeur se mît à battre, et bien qu'un pareil événement fût singulièrement rare, et ses conséquences des plus restreintes, il relevait un peu la médiocrité de sa tâche. Cette tâche consistait à rester assise en compagnie de deux jeunes gens, l'un second télégraphiste et l'autre caissier, à s'occuper du télégraphe qui sonnait sans arrêt, à distribuer les timbres et les mandats, à peser les lettres, répondre à des questions ineptes, rendre une monnaie que souvent elle n'avait pas, et surtout à compter des mots innombrables comme des grains de sable, les mots des télégrammes jetés du matin au soir par l'ouverture du grillage, sur la tablette encombrée que son bras parcourait sans cesse au point d'en être douloureux." (pages 87-88). "Il lui était vite apparu que dans sa position - celle d'une jeune personne menant, prisonnière de cloisons grillagées, la même vie qu'une pie ou un cochon d'Inde - elle allait rencontrer un grand nombre de personnes sans que celles-ci reconnaissent l'existence de cette relation. Son émotion était d'autant plus vive - quoique singulièrement rare, et, même alors, les possibilités restaient toujours à l'état d'ébauche - lorsqu'elle voyait entrer quelqu'un qu'elle connaissait « de l'extérieur », comme elle disait, et qui pouvait introduire quelque variété dans la pauvre monotonie de sa fonction. Ce travail consistait à rester assise en compagnie de deux jeunes gens, le deuxième télégraphiste et le guichetier, à s'occuper de l'« émetteur » qui fonctionnait sans relâche, à délivrer des timbres et des mandats, à peser des lettres, répondre à des questions ineptes, faire de la monnaie sur de gros billets et, avant toute chose, compter des mots aussi innombrables que les grains de sable de l'océan - les mots des télégrammes qu'on glissait du matin au soir à travers l'ouverture ménagée dans le haut grillage, sur l'étagère encombrée contre laquelle son avant-bras frottait si souvent qu'il en était endolori." (page 125).

Une cloison sépare le petit bureau de poste de l'épicerie dans laquelle a officié Mr Mudge, que notre héroïne doit bientôt épouser. Grâce à sa promotion, il est maintenant ailleurs, mais dans un quartier plus populaire, et c'est mieux pour elle de ne plus le voir ainsi tous les jours : "[...] cela donnait un semblant de nouveauté à leurs retrouvailles du dimanche" (page 89).

Elle pourrait travailler près de son futur mari, mais cela ne l'enchante pas. De plus, même si le trajet est long depuis chez elle jusqu'à son lieu de travail, le petit bureau de poste se trouve dans un coin chic, et notre héroïne se plaît à observer les clients. D'une certaine façon, elle est extrêmement douée : elle se souvient parfaitement de télégrammes même anciens, établit des liens entre des messages opaques, fait des rapprochements, des supputations, sent des drames pointer...

Elle est à la fois fine et imaginative. De plus, elle aime les livres, et lit beaucoup de "romans à quatre sous". Elle va donc deviner des choses, en imaginer d'autres, la frontière entre le monde réel et le monde imaginaire n'étant pas toujours très nette.
Elle tente, depuis sa cage, de percer les mystères du beau monde. Elle aimerait échapper à sa cage (bien sûr physique autant que figurée) pour connaître la vraie vie.


Une bonne nouvelle, toutefois assez longue, parfois obscure, et aux phrases pas toujours simples.


On pourra lire le texte en anglais sur http://www.gutenberg.org/ebooks/1144 .

 

 

 

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